dimanche 20 juillet 2014

Longue vie à l'Impératrice ! (Grouik ! grouik !)


À Jacques Étienne.

Tout était en l'air au château de Blandings. Lord Emsworth coulait, en son domaine, les jours à peu près paisibles que lui autorisaient ses revenus. Il s'abandonnait chaque soir au sommeil de celui qui ne trouve rien à se reprocher de la journée écoulée et qui a pensé le moins possible ; il se réveillait joyeux et plein d'entrain, à l'idée que l'Impératrice de Blandings, la prunelle de son œil, allait très probablement remporter, pour la troisième année consécutive, le Concours agricole du Shropshire dans la catégorie des cochons gras. S'il n'y avait pas eu Lady Constance, sa sœur, et ses innombrables invités, la vie à Blandings aurait représenté une assez exacte image du paradis sur terre. C'est alors que surgit l'ignoble rival, Sir Gregory Parsloe, bien décidé à toutes les bassesses, aux pires coups fourrés, pour que son propre cochon, l'Orgueil de Matchingham, triomphe de l'Impératrice…

P.G. Wodehouse (1881 – 1975), c'est l'humour anglais quintessencié, et même quintessentiel. Dans le monde de ses 90 romans et près de 200 nouvelles, les tantes ont une importance capitale et se révèlent des femmes fort dangereuses, en ceci qu'elles veulent à toute force marier leurs neveux, qui, de leur côté n'envisagent rien moins. Les cochons ont aussi leur importance, nous venons de le voir, ainsi que certain pot à bière. Dans cet univers souvent campagnard, les maîtres sont généralement riches et très sympathiques, mais d'une intelligence limitée au strict nécessaire ; les majordomes (butlers), par compensation, font preuve d'une compréhension profonde des êtres et des événements qui les secouent, ainsi qu'une diabolique habileté à éviter les mariages ourdis par les tantes. Le plus bel exemple est donné par le couple formé du butler Jeeves et de son maître, le jeune Bertie Wooster, sortes de Don Quichotte et Sancho Pança accommodés de sauce à la menthe. C'est par les romans qui les mettent en scène – un volume dans l'édition Omnibus – que l'on commencera sa découverte de Wodehouse, si l'on veut bien m'en croire.

C'est ce que fait Catherine depuis quelques jours, ce qui m'a donné, par une sorte de mimétisme littéraire, l'envie de relire moi aussi Wodehouse. J'ai donc pris le second volume Omnibus, celui qui contient entre autres les aventures d'Oncle Fred et, donc, celles de Lord Emsworth, en particulier dans le roman dont j'ai déroulé les prémisses en commençant, qui s'intitule Pigs Have Wings, ce que les Français ont cru bon de traduire par Le Plus Beau Cochon du monde, initiative assez stupide dans la mesure où une traduction littérale du titre original eût été bien préférable, me semble-t-il.

Et puisque nous sommes chez Lord Emsworth, Clarence de son petit nom, restons-y un moment, le temps de signaler qu'Un pélican à Blandings vient tout juste de ressortir chez nous, grâce aux éditions des Belles Lettres – ce qui est une preuve supplémentaire que cette vénérable maison ne publie décidément que des auteurs essentiels.

17 commentaires:

  1. Très belle pochade en l'honneur d'un auteur pour qui les cochons ont des ailes et que je lirai quand les poules auront des dents.

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  2. Je ne me souviens pas du pot à bière, en revanche il y a un pot à crème en argent rqui cause bien des ennuis à Bertie au fil des romans.
    J'iame bien l'Honorable Freddie aussi, un ami de Bertie qui passe son temps à se fiancer avec toutes les jeunes filles qu'il rencontre.

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    1. By Jove ! Mes souvenirs (qui remontent à au moins vingt ans) m'auraient-ils trahi ? Et m'auraient fait changer un pot à crème en pot à bière ? C'est bien possible.

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  3. Les traductions françaises peinent à rendre le style et l'humour de Woodehouse. A côté du texte original, la version française fait penser à un délicieux clafoutis dont on aurait ôté les griottes. C'est bon mais c'est incomplet.

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    1. Il paraît, oui. Mais, dans mon cas, bien obligé de me contenter de ce qui est à portée de mon entendement.

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  4. J'ai beaucoup aimé les livres de Wodehouse. Le nom de Jeeves est quasiment devenu un terme générique.

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    1. Les Jeeves sont en effet particulièrement savoureux… à condition de ne pas en lire trois ou quatre à la suite, car ça tourne tout de même un peu en rond, si je me rappelle bien.

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  5. Jeeves and Wooster ! La série télé était diffusée du temps où j'habitais Londres. Elle est malheureusement inédite en France. Peut-être ne serait-elle pas au goût du public français. Bien que je n'en garde aucun souvenir précis, comme de tout ce que je lis ou regarde, me reste une vague impression d’atmosphère surannée (années 20 ou 30) et d'humour typiquement britannique. Le personnage de Wooster, upper class twit, était comme celui de Jeeves incarné par des acteurs de talent. Je ne me rappelle qu'une phrase de Wooster déclarant sur un ton inimitable son admiration pour une automobile : "Nice motor ! " Cette simple remarque contenait tout le personnage, sa classe sociale, son côté à côté de la plaque, etc. Saurait-on rendre cela en français ? J'en doute un peu...

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  6. Votre première phrase m'a replongée dans une lecture d'enfance adorée : la Comtesse de Ségur dit dans "Les vacances" : "Tout était en l’air au château de Fleurville." et je m'en souviens encore maintenant tellement je trouvais cette phrase jolie et évocatrice!

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    1. Je suis ravi qu'une personne, au moins, ait compris cette première phrase !

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  7. Et si on reparlait des ennuis de Wodehouse en 1944, et de sa très remarquable défense par George Orwell?

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    1. J'ai failli consacrer un ou deux paragraphes à ce sujet, mais j'ai pensé que cela valait un autre billet. J'ai également oublié le petit parallèle que voulais esquisser, entre Wodehouse et Jane Austen.

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    2. Vous avez titillé ma curiosité.

      Voici le texte d'Orwell :

      In Defence of P. G. Wodehouse

      Remarquable, indeed.

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    3. Ah ben zut, je croyais avoir habilement glissé le lien vers l'url. Bon, soyons prosaïque :

      http://www.george-orwell.org/In_Defence_of_P._G._Wodehouse/0.html

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.