J'ai déjà parlé ailleurs de cette chanson, enregistrée par Trenet en 1960. Mais comme Maître Jacques me presse amicalement de participer à ce machin qui s'appelle la radio des blogueurs, je vais en redire quelques mots.
Ele n'est pas très connue. Mais c'est l'une des plus bellement nostalgiques que je connaisse, chez un auteur qui est pourtant un expert en ce domaine. Son pouvoir vient, je crois, de ce qu'elle opère sur deux niveaux de nostalgie : celui qui est exprimé et celui que la chanson peut faire naître chez un homme de ma génération – ou d'une autre plus ancienne – à son écoute.
Le premier niveau est simple : en 1960, un homme se demande ce qu'il est advenu de la Madelon, qui servait à boire aux soldats des années seize. Effectivement, on se dit qu'elle doit avoir, à l'aube de la modernité, quelque chose comme 65 ans, ce qui, à cette époque, fait d'elle une vieille dame, surtout si elle est, comme on le suggère, retirée à la campagne ; elle est probablement tout de noir vêtue, ses cheveux sont gris, elle est ridée comme une pomme de grenier.
La seconde nostalgie déboule sans prévenir, quand l'auditeur largement quinquagénaire repense à tous ces anciens combattants de 14 qu'il a pu croiser dans son enfance, encore même dans son adolescence et sa jeunesse, alors qu'ils étaient, sinon dans la fleur de l'âge, du moins dans l'épanouissement tranquille de leur prime vieillesse. On les croisait chez le boulanger ou l'épicier ; on les entendait gueuler un peu, au bistrot, quand on y entrait pour acheter le paquet de gauloise du père ; on les voyait en grande tenue médaillée, rassemblés et nombreux, autour des monuments aux morts villageois, notamment le 11 novembre, qui était leur jour.
Ils se sont clairsemés sans qu'on n'y prenne garde, puis ont disparu sans faire trop d'histoires. Et l'auditeur de Trenet se dit que, même si la Madelon, égalant le record de Jeanne Calment, se révélait encore vivante quelque part entre Provence et Picardie, il ne se trouverait plus un seul homme pour venir frôler son jupon.
Magnifique.
RépondreSupprimerJ'aurais bien aimé mettre cette merveille qui s'intitule Histoire d'un monsieur, mais apparemment elle n'existe pas sur Youtube…
SupprimerIl y a une troisième nostalgie, c'est celle d'entendre ici, avec cette mélodie aérienne et ces mots simples, mélancoliques, portés par cette voix légère, sans rien en elle qui pose ou qui pèse, l'essence même de la chanson, dont le secret semble s'être définitivement perdu...
RépondreSupprimerVous avez sans doute raison, mais c'est une nostalgie que je ne puis ressentir, dans la mesure où j'ignore absolument des chanteurs de ces 20 ou 25 dernières années, et serais tout à fait incapable de les identifier si on me les faisait entendre (et le premier qui s'y risque se prend mon poing dans la margoulette).
SupprimerAh mais non, halte au réacariat automatique en matière de chanson française ! Tiens, rien que pour la provoc, je suggère, à ceux qui osent, d'aller écouter ce chef-d'œuvre de nostalgie tout récent (il est vrai que le chanteur est déjà un peu vieux) :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=wMqt3cX2X7k
Faut pas tendre la perche, aussi.
Si, bien sûr: la nostalgie la plus forte est celle de ceux qui se souviennent d'avoir entendu Trenet, pas si vieux que ça, chanter cette chanson sur scène; que la Madelon soit morte, on s'en fout, mais Trenet, on ne s'en console pas.
SupprimerAinsi que la chanson française aussi, d'ailleurs; ce qui signifie que nous aussi, nous sommes morts: et la vraie nostalgie, c'est ça.
Merci pour ce rappel ! Je me souviens l'avoir entendue à sa sortie (ce qui ne nous rajeunit pas)... Même si je ne suis qu'à moitié fan de Trenet, j'avoue que l'effet est celui que vous décrivez et que le texte est d'une rare élégance.
RépondreSupprimerÀ moitié fan de Trenet, c'est déjà mieux que complètement fan de Jean Ferrat ou de Claude François…
SupprimerNostalgie ? Je crois pas...
RépondreSupprimerDésespoir d'un passé qui n'a jamais existé autrement que dans nos rêves...
Où voyez-vous du désespoir là-dedans ? Et l'époque de la guerre de 14 n'a jamais existé que dans nos rêves ?
SupprimerRéfléchissez un peu avant d'écrire, bon Dieu !
Quel talent !
RépondreSupprimerTrenet, c'est l'équivalent de Hergé pour la bande dessinée : un type qui qui a empoigné un art très mineur et qui a réussi à y faire une œuvre. Deuxième équivalence entre eux : ils sont absolument les seuls.
SupprimerTiens tiens, je crois bien avoir écrit ça il y a un siècle sur mon blog…
SupprimerN'y voyez aucune méchanceté, mais je m'amuse à constater à quel point la certitude de posséder une culture classique peut rendre bêtement dogmatique à l'égard des "nouveautés" en général.
SupprimerIl n'y a pas d'arts "mineurs" ni "majeurs", sans quoi tous les films seraient ou parfaitement bons, ou parfaitement mauvais. L'évidence est plutôt qu'il y a des chefs-d'œuvre et des navets, comme dans tous les arts.
C'est un peu la même chose qu'avec Hugo : certains esprits sont incapables de comprendre qu'on puisse le trouver mineur sous le seul prétexte qu'il est... officiellement majeur (principalement dans les anthologies du début du XXe siècle où on lui réservait cinquante pages alors que Baudelaire en avait trois et Rimbaud... aucune).
Fort heureusement des esprits neufs se lèvent de loin en loin, qui n'ont pas ces préventions et exhument des Rimbaud ou des masques nègres, sous les hauts cris de l'élite bien pensante classificatrice. On finit alors par s'apercevoir que c'est de l'art, quand même.
Et puis de nouveaux esprits étroits remplacent les anciens. Ils entérinent les découvertes de la génération précédente sans accepter ce que leur époque présente de neuf. Ils considèrent qu'Hergé est un artiste mais pas Franquin ; que Trénet est un poète mais pas Thiéfaine, sans s'apercevoir qu'ils sont dans la même posture que ceux qui, cinquante ans avant eux, considéraient le jazz comme de la musique de nègres.
Alors précisément que le jazz est essentiellement une musiquette d'ambiance faite pour donner envie de bouger son cul. Mais non : puisque on a décidé, en haut lieu, que l'on pouvait paraître sérieux en l'appréciant, on l'apprécie. On s'autorise à l'apprécier. Pas la peine d'y comprendre quoi que ce soit.
Le coup de Hergé est caricatural. Tous les gens incapables de comprendre la bande dessinée vous raconteront la même chose : c'est le seul qui vaille. Lui était un artiste, etc. Les plus jeunes et plus hardis choisiront Comès ou Tardi. Mais dans tous les cas il ne s'agit que d'adopter une posture à l'égard de ce que l'on croit être les convenances intellectuelles.
Je n'ai vraiment pas le courage, ce matin, de reprendre cette éternelle discussion…
Supprimer"Je n'ai vraiment pas le courage, ce matin, de reprendre cette éternelle discussion…"
SupprimerMoi non plus, d'autant plus qu'il suffit de comparer trois secondes de la chanson de Trenet au brouet de Thiéfaine que nous a proposé Marco pour que le débat soit tout de suite clos.
Ah bravo ! On balance des vérités gratuites sur Hergé et Trenet, les arts mineurs et majeurs, ce qui vaut cher et ce qui ne vaut rien, et puis après on n'assume pas !
SupprimerLe problème de ce genre de billet est toujours le même : tout le monde y va de son déclinisme basique, "la chanson française est finie", etc. - sans jamais se donner la peine de prendre en compte ce qui se fait réellement aujourd'hui.
La nostalgie est un sentiment fort et qui suscite maints chefs-d'œuvre, AUJOURD'HUI ENCORE !!! (si je puis me permettre de le hurler ainsi).
Nous sommes même spécialement une époque de nostalgie et il faut manquer de cœur pour ne pas voir que c'est aujourd'hui, dans la production la plus contemporaine, que ce sentiment s''exprime le plus à plein.
Il y a aussi une forme d'égocentrisme à considérer que rien de bon ne se fait aujourd'hui. On se flatte d'avoir connu la "grande époque" et on se rassure de voir que notre mort ne nous privera de rien. Tout ceci me paraît assez puéril (ou plutôt assez sénile, en fait). Il est beaucoup plus intéressant de rechercher où les génies de notre époque ont choisi de faire leur œuvre. Et, surprise, ce n'est pas dans la chanson "à la française" type Trenet, ni dans la "symphonie" à la Boulez, ni, d'ailleurs, dans la Bande-dessinée, mais par exemple (à mon humble avis) dans la musique "amplifiée" (comme disent les cuistres), c'est-à-dire dans le rock et ses suites.
Mais pour comprendre une telle chose il convient de ne pas se prendre pour le centre du monde et d'oser aller voir ce que font les jeunes.
Ça ne sert vraiment à rien.
SupprimerJ'assume parfaitement ce que j'ai dit. Mais je n'ai pas envie de reprendre pour la douzième fois (au moins) cette fausse discussion, dont nous savons que, comme le dit Georges, elle ne nous mènera nulle pas.
SupprimerAdmettons donc que vous avez entièrement raison et n'en parlons plus.
Vous nous prenez pour des débiles et des sourdingues, Marco Polo. Figurez-vous que si quelqu'un avait autant de talent qu'un Trenet, aujourd'hui, je serais le premier à le dire. Ce n'est pas parce que vous avez mauvais goût qu'on devrait se sentir gêné de ne pas le partager. Mais vous allez immédiatement huerler, bien sûr : QUOI, MAUVAIS GOÛT, QUI A DÉCIDÉ DU BON ET DU MAUVAIS GOÛT, C'EST IGNOBLE, C'EST INJUSTE, C'EST MÉPRISANT, C'EST ANTIDÉMOCRATIQUE. Oui, le goût est injuste et antidémocratique. Ou, plus exactement, le goût ni n'est juste ni injuste, ni démocratique ni anti-démocratique, il est juste ou faux, comme les quintes, les quartes et les octaves.
SupprimerPour le jazz qui serait "de la musique de nègres"… Mais oui ! Le jazz EST de la musique de nègres. J'adore la musique des nègres, moi, contrairement à vous.
SupprimerCe qui ne sert à rien c'est de donner son avis au lieu de réfléchir.
SupprimerD'autre part, la discussion n'a pas vocation à se terminer sur l'accord total des interlocuteurs, il me semble. Il est vrai cependant que le sujet n'est pas neuf et que le débat n'a pas mené à grand-chose.
Alors soit, j'arrête et vous laisse animer le club des ronchons passéistes. (smiley, et tout ça...)
Je disais donc : Quel talent ! Trenet, Hergé, Maurice Denis, Debussy, Beethoven et tant d'autres. Cela ne se théorise pas, ne s'explique pas ou alors du bout des lèvres. Je ne suis pas nostalgique, je suis jaloux…
SupprimerEt Marcel Amont, merde !
SupprimerVotre petite Verlaine…
RépondreSupprimerMerci ! Belle interview, notamment la manière dont il parle du public et de sa propre "rentrée".
SupprimerCharles Trénet présenté par Didier Goux : un enchantement !
RépondreSupprimerCharles Trenet (sans accent, s'il vous plaît…) n'a nullement besoin de Didier Goux : il est l'enchantement de la chanson française. Les autres, à côté, tous, sont d'assez pesants rimailleurs.
SupprimerAh le beau "passeur" que voilà, qui s'insurge lorsqu'on lui dit que l'entendre parler de Trenet est un enchantement !
SupprimerQuel eût été l'intérêt d'écrire un commentaire expliquant que je n'avais pas eu besoin de vous pour accéder à Trenet ?
Je fais partie d'une famille de six enfants qui écoutaient et "La Madelon", et Charles Trenet, et des dizaines d'autres disques sur un gramophone qu'on remontait fébrilement des après-midis entiers.
Ai-je eu tort d'imaginer que, vous lisant, certains, plus jeunes que vous et moi, auraient pu s'intéresser de plus près à cet art si subtil de Trenet, fait tout à la fois de simplicité et d'élégance ?
Je ne l'espère pas.
C'était juste un accès de fausse modestie…
SupprimerJe ne me rappelle pas de votre billet à propos de Serge Lama mais très bien de celui au sujet d'Alain Delon.
RépondreSupprimerL'affiche du film était fantastique : "Lama, Delon : viens nous servir à boire".
J'étais en retard de trollage, j'essaie de rattraper.
C'est nul ! Allez vous coucher ou reprenez une bière, mais cessez de troller les blogs de l'élite intellectuelle de ce pays !
SupprimerJe croyais que j'étais sur votre blog. Désolé.
Supprimer" Lama,Delon"; j'ai ri, désolé!
SupprimerEt cet air, le connaissez vous?
https://www.youtube.com/watch?v=FZWDferfw3I
Les musiciens et le chanteur sont de min coin des gars de ch'nord;
Sinon Armand Mestral l' aussi interprétée.mais impossible de la trouver
Elle doit avoir au moins 40 ans, celle-là ! Je mùe souviens qu'elle était sortie dans Pilote…
SupprimerPour "Le rêve passe", il faudrait signaler les derniers vers à la L.I.C.R.A. : "Fiers enfants / De la race / Sonnez aux champs / Le rêve passe." (d'autant plus qu'il s’agit d'un chant à la gloire de cet esclavagiste de Napoléon).
SupprimerBen si, très facile à trouver, c'est ici:
Supprimerhttp://www.musicme.com/#/Armand-Mestral/albums/Anthologie-%28Vol.1%29-3259119704324.html
Il faut cliquer, dans la liste de chansons de l'album, sur "Le rêve passe".
Moi j'aime bien le rap des origines.
RépondreSupprimerJ'aimais beaucoup Amont, quand j'étais enfant : il y avait, chez mes parents, un 45 tours qui comprenait la chanson que vous donnez en lien, Les Bleuets d'azur, une que j'ai oubliée et enfin une espèce de parodie du Only you des Platters écrite par Aznavour. Ma mère doit l'avoir encore, j'imagine.
SupprimerTiens, pour votre punition, je vais vous retrouver le panégyrique que j'avais écrit sur Claude François.
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