vendredi 29 août 2014

La fiction, saugrenu du réel


Le lecteur a un léger tressaillement ; un infime raidissement du corps, invisible de l'extérieur. La seconde d'avant, il était pourtant tout à fait détendu, lisant les lettres de Mme de Sévigné, celles des premières années 1660. Il en arrive, 1664, à la série adressée à M. de Pomponne, et c'est là qu'intervient le sursaut. 

Simon Arnauld de Pomponne (1618 – 1699) n'était autre que le fils d'Arnauld d'Andilly et, par là-même, neveu du grand Arnauld. Ami du surintendant Foucquet, il fut emporté par la disgrâce qui frappa celui-ci en 1661 : d'abord relégué à Verdun, il put se rapprocher de Paris dès 1663, jusqu'à La Ferté-sous-Jouarre ; puis, l'année suivante, s'installer en sa terre de Pomponne, près de Meaux. C'est là que sa grande amie Mme de Sévigné – qui dut, quelque temps plus tôt, subir, et repousser, les assiduités du surintendant – lui écrit presque chaque jour, pour le tenir au courant des avancées du procès de Foucquet ; lequel, entre deux auditions, séjourne à la Bastille comme il se doit.

Le 27 novembre de cet an de disgrâce (pour Foucquet en tout cas) 1664, notre épistolière et ses amies ont l'idée d'aller se poster à un endroit qui leur permettra de voir passer le futur condamné. Mme de Sévigné écrit : « J'étois masquée, je l'ai vu venir d'assez loin. M. d'Artagnan étoit auprès de lui ; »  Et c'est là que le lecteur subit la légère commotion dont je parlais. Bien sûr, il sait que Charles de Batz-Castelmore d'Artagnan a réellement existé, il se souvient même qu'il a été tué à la bataille de Maastricht. Seulement, durant quelques secondes, ce n'est pas ce d'Artagnan-là qui a bondi à pieds joints dans la lettre de Marie de Rabutin Chantal : c'est l'autre ; comme dans ces films où des personnages de dessin animé viennent flanquer la pagaille au milieu des comédiens de chair, le héros de Dumas est venu transformer en carnaval la digne procession policière qui ramenait Foucquet en sa Bastille. Le plus étrange est que cette intrusion ne déréalise pas du tout la scène, mais lui donne au contraire, fugitivement, un surcroît de vie ; la fiction, ce saugrenu du réel, lui confère soudain une force qu'il n'avait pas ; et l'on ne sait plus trop, pendant un moment, qui est vivant et qui est imaginaire, de d'Artagnan ou de Foucquet, et même de celle qui tient la plume.

Et ce n'est pas pour arranger les choses, ni remettre le temporel en ordre de marche, que Mme de Sévigné, quelques lignes en dessous, se mêle de faire surgir dans le tableau M. d'Ormesson.

30 commentaires:

  1. Quand on lit d'une part des chansons de geste, d'autre part des ouvrages historiques pour comprendre l'époque qui les a produites, on navigue constamment entre des noms qui sont à la fois ceux de personnages historiques et de héros de fiction. On s'y fait.

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    1. Oui, je manque encore d'habitude en ce domaine. Mais je trouve le pouvoir "fictionnel" de d'Artagnan particulièrement puissant.

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  2. Il est mort d'Ormesson?

    Anne-Laure

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  3. C'est tout ce que vous avez dire sur 1664 ?!? Ivrogne.

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  4. Il ne manquerait plus qu'elle évoque un certain Goux...

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    1. J'ai rencontré un Le Goux, il y a quelque temps, chez Tallemant des Réaux.

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  5. Cet épisode figure dans l'excellent téléfilm en deux parties consacré à l'opposition entre Foucquet et Colbert. Le surintendant était interprété par Loránt Deutsch.

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    1. C'est curieux, j'ai du mal à faire coïncider Foucquet avec Deutsch…

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    2. Moi aussi, d'un autre côté Colbert étant interprété par Thierry Frémont...
      Ceci dit, nous parlons de production télévisuelle française, en conséquence de quoi il ne faut pas s'attendre à un miracle, comme la BBC sait en produire lorsqu'elle se met en tête de faire de la qualité.

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  6. Ligne 5 : FOUQUET eût suffi !
    Je continue la lecture.

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  7. Ligne 9 : re-Foucquet, cela devient une maladie !

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    1. Tous ses contemporains, dont Mme de Sévigné qui le connaissait bien, écrivent son nom ainsi. Et encore Balzac, un siècle et demi plus tard.

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    2. Sans doute madame de Sévigné, qui avait ses accointances en Bretagne, savait que "écureuil" se dit "foucquet" en gallo.
      Aussi l'intrusion d'un écureuil au milieu de ces personnages ne déréaliserait en rien la scène. Bien au contraire : voir un foucquet, tel la petite bête, monter, monter et soudain - patatras - se casser le nez devant ce beau par-terre, donnerait indiscutablement à la scène "un surcroît de vie".
      Je révise donc mon jugement et vous pardonne votre kyrielle de Foucquet.

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    3. Les Foucquet portaient d'argent à l'écureuil rampant de gueules par allusion à l'animal que désignait leur nom. C'est ce qu'en héraldique on appelle des armes parlantes.

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  8. Ligne 19 : il n'y aurait rien de saugrenu à voir tous les lecteurs suivre les funérailles de cet article !

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  9. Et en vous promenant plus au grand siècle, vous rencontrerez aussi MM. de Rubempré et de Rastignac.
    Quant à d'Artagnan, on le trouve dans maints Mémoires de batailles et sièges.

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    1. J'ai déjà rencontré Rubempré, il y a quelques jours ; chez Tallemant probablement. J'attends Rastignac…

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  10. Et vous ne compreniez pas quand je vous disais que votre littérature était un chouïa niaise et délavée ? Mais enfin, quoi, ce d'Artagnan d'opérette, ces affaires de cour et de police des hautes sphères, ce "gala" de l'époque, n'ont rien que de dérisoire, il me semble. Je vois mille fois plus d'aventure vraie dans le poêle de Descartes et les deux infinis de Pascal. Ici, le vertige ne saurait provenir que de la date, éventuellement, comme l'a fait remarquer le si subtil Jégou. Vos piges alimentaires sur les demi stars et les complets pignoufs de notre univers télévisuel ne vous auraient-elles pas quelque peu gâté le sens ? Chercher Rubempré et Rastignac, au XVIIe siècle, comme ce qu'il a de mieux à offrir, n'est-ce pas un peu risqué ? Le vrai chroniqueur de ces gens et de ces lustres ne pourrait être que violent, cynique, désespéré et fou. Il a bien existé, mais cent ans plus tard, et c'est autre chose que les lettres d'une marquise et les broutilles d'un vieux-beau : j'ai nommé Chamfort.

    PS : le vrai nom de Fouquet était "Foutriquet", ne l'oublions pas. On comprend qu'il l'ait abrégé.

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    1. @ Marco Polo
      Vous m'avez tout l'air d'être, vous aussi, un foutriquet. Il me semble même que certaines fois, vous méritiez la trique. Car enfin qui vous empêche de faire de la littérature ni niaise, ni délavée ? Serait-ce l'impuissance qui vous rend si désagréable ? Dans ce cas il faudrait peut-être aller jusqu'à vous souhaiter double ration de trique.

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    2. "Il a bien existé, mais cent ans plus tard, et c'est autre chose que les lettres d'une marquise et les broutilles d'un vieux-beau..."

      Les lettres de Mme de Sévigné sont un sommet de la langue française alors que chacune de vos interventions ici confirme hélas que vous êtes un Himalaya de la sottise contemporaine.

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    3. Marco Polo doit être jeune, ce qui est vieux lui fait horreur.

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    4. J'aime faire l'unanimité.

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    5. C'est pourtant, le plus souvent, un très mauvais signe, que cette unanimité soit négative ou positive.

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    6. à Mildred : votre "argument" ne vaut pas. S'il faut avoir écrit de la littérature pour oser critiquer celle des autres, il faudrait aussi en avoir écrit pour oser la vanter, et en ce cas vous voilà, selon votre propre principe, aussi mal placée que moi.

      à Emmanuel F : vos idées et arguments se bornant systématiquement à l'insulte, vous comprendrez que je ne me donne pas la peine de vous répondre autrement que sous la forme d'une fin de non-recevoir.

      à Geneviève : Chamfort n'est pas si jeune, tout de même...

      à Didier Goux : avoir une meute de défenseurs même pas stipendiés, qui rappliquent la bave aux lèvres au premier coup de griffe, est-ce si bon signe ?

      à tous : votre manque d'humour est consternant. Prenez plutôt exemple sur Jégou.

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    7. Alors là, j'chuis bien d'accord !

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  11. Mais un peu de respect pour Marco Polo dont le talent et l'intelligences ne sont plus à démontrer. Notamment dans les parkings de l'hôpital Paul Guiraud, à Villejuif. Quand les malades s'échappent, le premier bistro qu'ils trouvent est la Comète et on rigole bien.

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  12. Le d'Ormesson d'aujourd'hui laissera une trace plus par son cabotinage que par sa littérature et si celle-ci se souvient un jour de lui, ce sera en éclatant de rire au sujet de sa dernière parole, ridicule et infatuée, portant sur un hommage (post-mortem) qui lui serait du et qui le ferait trembler d'effroi car il prévoit bien que seul le président de la république pourrait le lui rendre.

    Anne-Laure

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  13. Il ne sert à rien de se montrer péremptoire à l'égard de Madame de Sévigné, c'est perte de temps. Les bienheureux qui l'aiment, ce qui n'interdit pas une certaine lucidité, auront plaisir de lire en contrepoint de ses "Lettres", l' "Histoire amoureuse des Gaules" de son cousin Bussy-Rabutin, homme de cour talentueux, satirique et scandaleux... embastillé en 1665 et promis à un long exil à cause de ses écrits. Pas la peine d'attendre Chamfort, aux qualités indéniables quoique suicidaires, car la révolution tourne, et dévore ses enfants. Le malheureux le comprit un peu trop tardivement et en paya le juste prix. Chateaubriand brossa de lui un portrait au vitriol dans ses "Mémoires".

    De sa cousine qu'il connaissait fort bien Bussy écrivit :
    « La plus grande application qu'a Mme de Cheneville (Madame de Sévigné) est à paraître tout ce qu'elle n'est pas. Depuis le temps qu'elle s'y étudie, elle a déjà appris à tromper ceux qui ne voient guère, ou qui ne s'appliquent pas à la connaître. mais comme il y a des gens qui ont pris en elle plus d'intérêt que d'autres, ils l'ont découverte et se sont perçus, malheureusement pour elle, que tout ce qui reluit n'est pas or. »
    Bussy-Rabutin, Histoire amoureuse des Gaules. Folio classique, p. 156.

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