lundi 12 mai 2014

Potasser son réactionnariat


On commence par relire deux ou trois cents pages de La Vie des hommes, d'Olivier Bardolle, simplement parce que quelqu'un y a fait allusion en commentaire d'un billet ; mais on l'abandonne, un peu frustré, une fois que l'on a constaté que l'auteur n'était qu'auteur et certainement pas écrivain. Sans doute à cause de la ressemblance des titres, ou encore parce que Bardolle l'a cité deux ou trois fois au fil de ses pages, on ressort de son rayonnage La Vie sur terre de Baudouin de Bodinat, livre plaisamment sous-titré Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes ; c'est déjà plus riche, plus moiré, mais ce n'est pas encore ça ; pas ça que l'on voulait vraiment. Finalement, on trouve ; et on revient à Houellebecq.

Plateforme est un roman, son troisième, que j'avais mésestimé à première lecture ; il est pourtant excellent, et une preuve supplémentaire que son auteur reste l'écrivain le plus important de ces vingt dernières années – en tout cas parmi ceux que je connais. Il est d'une lecture paradoxalement roborative, presque joyeuse, en raison de cette adéquation parfaite entre une écriture et le monde qu'elle est chargée de mettre au jour. On comprend aussi très bien pourquoi, d'une façon générale, les femmes n'aiment pas Houellebecq : parce qu'elles demandent aux livres du rêve, ou au moins une certaine consolation, et que les siens leur infligent des blessures d'autant plus cruelles qu'elles semblent n'être pas faites intentionnellement ; elles ne peuvent nier la vérité de ce qu'il montre, donc elles lui en veulent de le faire.

Et, comme chaque fois, je m'ébahis de ce qu'on puisse accuser cet écrivain de n'avoir pas de style. Sortez de chez vous un dimanche soir de novembre, ou de février, et allez dîner seul dans une pizzéria de banlieue : vous verrez que Michel Houellebecq a un style, et que c'est même le seul possible.


56 commentaires:

  1. Robert Marchenoir12 mai 2014 à 12:38

    Faut-il prendre avec soi un livre de Houellebecq quand on se rend à la pizzeria d'Argenteuil, ou vaut-il mieux se flinguer tout de suite ?

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    1. L'expérience est tentante, quoi qu'il en soit.

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    2. Mon péché mignon? Écouter radio courtoisie sur la ligne 2 du métro, lorsque je voyage entre Stalingrad et Anvers.

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  2. Ce que les femmes appellent "le style", c'est le phrasisme déloyal, ou la cassonade à billets.

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    1. La cassonade à billets… la cassonade à billets…

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  3. Ça marche aussi avec les kebabs ?

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  4. j'avais lu d'une seule traite "La possibilité d'une île" et n'ai absolument pas aimé, ce n'est rien de le dire.
    Pour dire pourquoi, il faudrait que je le relise.
    Mais est-ce la peine, puisque Didier et Georges me le font savoir ?
    Oui, quand même, mais quand je n'aurai rien de mieux à faire. En attendant, je dis à Didier et à Georges qu'il me semble qu'ils parlent "des" femmes" comme si elles étaient interchangeables, comme s'ils parlaient de LA femme (une femme ça demande de la consolation, ça définit le style comme de la cassonade à billets ..),
    et là, l'occasion est trop belle pour moi de dire avec Lacan, "cette Lafemme-là, mon cher, ça n'existe pas". Parce qu'il existe toutes sortes de femmes, des qui .. et des qui .. et des qui .. et d'autre qui aiment Houellebecq.
    Mais quand même, le mot "consolation" n'est pas complètement inapproprié.

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    1. La Possibilité d'une île est à mon sens le moins bon des romans de Houellebecq : vous n'avez pas eu de chance ! Essayez donc son premier (dont parle Aristide juste après) : Extension du domaine de la lutte, ou bien Les Particules élémentaires.

      Pour le reste, qui nécessiterait des développement que je n'ai pas le courage d'entreprendre, le fait est que très peu de femmes disent aimer Houellebecq, je n'y peux rien.

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  5. Bizarrement je n'ai jamais lu autre chose de lui qu'Extension du domaine de la lutte, que j'avais pourtant beaucoup aimé (ah si, et quelques recueils de poèmes aussi).
    Déjà dans ce premier roman il parlait de la nécessité d'inventer une nouvelle manière d'écrire, plus concise et plus morne, en adéquation avec le monde actuel.

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    1. Je trouve très curieux de s'en tenir là ! Personnellement, après l'éblouissement de ce premier roman (découvert à sa sortie, alors que l'auteur était encore totalement inconnu), je n'ai eu de cesse d'attendre avec impatience la sortie des suivants… quitte, parfois, à en être déçu.

      En dehors des romans, je signale que son petit livre consacré à Lovecraft est un bijou. Si on s'intéresse un minimum à Lovecraft, évidemment. Tiens, je vais le relire, d'ailleurs.

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    2. Oui, je sais bien, mais l'explication est je crois assez simple : moi aussi j'ai lu Extension du domaine de la lutte à sa sortie. Et ensuite je crois que le succès qu'a rencontré Houellebecq m'a rendu méfiant, et j'ai eu peur d'être déçu par les suivants. J'étais un peu snob aussi à l'époque.
      Et ensuite, lorsque le succès ou l'insuccès d'une oeuvre me sont devenus indifférents, j'avais pratiquement cessé de lire des romans.
      Ce qui n'est pas une bonne excuse, j'en conviens.

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    3. Je trouve l'essai sur Lovecraft cent fois plus intéressant que Lovecraft lui-même, son écriture je veux dire, qui m'est simplement insupportable, comme une forme déclamante du grotesque.
      C'est aussi à ça qu'on reconnaît un grand écrivain : il écrit sur n'importe quoi, et il touche juste. Je suis sûr que Houleby pourrait faire un texte passionnant sur n'importe quoi, François Hollande par exemple.

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    4. Je me demande s'il n'y a pas déjà quelques allusions subliminales à DSK dans plusieurs de ses titres : "Extension du domaine de la pute", "La possibilité d'une pipe", "La noire et le multicarte"...

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  6. Chez Bardolle, j'apprécie la clarté du propos et le sens de l'humour hérité d'une saine lecture de Muray. Sa compréhension de l'œuvre de Houellebecq est pertinente. L'auteur de "La carte et le territoire" - où il fait montre d'une connaissance très fine du monde et du marché de l'art content pour rien - a développé un style singulier, faussement sociologique, pour dire le grand miroir éclaté. Houellebecq est effectivement l'écrivain francophone le plus important de ces dernières décennies. Il m'a fallu du temps pour bien entendre sa petite musique.
    (Un temps j'ai pensé que Dantec serait une autre grand voix actuelle, mais je crois qu'il s'est perdu en route.)

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    1. Nous sommes d'accord, à propos de Dantec. Mais peut-être avons-nous tort…

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    2. J'espère qu'il nous reviendra.

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    3. Vous avez tort en effet (et le tort tue comme disait mon prof d'arythmétique). Mais il est vrai que Dantec ne fait rien pour arranger les choses, son image etc..
      Seulement, il n'a pas dit son dernier mot et même en admettant qu'il se soit définitivement perdu en route, son oeuvre (ses trois journaux surtout) n'en demeure pas moins extrêmement salutaire.

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  7. Il a surtout une bonne tête.

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    1. Il a aussi une "bonne tête" (même si je crois savoir qu'il en aurait préféré une autre…).

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  8. Sur ses photos récentes, il ressemble de plus en plus au Céline des dernières années à Meudon...

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    1. Oui, c'est très impressionnant. On a l'impression qu'il s'est fait arracher toutes les dents.

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    2. Ah bon ??? Céline est resté beau jusqu'à la fin, alors que Houellebecq est de plus en plus laid ! Et pourtant, il partait déjà avec un sacré handicap…

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    3. Je rajoute une photo récente en fin de billet : chacun jugera.

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    4. S'il y a des poules ici qui trouvent Houllebecq beau, je veux bien me faire imam en Mésopotamie.

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    5. Il n'a plus de dents par choix et arbore son tout nouveau sourire. C'est désormais très tendance d'avoir la bouche vide et le cerveau plein. Michel est absolument séduisant, littérairement et physiquement. C'est une femme qui le dit.
      Et une de plus !

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    6. Il y a peut-être aussi quelque chose de Léautaud...

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    7. Le Mercure de France/Folio ont réédité récemment des extraits choisis de son formidable Journal Littéraire. J'ai déniché chez un bouquiniste la transcription de ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet publiés par Gallimard en 1951, un autre régal..

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    8. Ces entretiens sont aussi disponibles dans un coffret de dix CD, et c'est également un régal (je ne pense pas que notre hôte ici dira le contraire...).

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    9. Pour tout savoir sur les dents de Michel H... (http://beboper.blogspot.fr/2014/03/les-dents-de-michel-houellebecq.html ) (avec vot' permission monsieur Goux)

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    10. J'avais lu votre billet il y a déjà plusieurs jours…

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  9. Bonjour Monsieur Goux
    De Houellebecq je n'ai lu que son essai sur Lovecraft (en livre de poche que j'avais trouvé dans un vide-grenier. Je me dis que Houellebecq trouverait ça bien qu'on découvre sa prose au milieu d'un tas de "trucs" dans un vide-grenier miteux de province). Donc j'ai vraiment apprécié cet essai. Je suis pourtant une femme. Est-ce grave Docteur ???

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    1. Ce que je disais, à propos des femmes qui, dans leur ensemble, n'aiment pas Houellebecq, ne concernait que ses romans.

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  10. Vous n'allez pas rater le prochain film de Delépine avec Hoellebècque! Après avoir vainement tenté d'éructer en musique ses poèmes à l'eau de vaisselle, vous allez devoir profiter de son incroyable capacité d'expression devant une caméra, le tout sublimé par un texte incroyable. Je parle pas de dialogues...

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  11. Je comptais m'en tenir prudemment à l'écart…

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  12. Est-ce bien une photo de Houellebecq, ma deuxieme ?

    S'il fut aussi beau qu'il est laid à présent
    Et s'il dressa les yeux contre son créateur
    C'est bien que tout mal vient de lui

    Normalement c'est le moment du déclic :

    Si bien qu'enfin je vis les choses belles
    Que le ciel porte par un pertuis rond
    Et par la nous sortimes a revoir les étoiles

    Je me souviens que, dans L'extension du domaine de la lutte, l'homme triste qui raconte son histoire regarde une photo de lui enfant, et pleure... Mais cela ne le pousse pas à se réveiller de son cauchemar : dommage.

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    1. Il me semble que tous les romans (en tout cas au moins les trois premiers) de Houellebecq sont là pour montrer qu'il s'agit d'un cauchemar dont on ne peut pas (ou plus) se réveiller.

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  13. J'aime bien Houellebecq, l'homme et ses oeuvres.
    Mais c'est normal, je ne suis pas une femme.

    Enfin, si, j'veux dire, mais une femme à barbe.

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    1. Ne vous plaignez pas : c'est ce qui vient de vous permettre de remporter l'Eurovision.

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  14. La Possibilité d'une île, le moins bon ? C'est très nettement le meilleur à mon sens, le plus ample, le plus poétique, le plus profond ; le moins platement ricaneur, aussi, tendance qu'a Houellebecq hélas.

    Plateforme m'avait laissé le souvenir d'un livre un peu mineur (à côté des deux premiers, qui sont excellents, et de La possibilité d'une île, que j'avais trouvé un chef-d'oeuvre), très drôle par contre, un peu "en roue libre", comme libéré et étrangement moins déprimé que les autres... Les pages sur le puritanisme des "Routards" du Guide ("leurs sales gueules de BCBG protestants à la con"), l'addition des "salopes" et des "pouffiasses" est drôle, évidemment sensée, mais lasse un peu, non ? Il y avait aussi une histoire d'amour passablement niaise, un peu à la Gérard de Villiers mais pour le coup très féminine, dans mon souvenir.

    Les dernières pages (le personnage qui jouit en voyant tuer des Palestiniens) étaient d'une pénible et puérile provocation, de même le long laius de l'Egyptien sur l'Islam ; d'ailleurs Houellebecq semble avoir abandonné ces thèmes, par peur ou par fatigue.

    En somme, je préfère le Houellebecq théoricien et poète (en prose, parce que ces vers sont... bref), au névrosé comique et vitriolique qui pilonne les femmes, le spectacle du monde, la "bien-pensance", en ricanant, de façon finalement très petite-bourgeoise, très française. Je préfère de loin Muray dans cette veine ; son humour est plus large, plus sain, plus jovial.

    Cela dit, Houellebecq est bien sûr dix coudées au-dessus des autres.

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    1. Je me souviens d'avoir trouvé particulièrement soporifique l'interminable passage chez les raéliens.

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    2. 100% d'accord avec Dezert.
      Dans la possibilité d'une île, le passage où le personnage arrive en quelque sorte au bord du monde, après sa longue errance, est splendidissime. Il sait qu'il va finir là mais aussi que tout va finir là, l'aventure humaine elle-même. Je crois que Houellebecq est ici à son sommet.
      (comme plusieurs commentateurs, votre billet m'a donné envie de relire Houelby - moi, ce sera la Possibilité...)

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    3. Au fond, Houellebecq c'est comme Flaubert : on ne réconciliera jamais les sectateurs de Salammbô avec les admirateurs de L'Éducation sentimentale.

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  15. La dernière oeuvre de Houellebecq est un disque (qui vient de sortir) chanté par Aubert (ex-Téléphone).
    Je ne l'ai pas acheté.

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    1. Et pourtant, le livre de poèmes ("Configuration du dernier rivage") est très bon ; je me demande s'il n'y a pas chez Houellebecq une sorte de délectation perverse, morose, cynique ou ironique à les voir ainsi saccagés, comme une façon de boire le calice jusqu'à la lie, de rejoindre encore une fois le réel et le néant de l'époque. Sans négliger la perspective des consistants droits d'auteur que cela va lui rapporter : l'ensemble, malgré les apparences, est tout tout à fait cohérent dans le "système" Houellebecq !

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    2. Délectation morose devant le saccage prévisible ? Je me suis aussi posé la question. Ses (excellents) poèmes auraient pu inspirer des chansons à un Murat, un Manset ou à quelqu'un de plus jeune comme Simon Delacroix auteur de l'album "Romance & Cigarettes" sous le pseudo de The Toxic Avengers, les premiers noms qui me viennent, il y en a d'autres, mais c'est Aubert qui a eu l'approbation et la participation de l'écrivain. J'ai écouté deux ou trois extraits de l'affaire mais j'ai vite abandonné: c'est pas possible !

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    3. Aubert est bon et a un public plus large que Murat -qui passe pour misanthrope, il me semble, un peu comme Houellebecq- ou Manset ; ne serait-ce pas redondant de livrer les mots de l'un sur les airs de l'autre ?

      Je vous remercie pour the Toxic Avengers. Je ne cois pas connaître, et file me renseigner.

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    4. Je n'ai jamais compris – et ça remonte à l'époque de Téléphone… – comment on pouvait supporter la voix et le phrasé de cet Aubert.

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  16. Quant à son insensée dégradation physique, qui le mène au bord du monstrueux, trois choses me sont venues à l'esprit :
    - il lui arrive la même chose qu'à Dorian Gray, sauf que c'est lui qui prend
    - les méfaits de l'alcool
    - il ressemble de plus en plus à sa mère, qu'il hait.

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  17. Houellebecq est "l'écrivain le plus important de ces vingt dernières années". Je suis d'accord.
    "...en raison de cette adéquation parfaite entre une écriture et le monde qu'elle est chargéE de mettre à jour".
    Ce sera son drame. Ce qu'on ne lui pardonnera pas.
    Houellebec, le nouveau Céline.

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  18. Je me souviens d'avoir bien aimé "l'extension ..." et m'être vite lassée des autres.
    Quant à son physique, je rejoins JDezert sur les méfaits probables de l'alcool (et autres) et même la possibilité d'une gingivite et l'impossibilité de supporter un dentier ... (ou la flegme, qui n'a rien de romantique contrairement à ce que croit CGB).

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  19. Il semble avoir perdu tout ce qu'il a écrit.

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