Un ami me disait tout à l'heure par mail : « Quel dommage que vous ayez horreur du téléphone ! J'avais envie de parler de Proust… » Ce n'est pas que j'en aie horreur, mais plutôt que je ne parviens pas vraiment à le maîtriser. En un mot, et le phénomène s'accroît avec le temps, je suis presque incapable de réaliser cette opération ne posant aucun problème à 99 % de mes contemporains : m'entretenir naturellement avec une personne qui n'est pas là. Quand c'est le cas, néanmoins – parce que je sais, en garçon bien élevé, me plier aux impératifs de mon époque –, j'ai l'impression étrange et peu agréable que chacune de mes phrases, y compris les plus anodines, résonne comme une déclaration. Ce qui me coupe toute envie d'aller plus avant.
Bien entendu, je ne dis rien du téléphone portatif, dont la pratique, les rares fois où il m'est arrivé de m'y soumettre, m'a toujours paru profondément humiliante. Au moment où le téléphone a commencé de faire son apparition dans les appartement privés, au début du siècle dernier, une dame “née” disait à l'un de ses amis qui venait de se faire installer un poste : « Ainsi donc, on vous sonne et vous accourez ? » (Je ne me rappelle plus le nom de la dame en question, mais l'ami auquel il est fait allusion plus haut doit s'en souvenir, lui.) Le petit boitier portatif a démultiplié cette dépendance ; et surtout, d'un acte strictement privé, intime presque, comme le sont encore plus ou moins l'accouplement ou la défécation, il a fait une manifestation publique, dont je m'étonne que nous soyons si peu à voir l'éclatante obscénité.
Surtout, je me demande bien par quel maléfique miracle, il est devenu, en une poignée d'ans, si indispensable, si vital, pour la quasi totalité des peuples d'Occident et d'ailleurs, d'être perpétuellement, volontairement, joyeusement joignables. Je mets un point d'honneur, sans doute un peu puéril, je l'accorde, à l'être le moins possible ; c'est ce qui fait que, quand Catherine est absente, comme en ce moment même, je laisse volontiers sonner la machine, pour faire croire que je n'y suis pas non plus. C'est une liberté que l'on peut s'accorder chez soi, mais allez donc laisser interminablement carillonner votre portatif lorsque vous êtes dans une salle de restaurant ou une voiture de train ! Non, rien à faire, il vous faut répondre, encore et encore. Répondre à quoi ? À qui ? Le plus souvent à rien ni à personne.
Je vous appelle pour en parler.
RépondreSupprimerAndouille.
SupprimerJe trouve ça très drôle.
SupprimerLe bon mot que vous citez appartient,si mes souvenirs sont bons, à Sacha Guitry.
RépondreSupprimerSinon, concernant le portable, il est clair que beaucoup n'ont pas conscience de leur addiction et de leur impolitesse quand ils imposent à tous leurs conversations. Pour ma part, je le coupe lorsque je suis dans des lieux publics et à mon domicile. Bref, il ne me sert que durant les heures de travail.
Je ne pense pas qu'il s'agisse de Guitry, à qui on prête beaucoup plus de mots qu'il n'en a eu !
SupprimerMais enfin, je ne suis sûr de rien…
Je viens de vérifier, il s'agit d'Edgar Degas.
SupprimerVoilà, c'est ça ! Du coup, je me suis planté, avec ma dame de bonne famille. Comme quoi, la mémoire, hein…
Supprimerj'ai le même mal. le téléphone peut pleurer,comme aurait dit le chanteur. si je suis seul je ne décroche pas. je n'appelle pas et je ne parle pas au biniou.
RépondreSupprimerpar contre, pour ma part, je suis un peu moins ours [ littéralement медведь , mangeur de miel ] depuis que les SMS sont illimités.
Humiliation seconde, en ce qui me concerne : alors que ma mère (81 ans) envoie des sms comme en se jouant, je suis absolument incapable de réaliser une telle opération.
Supprimer"si vital, pour la quasi totalité des peuples d'Occident et d'ailleurs,..." et ce quelque soit le niveau de revenus des dits-peuples consommateurs.
RépondreSupprimerC'est une chose qui me frappe souvent, quand je m'aventure dans la grande surface la plus proche de chez moi, ces familles qui emplissent leur chariot de merdes bon marché mais qui ont chacun le téléphone dernier modèle (pour ce que je puis en connaître) vissé à l'oreille.
SupprimerY a t-il un produit contre l'amidon ?
RépondreSupprimer?
SupprimerTiens je ne suis pas la seule à dire portatif.
RépondreSupprimerAh mais, je ne le dis pas : je me contente de l'écrire.
SupprimerUn cellulaire chez nous.
RépondreSupprimerOui, je sais : ma belle-fille québécoise dit comme cela.
SupprimerJ'avais trouvé ce mot : "Vous venez quand on vous sonne?" attribué à Forain...
RépondreSupprimerEt voilà, c'est ce que je pensais : on ne saura jamais ! S'il se trouve, comme souvent les mots qui passent d'une personne à l'autre, il n'a peut-être jamais été prononcé. Ou alors pas un type totalement inconnu.
SupprimerC'est en effet Gérard- Amédée Prapille qui est le véritable inventeur de la formule, et il n'a pas laissé son nom à la postérité. Même pas pour ça.
SupprimerUn téléphone portatif, c'est ça :
RépondreSupprimerhttp://www.digitalreviewcanada.com/wp-content/uploads/2012/10/Nokia-Mobira-Cellular-Phone.jpg
Mais il n'y a aucune différence de nature entre celui que vous donnez à voir et ce dont nous sommes (sauf moi) affublés aujourd'hui.
SupprimerJe suis une handicapée du téléphone, le moindre coup de fil est un calvaire (sauf en situation professionnelle étrangement) si bien que le mien est constamment en silencieux et que malgré mon portable je suis généralement injoignable (mes proches m'en faisant régulièrement le reproche).
RépondreSupprimerPar contre j'envoie allègrement tweets, mails et sms. (et commentaire sur les blogs)
Nous sommes tous des infirmes !
Supprimer(Je persiste à récuser le mot "handicap"…)
(Je n'oserai vous traiter d'handicapé, je ne parlais que pour mon cas dans ces termes)
RépondreSupprimer"Le téléphone, cet instrument de domestique : on vous sonne et vous accourez" .Moi aussi je pensais l'avoir lu chez Guitry. En tout cas, moi, j'ai toujours l'impression d'être importuné...
RépondreSupprimerVotre bon mot a été cité plus d'une fois par Sylvain Tesson (qui n'en a pas lui, de téléphone, ni à demeure, ni portatif), mais reste joignable par courrier. La dernière fois que je l'ai entendu y faire référence c'était chez votre ami Ruquier (visionné en extrait différé, je ne suis pas masochiste). Mais il y a d'autres occurrences dans son oeuvre écrite ou audio visuelle. Pour lui la source serait bien Degas Edgar, mais je ne suis pas une référence en matière de Degas ou de références.
RépondreSupprimer"laisser interminablement carillonner votre portatif".
RépondreSupprimerInterminablement n'est pas le mot: savez-vous qu'ils sont programmés pour ne pas dépasser trois sonneries afin de vous obliger à rappeler le correspondant? Mais on peut remédier à ça et voici comment:
http://www.learnup.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=357