Le bref livre d'André Hardellet s'avance sous le signe de Baudelaire, plus particulièrement sous celui de son regret souriant. Lourdes, lentes… c'est cela exactement : 96 pages (Gallimard, L'imaginaire) de regret souriant ; regret des 12 ans de l'auteur, regret de la pêche à la truite au coude de la rivière, regret de la chair opulente de Germaine, la petite bonne de 18 ans, regret des parfums qui s'effluvent à la jonction de ses cuisses. Les évocation sont précises, le passé vivace, la langue est superbe – encore que cette dernière affirmation puisse prêter à confusion, vu les penchants du narrateur en fait d'intimités féminines.
« Lourdes, et lentes. Prenant bien leur temps pour reluire et faire reluire. Nourrices, mères, sœurs. Pleines de lait, de sécrétions, d'organes mous. Les autres, les maigres, les rapides, retournez à vos enfers étroits.
Germaine était lourde, lente. »
Pour avoir écrit et publié ce texte, en 1969, Hardellet poussa l'identification baudelairienne jusqu'à se retrouver quatre ans plus tard devant les tribunaux pour outrages aux bonnes mœurs, en un temps où les affiches de films pornographiques commençaient de couvrir les murs de Paris et autres lieux. Il fut bien évidemment condamné, malgré les soutiens déclarés de gens aussi divers que Pierre Seghers, Hubert Juin, Julien Gracq, Georges Brassens ou le prince Murat. On imagine que ses juges étaient les pères et les oncles de ceux qui, aujourd'hui, brandissent le racisme et les incitations à la haine pour faire pleuvoir les amendes et ouvrir les portes des geôles. Hardellet fut amnistié l'année suivante, puis il mourut.
« Lourdes comme des ventres d'abeilles, comme le vent paresseux, comme le souvenir, comme la couleur de l'orage, comme les yeux clairs, comme une promesse qui sera tenue. Gonflées de lait, de miel et de suc. Le lait d'en haut, crémeux, pour apaiser les oursons voraces et téteurs. Le lait du milieu, le meilleur, entre les crevasses un peu roses, un peu mauves, un peu brunes. Juste une petite giclée d'opale liquide, envoyée par un invisible compte-gouttes. Un peu fade (prends ton fade, Sophie), mais revigoré par le poivre et l'anchois de la vulve. On en boirait des tonnes, en direct, avec une paille, ou à la petite cuiller. Et elle rue, en dessus, geint, délire, vous encourage, secoue ses teignes de désespoir. Vous, la tête à l'étau, brouteur patient, le groin dans la truffe au parfum jamais mis en flacon, vous méprisez votre propre plaisir : c'est le sien qui compte. Catcheuse ruisselante, elle va vous étrangler d'un ciseau de ses cuisses. […] »
Y a pas à dire, on s'y croirait !
RépondreSupprimerC'est ce qu'on peut appeler de la belle langue.
J'attends un autre livre du même d'ici quelques jours : je vous tiendrai au courant…
SupprimerQu'elle est longue l'attente....
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