Mon vieux Bergouze, mon toujours-jeune, il faut bien que je t'en avertisse, étant - je suppose - ta seule distraction : je ne vais pas tarder à me taire. Je suis fatigué. De parler, d'ironiser, de provoquer, de cette danse du ventre syntactique que je mène. Je vais sans doute me taire. Disant cela, je me vante peut-être, n'étant pas certain d'y parvenir. Mais chaque année qui passe me rend la perspective plus facile.
Tu vois, déjà là : le simple fait de passer de la maison à la Case fait que l'essentiel (essentiel : tu parles !) de ce que je voulais te dire s'est évadé de ma tête. Je sais bien que le vent souffle, mais tout de même.
(Dans la Case, lorsque le vent s'énerve, on entend des bruits de toit se soulevant : c'est une illusion, mais on a des visions de Tropiques...)
Tu vois, déjà là : le simple fait de passer de la maison à la Case fait que l'essentiel (essentiel : tu parles !) de ce que je voulais te dire s'est évadé de ma tête. Je sais bien que le vent souffle, mais tout de même.
(Dans la Case, lorsque le vent s'énerve, on entend des bruits de toit se soulevant : c'est une illusion, mais on a des visions de Tropiques...)
Se taire, donc. Dissimuler ce qu'on pense, ce que l'on croit, ce que l'on sait, ce que l'on pressent, ce que l'on devine, ce que l'on voit arriver. Parce que c'est inutile de se démener ; et parce que l'on se sait pas assez intelligent, ou armé, pour argumenter. Ou, une fois encore, fatigué. Laisser les amateurs de Progrès courir devant. Rester en arrière. Non : repartir en arrière ; revenir rue du Sommerard, par exemple ; s'y réfugier.
Reprendre ces longues soirées du mardi. André assis sur le prie-Dieu, moi sur le siège de 404 dont on se demande ce qu'il foutait là, et toi sur le lit d'André. Avec les bouteilles de Riesling arrivées tout frais d'Alsace dans les bagages d'André. Toujours en nombre largement suffisant pour un sommeil plombé et une matinée de "sèche", le lendemain, rue du Louvre.
Les disques de ces soirées : quand je suis seul, comme en ce moment, je m'en remets quelques-uns. Morelli et Villon, Je meurs de soif auprès de la fontaine..., Tristan Corbière... Sans parler de Ferré, écouté ce soir, et que tu n'aimais pas, qu'André et moi essayions de te faire entrer de force dans la tronche. Parfois, si on avait assez bu, tu faisais semblant de commencer à comprendre, on faisait semblant d'y croire, parce qu'on était assez heureux d'être bourrés ensemble. Et je pense qu'à ce moment-là, tu aimais vraiment Ferré, pour exactement la même raison, jusqu'au lendemain matin.
Sur les murs de la rue du Sommerard, il y avait des photos géantes de Béa. (Je déteste les diminutifs, sauf pour Béa, justement (et pour Jef, aussi).) Béa de vingt ans, un sourire à tomber, mais rien de désirable, ni pour moi ni pour toi (excuse-moi de parler en ton nom, mais bon...). Qu'elle ne m'en veuille pas, si elle passe par ici (on n'est jamais trop prudent, avec les filles, tu as au moins eu le temps d'apprendre cela), mais elle était la femme d'André et, finalement, à eux deux, ils donnaient plus ou moins tort à René Girard (qu'il me pardonne).
J'ai un peu perdu le fil, je ne suis pas sûr qu'il y ait eu un fil, du reste. Ah ! oui, en fait, j'aurais aimé parlé encore longtemps - des douzaines de pages - de ces soirées rue du Sommerard. Mais, vois-tu, ça n'intéresse plus personne - que trois. Et je te rappelle que j'ai commencé ce billet en disant que j'allais me taire. Donc, soyons cohérent. Si c'est possible...
Reprendre ces longues soirées du mardi. André assis sur le prie-Dieu, moi sur le siège de 404 dont on se demande ce qu'il foutait là, et toi sur le lit d'André. Avec les bouteilles de Riesling arrivées tout frais d'Alsace dans les bagages d'André. Toujours en nombre largement suffisant pour un sommeil plombé et une matinée de "sèche", le lendemain, rue du Louvre.
Les disques de ces soirées : quand je suis seul, comme en ce moment, je m'en remets quelques-uns. Morelli et Villon, Je meurs de soif auprès de la fontaine..., Tristan Corbière... Sans parler de Ferré, écouté ce soir, et que tu n'aimais pas, qu'André et moi essayions de te faire entrer de force dans la tronche. Parfois, si on avait assez bu, tu faisais semblant de commencer à comprendre, on faisait semblant d'y croire, parce qu'on était assez heureux d'être bourrés ensemble. Et je pense qu'à ce moment-là, tu aimais vraiment Ferré, pour exactement la même raison, jusqu'au lendemain matin.
Sur les murs de la rue du Sommerard, il y avait des photos géantes de Béa. (Je déteste les diminutifs, sauf pour Béa, justement (et pour Jef, aussi).) Béa de vingt ans, un sourire à tomber, mais rien de désirable, ni pour moi ni pour toi (excuse-moi de parler en ton nom, mais bon...). Qu'elle ne m'en veuille pas, si elle passe par ici (on n'est jamais trop prudent, avec les filles, tu as au moins eu le temps d'apprendre cela), mais elle était la femme d'André et, finalement, à eux deux, ils donnaient plus ou moins tort à René Girard (qu'il me pardonne).
J'ai un peu perdu le fil, je ne suis pas sûr qu'il y ait eu un fil, du reste. Ah ! oui, en fait, j'aurais aimé parlé encore longtemps - des douzaines de pages - de ces soirées rue du Sommerard. Mais, vois-tu, ça n'intéresse plus personne - que trois. Et je te rappelle que j'ai commencé ce billet en disant que j'allais me taire. Donc, soyons cohérent. Si c'est possible...
Tes dialogues sont toujours aussi émouvant.
RépondreSupprimerSSSSS, kalisssss !
RépondreSupprimerça serait dommage. De se taire.
RépondreSupprimerFaut pas vous biler comme ça Moïse est mort aujourd'hui - je veux dire Charlton Heston - il ne vous embêtera plus avec ses tables de la loi !
RépondreSupprimeriPidiblue arrête ton char !
Se taire, c'est laisser parler les cons et surtout à notre époque, il n'y a pas de guerre plus sainte et interminable que de tenter de leur couvrir le clapet.
RépondreSupprimerDidier: j'ai l'impression, vous lisant, que vous êtes un personnage d'un roman d'ADG, que vous regardez clapoter les reflets de votre chagrin au creux d'un verre de gris de Loire, tout seul ou presque au comptoir du Petit Tonneau.
RépondreSupprimerSuzanne
Oh non, ne vous taisez pas Didier ! Je voudrais bien lire d'autres de récits de soirée avec Bergouze. Oui ça m'intéresse aussi !
RépondreSupprimerComme l'a dit Catherine ce texte est très émouvant, très beau...
Parce qu'à coté de ça, en effet, Didier, vous êtes un putain d'écrivain (scuzé la grossièreté)
RépondreSupprimerRenoncer, s'abstraire, quitter ce dernier cercle de laudateurs aux "mains ruminantes qui meuglent". Un petit effort encore... Ce Bergouze confident, jeune à perpétuité, aura (a peut-être) bientôt l'âge d'un enfant que vous n'avez pas. Lui seul saurait entendre la beauté grave du renoncement de l'homme qui vieillit, qui lâche prise.
RépondreSupprimerTaisez-vous...ici c'est peine perdue
Marcel dans le désert stérile des commentaires.