Façade arrière de la maison de tante Léonie, vue du fond du petit jardin. |
À Petros, l'autre survivant…
Hier, donc, nous allâmes faire visite à la tante Léonie, chez elle, à Illiers, devenu de manière un peu absurde Illiers-Combray en 1971, à l'occasion du centième anniversaire de la naissance du petit Marcel. Je ne fréquente que fort peu la tante Léonie : ma précédente, et jusqu'à hier unique, visite remonte à exactement trente ans, plus ou moins quelques mois. J'achevais alors ma première lecture d'À la recherche du temps perdu et j'avais l'impression que je ne serais plus jamais le même garçon : il y a des lectures qui produisent cet effet-là – mais assez peu, somme toute. Je n'étais pas seul, pour cette visite à la tante : Philippe Bernalin et Petros m'avaient accompagné. Nous étions arrivés la veille au soir, en train, à la Ferté, et, le lendemain, j'avais emprunté la la voiture de mes parents pour nous emmener à Illiers (109 km, 1 h 35 de route, selon Mappy ; mais nous avions fait une courte halte à Châteaudun, pour prendre un café dan un bar de la place du 18-Octobre).
J'avais été frappé, alors, par l'extrême petitesse de tout : de la maison, du jardin qui en borde l'arrière, des différentes pièces, du fameux escalier lui-même… J'avais rapidement repéré la cause de cet effet : Marcel Proust est venu pour la dernière fois dans cette maison lorsqu'il a été victime de sa première crise d'asthme ; il devait avoir onze ou douze ans, je manque de courage pour aller rechercher l'année exacte. Si bien que, quand il s'est agi de ressusciter Illiers pour en faire Combray, un quart de siècle plus tard, il a dû être victime du phénomène que chacun connaît, à savoir cet agrandissement des lieux et des choses de l'enfance que produit la mémoire. Dans le cas de Proust, l'affaire se complique encore du fait qu'à la maison de la tante Léonie (Élisabeth Amiot, dans le monde réel) est venue s'ajouter, se mêler, se fondre, celle d'Auteuil, où Marcel est né, qui appartenait à son grand-oncle paternel, Louis Weil, et qui était, elle, vraiment grande – en tout cas davantage que celle d'Illiers.
La cuisine de Françoise. |
L'impression m'a ressaisi cette fois-ci, bien que je fusse prévenu. On se demande, devant tant d'exiguïté, comment faisait la famille pour ne pas se marcher dessus les uns les autres, notamment lorsque débarquaient, à Pâques, les “Parisiens”, à savoir le docteur Proust, son épouse Jeanne et leurs deux fils, Marcel et Robert.
À vue de souvenir, le rez-de-chaussée ni le premier étage n'ont beaucoup changé depuis ma première visite. En revanche, le grenier – qui ne se visitait pas alors, je crois bien – a été aménagé et propose une exposition permanente de photographies réalisées presque toutes par Paul Nadar, le fils du grand Nadar. Il s'agit de gens que Proust a fréquentés durant sa vie et dont beaucoup ont, dans des proportions variables, servi de modèles pour divers personnages de La Recherche. Ce fut, pour Catherine, l'occasion de se lamenter sur les modes “semi-clodo” de notre époque, comparées à la suprême élégance qui se donnait à voir là, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Une autre salle, dont je ne gardais aucun souvenir, ce qui me fait dire qu'elle ne devait pas exister non plus en 1983, présente divers objets qui, nous assure-t-on, auraient appartenu à Proust, ce dont j'ai eu tendance à douter, au moins pour quelques-uns d'entre eux : qu'aurait donc fait ce génie si peu apte à la vie quotidienne d'un couteau de cuisine ? D'une fourchette à rôti ? Bref… Il y a aussi des lettres, soit écrites par Proust, soit à lui adressées.
Le grand charme de cette visite est qu'il est loisible de l'effectuer sans guide, et que nous étions, hier, rigoureusement seuls dans la maison, où nous avons passé finalement un peu plus d'une heure – une heure de temps retrouvé.
La chambre du petit Marcel. |
Elstir, Swann et Bergotte n'étaient avec vous, je suis sur...
RépondreSupprimerVous avez raison, ils auraient mérité d'y être. Au moins Swann, qui fréquentait la maison en voisin.
SupprimerTrop tôt! Les haies d'aubépine ne sont pas encore fleuries. Elle l'étaient quand j'y suis allé il y a ... cinquante ans. Trop tard?
RépondreSupprimerM'en fous ! les sempiternelles aubépines de Proust ne font pas partie, loin de là, de mes épisodes préférés…
SupprimerC'est très beau, voilà tout ce que mon absence de talent littéraire me permet d'écrire.
RépondreSupprimerSeuls, et en hiver, encore plus beau, à mon avis.
Et en plus c'est chauffé…
SupprimerSwann était voisin, mais Golo était à demeure, lui...
RépondreSupprimerExact !
Supprimer"cet agrandissement des lieux et des choses de l'enfance que produit la mémoire" dites vous, quant à moi, je ne voyais pas cela ainsi, mais plutôt que le temps produit sur l'individu, un rétrécissement des lieux et des choses.
RépondreSupprimerEnfant, le monde m'apparaissait comme un territoire immense et inconnu, et mes yeux s'émerveillaient devant chaque chose nouvelle découverte.
Devenu adulte, le monde me semble avoir perdu cet attrait magique qu'il avait dans l'enfance, il m'ennuie davantage, et les lieux comme les choses me semblent parfois si semblables les uns aux autres, qu'il me parait dérisoire de voyager ni de chercher à en connaitre davantage...
En réalité, le monde n'est jamais le même, on ne se baigne jamais dans le même fleuve comme disait Héraclite, et j'ai l'intuition que c'est l'enfant qui est le plus proche de cette vérité.