vendredi 30 novembre 2012

Remontée de fièvre

La fièvre, lorsqu'elle devient étale, et pour ainsi dire nonchalante, est une manière d'établir le contact avec Dieu. Ou, au moins, avec des contrées étranges parce que jamais vues. Ces quelques degrés supplémentaires (mais il n'en faut pas trop) font naître des plaines aux herbes bizarres, aux arbres tors, vaguement montueuses par endroits, dont on n'aperçoit pas la fin, tout en sachant qu'elle est sans doute là, proche, derrière le petit tertre qu'il est difficile de déterminer naturel ou humain.

Cette plaine est tout entière emplie de Dieu, malgré le soleil écrasant qui vous fait jaillir en eau, et le froid brutal qui s'abat soudain – et les dents claquent. L'homme, soudain plus petit que ce qu'il imaginait, marche sans avancer, il arpente en rêve éveillé, et pourtant le paysage change sans cesse. S'annoncent à l'horizon des villes fatiguées, d'un bleu méditerranéen, et juste après de colossales cités lovecraftiennes, vides d'habitants gigantesques morts depuis longtemps, depuis si longtemps qu'on peut à peine les dire morts.

On marche. Le corps met une sourdine à ses besoins fondamentaux, tout en rappelant à chaque instant ses exigences, qui ne peuvent plus être convenablement nourries, mais ne doivent pas être oubliées, sous peine de dessèchement physiologique - et peut-être pis. On attend avec une impatience résignée les rougeoiments du soir, les cris des corbeaux retour au nid, pour aller s'acagnarder à un rocher de granite noir, qui nous protègera tout à la fois des regards hostiles et des frissons intérieurs – croit-on. L'eau, qui fait défaut partout autour, jaillit de soi, salée et collante, et l'on sent, tout pareil, la nuit glaciale prête à couler de la même source organique.

On a un peu peur, mais pas tellement que cela. Il y a grâce au ciel – devenu invisible – cette bulle isolante, ovoïde et dure, impassible, qui protège des loups errants et des meutes d'humains saccadés en quête d'abreuvoirs. L'homme s'endort. Sommeil peuplé de courbatures fugitives, de visions trop présentes pour être honnêtes, de visages de femmes qui auraient dû être depuis longtemps oubliés, et qui l'ont été.

Durant le sommeil, la fièvre entretient le feu qui éloigne les bêtes dangereuses, aussi celles qui ne demandaient sans doute qu'un peu de réconfort. La fièvre ne fait pas de détail, elle globalise l'homme qu'elle a pris, elle le ramasse en boule ; et il se laisse faire, finalement content qu'une puissance quelconque ait pensé à s'inquiéter de lui.

19 commentaires:

  1. Voilà que vous arrivez à tirer des accents presque lyriques d'un fièvre (même pas quarte), qui serait sans intérêt si vous n'aviez pas le talent d'en parler.
    Chapeau l'artiste !

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  2. Magnifique texte. La fièvre exaspèrerait-elle le talent ?

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  3. Paracétamol matin midi et soir
    un quart Léxomil matin midi et soir
    Un (verre de) Chablis grand cru le soir
    le tout pendant trente ans!
    SI ça va pas mieux, dans trente ans revenez me voir…

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  4. C'est pas comme ça que l'on soigne sa fièvre, pas en restant devant son clavier à faire le censeur: un grog le plus costaud possible, couette ramenée sur les oreilles; le reste attendra bien demain.

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  5. Putain ! Vous arrivez à écrite ça à jeun, malgré la fièvre.

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  6. Ma fièvre ressemble aussi un peu à ça. Sauf que j'aurais été infichue de le dire aussi bien.
    Maintenant, allez vous recoucher et laissez-la vous pétrir l'âme au lieu de vous accrocher à cet ordinateur. Il y a un temps pour tout.

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  7. Les braves ont besoin de vous : votre ami Juanito battu comme plâtre chez votre ami Yanka.

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  8. J’en aurais presque des envies d’avoir la fièvre, moi qui n’en ait jamais eu. Quand je dis ça, on ne me croit pas et pourtant c’est vrai…

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    1. Bonjour, Catherine. Didier aurait-il emprunté l'illustration à l'une de vos photos "Dimanche et croix" ?

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  9. Pour la fièvre, un dame jeanne de rhum et au lit.

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  10. Un texte effectivement inspiré par des puissances inhabituelles en ces lieux...

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  11. Connaissez-vous la "Méthode des 2 chapeaux" ?
    Pour ceux qui ne connaissent pas, la voici.

    Installez-vous sur un lit et croisez les pieds. Posez un chapeau sur vos pieds croisés.
    Buvez autant de rhum que vous voulez.
    Quand vous voyez 2 chapeaux, c'est que vous êtes guéri.

    Ne me remerciez pas.
    C'était histoire de parler pour ne rien dire comme d'hab.

    Docteur Duga

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  12. Un ami m'a donné votre texte à lire. J'ai de bons amis.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.