mardi 23 octobre 2012

Complainte de l'époux abandonné (avec accompagnement mélancolique à l'ophicléide)

 Le mariage est une drogue dure. Plus exactement, c'est le couple qui l'est ; le mariage joue alors, sans doute, le rôle de ces substances aux noms imprononçables que les manufacturiers du tabac ajoutent à leur herbe pour la rendre plus addictive. Mais enfin la drogue est là ; et, les années passant, le manque survient de plus en plus vite.

Catherine n'était pas dans le train depuis une demi-heure que, à peine revenu de la gare de Vernon où je l'avais conduite, je commençais à trouver le temps long et morne. Je tentais bien de me distraire avec les moyens du bord, d'abord en déjeunant, puis en faisant l'effort de m'intéresser aux malheurs de ce pauvre César Birotteau ; j'y parvins à peu près, du reste, mais pas aussi complètement que si Catherine s'était trouvée là, à lire elle aussi, dans le canapé voisin : il y avait comme un écran translucide entre la page et mon regard, entre les phrases et mon esprit errant. Sans cesse, je m'évadais de la rue Saint-Honoré et de ses alentours pour tâcher de passer en revue les maigres distractions dont j'allais devoir meubler ces trois jours de solitude (dans ces cas-là, les chiens ne comptent plus que pour à peu près rien ; j'espère qu'ils n'en prennent pas conscience), en me rendant bien compte qu'elles étaient d'une dérisoire maigreur : descendre acheter le pain à Pacy… tour des blogs… lecture… tour des blogs en sens inverse… lecture… goûter… comptage des heures me séparant du dîner des chiens, cet unique point fixe de la journée du solitaire peu habitué à l'être… lecture de plus en plus incertaine, livre tombant sur la bedaine et les yeux lâchant prise (ce que mon père appelait “lire à poings fermés”)…

Évidemment, à l'issue de toute cette frénésie immobile, survient la récompense de l'apéritif. Mais c'est un trompe-l'œil : que vaut l'alcool bu s'il n'est pas le prétexte à toutes sortes de conversations inutiles, de ces précieuses futilités de l'esprit à qui il permet de virevolter dans l'air quelques secondes, portées par la fumée des cigarettes ?

Et puis, cette fausse récompense, il convient de la retarder le plus possible. Sinon, on prend le risque de se retrouver au lit dès huit heures du soir. Et alors, les chiens qui se retrouvent enfermés à une heure inhabituelle, et demain matin la flaque de pisse dans le salon… On me dira que l'éponger fera toujours une occupation bienvenue. Sans doute, mais avant même le premier café… et avec la vague gueule de bois consécutive à la veille…

Il y aurait toujours la ressource de prendre la voiture et d'aller revoir la cathédrale de Rouen, ou le pavillon de Flaubert à Croisset, bien sûr… Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre, de la cathédrale de Rouen ? Et du pavillon de Flaubert ? C'est ma femme que je veux, bordel !

58 commentaires:

  1. Une autre très belle façon de dire "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" !
    J'aime beaucoup.
    Geneviève

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  2. P'tain vous êtes à se flinguer aujourd'hui !
    J'ai souvent ce genre d'états d'âme, dans ma lointaine Helvie, quand je suis seul, que la nuit tombe tôt.
    Et il me semble alors que la compagnie d'un animal n'est pas si dérisoire.
    Ces moments de solitude sont absolument necessaires pour bien mesurer ce à quoi nous tenons le plus.

    fredi, spécialiste en lieux communs.

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  3. La prochaine fois que Catherine se casse vois m'invitez. Pour la bouffe et le cul, vous vous démerdez mais pour raconter des conneries à l'apéro, vous pouvez compter sur moi.

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    1. Oui, mais son absence tombe en milieu de semaine : je vous voyais mal venir prendre une caisse ici et repartir bosser le lendemain matin avant l'aurore…

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  4. Si l'Irremp l'ignorait, maintenant, elle le sait. Vous décrivez fort bien l'absence.

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  5. Émouvant, même pour le solitaire que je suis et qui ne parvient plus à concevoir une vie totalement partagée. Cette triste langueur qui s'empare de vous me semble participer de votre bonheur.

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    1. Pas faux : il y a la joie du retour, la satisfaction de tout voir rentrer dans l'ordre.

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  6. Cette triste langueur qui s'empare de vous me semble participer de votre bonheur.

    Ben j'ai pas l'impression....

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  7. Et voilà....Je vois le tableau:
    Il est parti picoler au coin de sa cheminée, son clebs sur ses pantoufles.

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  8. Robert Marchenoir23 octobre 2012 à 21:01

    La solution consiste à poser quelques dalles de placoplâtre ou à recâbler l'électricité de la maison.

    Ca permet de tenir une bonne quinzaine de jours.

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    1. Si seulement....

      Catherine.

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    2. Cher Robert, vous exposez là un remède à toutes les angoisses. J'y ai recours et c'est la paix de l'âme. Le placo, le recâblage : deux clés du bonheur tranquille.

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    3. À titre personnel, je suis contre les solutions dictées par le désespoir…

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    4. Robert Marchenoir24 octobre 2012 à 11:43

      Cher Jacques, en fait je pense que l'inventeur du placo devrait être condamné pour crimes contre l'humanité : mettre du carton sur les murs (surtout du carton vert !...) est un signe sûr d'une dégénérescence de la civilisation, mais c'est pour donner une idée.

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  9. Belle déclaration.
    Mais quand même : tout ça pour lui foutre les boules, c'est vache.

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    1. Vous êtes le seul à avoir noté cet “arrière fond”…

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  10. Pôvvvvv tit... T'es trop mignon.
    L'irrempe.

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  11. Hmm... Du bor tjekke hvor hun VIRKELIG er maske...

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  12. Merci pour ce titre qui m'a aussi fait penser à une des joies de mon adolescence : le tango interminable des perceurs de coffre-fort.

    Sinon, merci pour ce beau billet d'une belle et franche simplicité. Vos trois jours de solitude, ça fait quatre ans que je les vis. Et elle me manque comme au premier jour. Inconsolable.

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    1. Avec ces histoires de lesbiennes qui veulent la procréation maternelle assistée, faudrait pas voir à en rajouter.

      Il est où le vieux ?

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    2. Le vieux il était au lit ! Sinon, oui, il y a du gazon à tondre. Mais pour le faire, il faudrait que ce maudit gazon accepte de sécher durant la journée…

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  14. Bon, je vois que tout le monde pleure d'émotion.
    Un peu facile non, comme effet: Harlequin, Duo...
    La majorité de vos commentateurs qui détestent à peu près le monde entier est en train de fondre sur des facilités assez grotesques d’absence, d'amour, de fidélité qui sont certainement( on vous en fait tout à fait crédit) sincères mais peut-être pas tout à fait leur place dans un blog politique.

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    1. Bizarrement, le seul commentaire "détestant" c'est le votre Ludovique453…

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    2. Pourquoi ai-je mis "Bizarrement"?

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  15. "Absence, amour et fidélité" sont à peu près aussi inconnues de la secte de Ludovic12 que la lucidité politique. Il trouve que ce sont des "facilités grotesques". Quel beau monde nous attend… C'est sûr que l'exemple vient d'en haut !
    Je réponds au nom des commentateurs agressés ("La majorité de vos commentateurs qui détestent à peu près le monde entier"), commentateurs dont bien sûr je ne fais plus partie.

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    1. Personnelement je ne déteste personne, même pas Ludotruc786

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    2. Pour en revenir au sujet :

      Sérieux :
      Proust avait raison…l’œuvre d’un écrivain n’est pas issue de son “moi social” mais d’une expérience le plus souvent insoupçonnable par ses contemporain, ses relations, ses amis, son entourage immédiat.. Les livres viennent de la solitude, du silence, de l’inavouable, d’une ombre mobile et jalousement protégée.

      Cynique :
      « Le mariage c'est résoudre à deux les problèmes qu'on n'aurait pas eus tout seul. » (Sacha Guitri)

      Romantique :
      Je me disais qu’une triste chose de notre condition misérable, était l’obligation d’être sans cesse vis-à-vis de soi-même. C’est ce qui rend si douce la société des gens aimables : ils vous font croire un instant qu’ils sont un peu vous ; mais vous retombez bien vite dans votre triste unité. Qui! l’ami le plus chéri, la femme la plus aimée et le méritant ne prendront jamais sur eux une partie du poids? Oui quelques instants seulement. Mais ils ont (eux aussi) le manteau de plomb à traîner. (Delacroix dans son Journal)

      et pour Ludoviquœud67 :
      « Il y a des gens qui augmentent votre solitude en venant la troubler. » Sacha Guitry


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    3. Monsieur Y, si Ludo dit que vous détestez le monde entier (et Carine aussi, d'ailleurs), c'est que c'est vrai ! Ce garçon est un professionnel de la vérité qui nous laisse tout nus.

      Et je me joins à Anna pour les remerciements.

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    4. J'ai dit que Monsieur Y déteste le monde entier, moi ?

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    5. C'était de l'humour Carine. De l'humour

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  16. Merci pour ces jolies citations, cher monsieur Y.

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  17. Du coup pour vous, les repères sont les jours ou les heures?
    Vous vous dîtes "Ca y est, plus que deux jours à attendre"? ou bien "encore 36 heures" par exemple?
    Ou, peut-être en demi-journées?
    Je me demandais comment vous perceviez le temps qui passe quand vous n'êtes pas avec votre femme.
    De quelle manière vous fragmentiez cet espace temporel?
    En écrivant, je me dis que c'est peut-être l'apéro. "Plus que 2 apéros avant que Catherine revienne!"
    C'est très bien décrit cette absence, je pense que nous pouvons facilement nous identifier. C'est mon cas.
    Bonne journée, en vous souhaitant qu'elle passe rapidement.

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    1. Aïe!
      On aurait presque envie de dire que dans la vie aussi, il y a des heures creuses.
      Heureusement qu'à partir de 18 heures, arrivent les heures liquides.

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  18. Ce texte est beau, tout simplement. Il est criant de sincérité, il n'est pas "travaillé" pour quelque effet, il est un souffle tiède, sans posture, il est un élan d'amour, un aveu murmuré d'un peu plus près. On traîne l'absence tel un boulet silencieux à l'extérieur, assourdissant et pesant à l'intérieur. J'veux d'l'amour, pas tantôt, pas d'taleur, tout'suite, tout'suite...


    ...Bien sûr, on ne connait pas les chiens, on ne connait pas la vie qu'ils mènent, leurs habitudes etc...Mais vous devriez trouver dans leurs regards des similitudes à votre tristesse, je crois (je connais...). Le chien devine tout et ressent tout. Regardez-les bien dans les yeux, ils partagent à leur manière votre tourment. Ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous qui passons. Passez le plus vite possible cette parenthèse de malaise, c'est mon vœu le plus cordial.

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    1. Il est bien certain que les chiens sentent parfaitement le plus petit changement dans leur routine (et dans la nôtre). et il va de soi que l'absence de Catherine en estune, qu'ils ne peuvent pas ne pas remarquer.

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  19. Robert Marchenoir24 octobre 2012 à 13:03

    Sans rapport (à première vue). Soutenez financièrement Génération Identitaire pour les aider à résister à la répression qui les attend :

    http://www.generation-identitaire.com/faire-un-don/

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  20. "Ce garçon est un professionnel de la vérité qui nous laisse tout nus".

    Non, je ne sais rien, je me contente de lire les notes publiées jour après jour sur ce site et leurs commentaires, et je ne peux pas dire qu'elles sont une ode à la fraternité universelle. Mais après tout, vous avez tout à fait le droit d'exprimer vos préférences, vous êtes chez vous.
    Ce qui me gène en revanche, c'est le mélange des genres, c'est ce que je me permets de critiquer,on ne cesse ici de nous alarmer sur l'existence de méchants, d'envahisseurs, d'étrangers, de racailles,qui se vautrent jusque sur le pas de nos portes, et le couteau entre les dents et la rage au ventre menacent notre culture, notre identité, veulent manger notre pain, terrorisent nos femmes et nos enfants à qui ils bouffent les pains au chocolat, et planifient dans leur noirceur je ne sais quel projet de nous remplacer et en face on propose, comme une image pieuse dans un livre de messe, une scène intimiste, lénifiante, impudique dans ce qui est le secret des couples, une sorte de bonne conscience amoureuse d'un puritanisme assez grotesque.
    C'est un jeu un peu malhonnête.

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    1. Bien entendu l'actualité est malhonnête, les prisons sont malhonnêtes, l'appel à la misère par les socialistes est malhonnête, et bein dîtes-donc, vous semblez indigné par l'indignation.
      Un exemple concret: les jeunes des quartiers pop qui font de la moto sous vos fenêtres, à qui vous ne pouvez rien dire, ou encore les gamins de 12 ans qui traînent en bande le soir, tard, avec les grands, et qui rendent la vie de quartier épouvantable, qui racourcissent les nuits des habitants ça aussi c'est malhonnête de le souligner?
      Vous ne comprenez pas que les emmerdeurs on ne les supporte plus? Allez dire aux flics et profs qui se suicident que ces petits connards qui empoisonnent la vie des autres, à qui les parents ne disent jamais rien, et que le gouvernement aime tant victimiser, vous les trouvez gentils. Allez leur dire qu'ils sont vos petits frères.

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    2. Ludovic12, sans chercher à faire de la psychologie du magazine dédié à icelle, votre commentaire est édifiant en terme de projection mentale.

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  21. Robert Marchenoir24 octobre 2012 à 15:16

    En quoi est-ce malhonnête ?

    C'est vous qui êtes malhonnête, ou perverti, au point de ne savoir distinguer le bien du mal.

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  22. Une merde est une merde, on aura beau la recouvrir d'un drap rose, il n'y aura que la gauche pour la trouver jolie!

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  23. "au point de ne savoir distinguer le bien du mal".

    En effet et je ne m'y hasarde surtout pas.je vous le laisse, vous le faites si arbitrairement.

    En revanche je sais distinguer l'immonde de l'humain!

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    1. Distinguer le cerveau du coeur, vous ne l'avez pas appris?
      La dictature du sentiment amène à l'inhumain, ça vous avez bien raison.
      Où avez-vous vu dans la nature que l'animal aimait se laisser emmerder?
      Ce n'est pas parce qu'on n'aime pas se laisser emmerder qu'on est inhumain.
      Qu'il sera bon le jour où on (la gauche) vous verra admettre que l'être humain est naturellement bon, mais aussi mauvais.
      Oui, nous avons tous un coeur, mais beaucoup, comme les empoisonneurs du quotidien (racaille et cie), ne veulent pas s'en servir. Alors à eux nous devrions dire qu'ils ont raison de vivre à l'état de primate? Et bien vous êtes fou de croire un truc pareil!!
      L'auto-défense est humaine et vous êtes bien plus arbitraire que nous.

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  24. L'Helvie, cher Didier, c'est l'ancien nom du Vivarais ou de l'actuelle Ardèche si vous préferez.
    Elle était peuplée d'un petit peuple gaulois: les helviens.

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  25. "on ne cesse ici de nous alarmer sur l'existence de méchants, d'envahisseurs, d'étrangers, de racailles,qui se vautrent jusque sur le pas de nos portes, et le couteau entre les dents et la rage au ventre menacent notre culture, notre identité, veulent manger notre pain, terrorisent nos femmes et nos enfants à qui ils bouffent les pains au chocolat, et planifient dans leur noirceur je ne sais quel projet de nous remplacer et en face on propose, comme une image pieuse dans un livre de messe…"

    Ludovique007, Heureusement que vous êtes là pour faire la différence entre "l'immonde et l'humain"… J'aime bien, c'est beau, on se croirait dans un film avec Bruce Willis. Nous les "immondes on est comme ça voyez-vous, on stigmatise les dimanches matin à la messe en plantant des épingles dans des images pieuses… c'est une vieille manie et c'est assez distrayant, vous devriez essayer!

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.