dimanche 8 juillet 2012

Ulysse : trouver le bon angle d'Ithaque


À Ygor Yanka, qui m'a poussé à l'eau…

Ayant depuis peu doublé le cap de la page quatre centième, après être comme chacun tombé de Charybde en Scylla, puis ressac vers le premier, ballotté-ci, ballotté-là, avoir frôlé des basses sans doute meurtrières, franchi des détroits glougloutants, deviné des abîmes proches, affronté des commencements de mutineries, mis fin autoritairement à des beuveries intempestives de second pont, et m'étant aperçu avec presque de l'inquiétude que j'étais toujours en vie, bien que fatigué et la peau craquelée de sel dans ses moindres replis, il m'est apparu que la lecture d'Ulysse ne consistait pas simplement à suivre sur une carte une seconde Odyssée à proportions dublinesques, mais qu'il fallait bel et bien refaire soi-même le périple primordial, avec ce que cela suppose et entraîne de découvertes dangereuses ou belles ou les deux, d'ennui profond, de découragements lacrymaux et de puériles exaltations, entre le buveur cyclopéen dans son antre et les horripilantes sirènes de la grève. Dans ces conditions, revoir Ithaque n'est plus du tout un but, c'est un impératif catégorique ou quelque chose comme ça, d'aussi encombrant et malcommode à manier – surtout en voyage. On se dit que Pénélope ne perd rien pour attendre ; et on rame.

26 commentaires:

  1. Bon courage ! Maintenant, il y a un truc que j'ai utilisé dans ma lointaine jeunesse (quand les livres n'étaient que sur du papier, pas sur un smartphone). C'était l'été des vacances, tiens, comme maintenant. Mon truc ça avait été d'alterner la lecture d'Ulysse et celle de la Montagne magique. Rien de plus reposant. J'ai acheté Les Fiancés de Manzoni, mais j'avoue que cet été, je renâcle (je me fais vieux). Je suis à la recherche d'un deuxième pavé pour refaire le coup de l'alternance. Vous avez une suggestion ?

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    1. Personnellement, j'alterne avec les Confessions de Jean-Jacques : c'est très reposant aussi, j'ai l'impression de tout comprendre.

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  2. Robert Marchenoir8 juillet 2012 à 12:27

    Quatre cents pages de l'Ulysse de Joyce ? On gagne quelque chose, là, normalement.

    Faudrait penser à passer retirer votre cadeau au guichet de la mairie, m'sieur Goux.

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    1. Catherine vient de rentrer en m'annonçant qu'elle venait de réaliser une économie de cent cinquante euros : on doit pourvoir considérer ça comme mon cadeau…

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  3. Le Oui final sera votre récompense.

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    1. Comme je n'ai pas pu résister à l'envie d'aller voir la dernière phrase avant même de commencer, je connais déjà l'existence de ce point d'ancrage !

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  4. Je suis tombé sur "Ulysse" par hasard, très jeune, alors que j'étais dans Stendhal, Balzac et les bons gros littérateurs français bien de chez nous et donc très rassurants. J'étais sans doute fort réceptif, parce que j'ai pu lire ce livre jusqu'au bout, en 3 jours et en ne faisant que ça. Il est vrai que la difficulté ne me rebutait pas, car je m'étais déjà frotté à Faulkner qui me fascinait ("Absalon, Absalon !"). Je ne jurerais pas avoir tout de suite pigé. Les premiers chapitres avec Dedalus me tapaient sur les nerfs, sauf les scènes sur la grève, la description des vieilles ramasseuses de coques et le chien fureteur. C'est l'apparition du brave Leopold Bloom qui m'a convaincu de poursuivre. J'ai aimé et j'aime toujours ce personnage clé. Ensuite j'ai lu sur Joyce et sur "Ulysse" (notamment le remarquable bouquin de Frank Budgen sur la création d'Ulysse). La complexité phénoménale et les correspondances subtiles avec "l'Odyssée" d'Homère m'ont d'autant plus intéressé que j'avais lu "l'Odyssée" dans ma période gréco-romaine. "Ulysse" est bien plus qu'une histoire. Toute la littérature est là-dedans et Joyce n'était pas complexe pour être complexe. Me fascinait aussi le fait que Joyce parvenait avec maestria à tout décrire (je débutais dans l'écriture et je voulais tout pouvoir écrire, tout décrire). Joyce m'a donc appris à regarder et m'a donné le sens de la perspective en littérature et celui du travelling, de la focalisation externe et interne, des plans à la manière cinématographique. Joyce n'écrit pas à la française (plan linéaire, égale distance entre les personnages, narrateur unique, etc.), et si c'est déroutant au départ, c'est d'une richesse incroyable pour un écrivain, toute la palette s'y trouve, sans compter que les personnages forment une sacrée galerie pas mal colorée, dont Bloom est à la fois l'axe et la courroie de transmission, le point d'équilibre. J'ai donc lu et relu ce livre, pour chaque fois y découvrir quelque chose de nouveau. Et c'est un plaisir dont je ne connais pas d'équivalent en littérature (sauf avec Faulkner et moindrement avec Proust). En fait il ne faut pas s'attarder sur ce qu'on peine à comprendre et ne pas se décourager. Il faut se faire confiance. À un moment donné la pièce tombe, le brouillard se dissipe. Ce n'est qu'après avoir lu "Ulysse" qu'on se découvre riche soudain. Je n'ai pas de conseils à vous donner, sauf de poursuivre. Et celui peut-être, ensuite, de lire le bouquin lumineux du peintre Budgen (qui fréquentait Joyce chaque jour à Zurich pendant que ce dernier écrivait "Ulysse"). Ce livre permet de comprendre plein de choses a posteriori. Si vous trouvez quelque part le tableau des correspondances d'"Ulysse" établi par Stuart Gilbert, ça peut vous aider (Titre, Scène, Heure, Organe, Art, Couleur, Symbole, Technique narrative). J'ajoute que je suis resté fidèle à la première traduction par Auguste Morel (revue par Valéry Larbaud, Stuart Gilbert et Joyce lui-même).

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    1. Je viens de commander le Budgen (vais encore me faire appeler Arthur, moi !) à l'instant. Pour l'explication chapitre par chapitre, on la trouve sur Wikipédia, mais hélas incomplète.

      Vous avez tout à fait raison : depuis une centaine de pages, je ne me soucie plus du tout de ce que je comprends, repère, identifie ou non : je suis embarqué, j'irai jusqu'au terme. Quitte à recommencer ensuite.

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    2. Des fois, je voudrais être libraire et n'avoir qu'un seul client : vous. Je retournerais peu d'invendus et j'en aurais des en or.

      A parte : bien reçu votre envoi postal.

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    3. Moi qui voulais t’apporter des camemberts, l’argent aura été dépensé en livres, tant pis pour toi. Mais en plus, je suis sûre que que tu es content de te sacrifier.

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    4. Je suis allé visiter la page Wikipédia consacré à l'Ulysse de Joyce, et j'ai rapidement arrêté de lire par peur de déflorer le mystère, mais c'est la première fois que je vois un commentaire d'oeuvre si détaillé sur Wikipédia.
      Ceci m'amène à une réflexion sur ce qui fait la nature d'oeuvre majeure de l'Odyssée d'Homère, si vous avez des idées ?

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    5. C'est un peu comme Blase Cendrars, non ?

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  5. @ Curmudgeon

    Un second pavé ? Musil, "L'homme sans qualité", peut-être.

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    1. J'y ai pensé, mais j'ai peur de m'ennuyer.

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  6. Ca me fait penser que j'irais bien prendre une bière au Temple Bar cet été...

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  7. En clair, Didier nous explique que la lecture d'Ulysse est pour lui un véritable supplice, non ?

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  8. Il faut peut-être se retenir de trop lire autour d'Ulysse, ou sur Joyce :
    http://pauledel.blog.lemonde.fr/2012/06/18/joyce-avec-ou-sans-nora/
    Une des vertus de l'Odyssée, c'est qu'on ne sait rien sur M. et Mme Homère.

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  9. Un mot sur les whiskeys. Prudence recommandée aux timorés : "A l'extrême, les whiskies tourbés développent des arômes de poisson fumé, voire même de caoutchouc brûlé."
    http://www.whisky.fr/elaboration-du-whisky/la-tourbe/

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  10. Cest dommage que vous n'ayez pas fait des liens cliquables...

    Où l'on reparle de Cecil Saint Laurent.

    A ce sujet, on conclura en relevant la réplique la plus discrètement surréaliste de La bourgeoise. Elle est de Catherine, qui évoque sa liaison ratée en mai 68 avec un universitaire de la Sorbonne et qui constate : “Il avait un sexe énorme, je n’aurais jamais cru ça d’un professeur.”
    Wouarf !

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  11. Joyce, quelque part, est un écrivain pour écrivains, d'où peut-être le vif intérêt des hommes à plume pour "Ulysse".

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    1. C'est vrai, et c'est peut-être une faiblesse. C'est une faiblesse dont sont exempts, par exemple, La Fontaine, Alexandre Vialatte (ce n'est pas la chose la moins admirable qu'il ait écrit dans La Montagne).

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  12. Quelque part j'ai l'impression que vous avez fumé un pétard, Yanka.
    Et qu'en plus vous ne lisez pas vos mails.

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  13. Oui, j'aurais dû me souvenir des balises pour les liens hypertextes. Le CSL est rigolo. On a de ces préjugés, je vous demande un peu !

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  14. Je lis mes mails, mais quand je vous réponds les mails me reviennent !

    The following message to was undeliverable.
    The reason for the problem:
    5.1.0 - Unknown address error 550-'Requested action not taken: mailbox unavailable'

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    1. Entre "to" et "was" figure votre adresse email, mais je ne la mets pas ici.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.