samedi 23 juillet 2016

Samedi rouge en noir et blanc


La sorte de bonheur que l'on éprouve, d'aucuns la qualifieront sans doute de “malsaine” – ou de “malsain” si l'on choisit d'accorder avec “bonheur”, ce qui peut se soutenir –, alors qu'il n'en est rien. C'est la joie tranquille du sage, ou simplement de celui que le hasard a fait demeurer chez lui, quand le tiers ou le quart de ses compatriotes sont saisis par une impérative bougeotte, à vocation méridionale ou atlantique, et vont se trouver englués dans une mélasse automobile qu'ils auront contribué à créer, dont ils sont l'un des innombrables et minuscules grumeaux. Il n'entre aucun sadisme dans cette évocation, encore adoucie par le voile d'une certaine nostalgie dès que l'on s'avise d'avoir ressemblé assez étrangement au garçonnet souriant sur son tas de valises et de sacs : même coupe de cheveux, même chemisette à petits carreaux, que l'on devine colorée comme un vitrail ou un livre d'images, même salopette dont les bretelles prennent un malin plaisir, tantôt l'une, tantôt l'autre, à glisser des épaules où elles devraient demeurer assujetties. C'est que l'on a, depuis ce temps comiquement ou tristement lointain – c'est selon –, appris les vertus de l'immobilité, d'abord chez Baudelaire, sans trop y croire, puis en soi, à mesure que fatigue et lassitude établissaient leur empire : on s'est mis, peu à peu, à craindre le tumulte et le mouvement et à ne plus trop s'enivrer des ombres qui passent ; on reste ici, où les aléas nous ont déposés, parce que l'on s'est persuadé, à force, que c'est chez nous. Et l'on regarde avec une gentille ironie ceux qui viennent de quitter maisons et villages pour aller se jeter dans l'écheveau des échangeurs et, un peu plus loin, sacrifier au rite de l'octroi rebaptisé péage ; sans pouvoir s'empêcher de songer que, peut-être, malgré les apparences brouillonnes qu'ils offrent, ceux-là sont plus avisés que nous, qui, par ces transhumances saisonnières et encore bon enfant, s'entraînent avec prudence à de plus vastes migrations.

25 commentaires:

  1. Cher Maître Goux, encore une fois votre subtilité m'éblouit.
    D'abord en me récupérant sous la bannière de ceux qui restent, alors qu'il est bien entendu que ceux qui partent sont des inconscients, des moutons de Panurge.
    Puis vient cette phrase d'un code plus secret : "sans pouvoir s'empêcher de songer que, peut-être, malgré les apparences brouillonnes qu'ils offrent, ceux-là sont plus avisés que nous, qui, par ces transhumances saisonnières et encore bon enfant, s'entraînent avec prudence à de plus vastes migrations." Et des frissons nous passent sur l'échine.
    Quelle voie choisir dès lors : partir, rester... folie ou sagesse ?

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  2. Vous avez écrit avec toute la poésie qui vous côtoie ce que je pense mais de façon plus vulgaire de ces moutons prenant la route de la transhumance simplement pour faire comme son voisin du dessus.
    Je l'ai fait trois fois, mais je roulais de nuit ou très tôt le matin.
    Quand les enfants sont petits, c'est ta croix quand ils sont grands, tu evite ces mois comme un phoque le cirque.

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  3. La prochaine grande migration va s'arrêter au cimetière ou, plus moderne, au columbarium.

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  4. Il me plait à imaginer que ce joli petit garçon en chemise à carreaux, c'est vous ! Et que les charmants deux autres sont "les petits cons" avec qui vous devrez "partager l'héritage".
    Mais navrée : aucun frisson ne me passe sur l'échine !

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    1. Dans le cas de Monsieur Goux il s'agit d'une "petite conne" du nom d'Isabelle et qui aura les yeux bleus...
      http://didiergouxbis.blogspot.fr/2012/01/isabelle-aura-les-yeux-bleus-lahr-debut.html

      Et tout y est : la chemise à carreaux, les bretelles, la coupe de cheveux, le sourire...

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  5. Je vous imagine très bien vous livrant à la chasse aux Pokémons !

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  6. "les vertus de l'immobilité, d'abord chez Baudelaire"... J'ai loupé un chapitre ou il a bien écrit "l'invitation au voyage"?

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    1. Sans doute, mais il a aussi écrit Les Hiboux

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    2. Les hiboux sont à feu doux
      La moindre bulle qui déambule
      Les fait bouger d'un millimètre
      Au plus.

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  7. Et quelles belles portières en tôle nervurée!

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  8. Des enfants transportés comme du bétail, parmi les bagages, tels des choses... Vous les détestez vraiment, hein ?

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    1. Sur la photo, ils ont effectivement, avec leur large sourire, l'air de victimes...

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    2. Les enfants ne comprennent rien au mal qu'on leur fait, vous devriez le savoir. Leur naïveté est insondable.

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    3. Je ne vois pas ce qu'on peut reprocher à ces braves gens, qui ont eu la délicatesse de placer les enfants au-dessus des bagages.

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    4. Les enfants comprennent très bien le mal qu’on leur fait. En revanche, certains
      comprennent mal, ou plutôt digèrent mal le bien qu’on leur fait, à en juger par la manière dont ils remercient leurs bienfaiteurs.

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    5. Pitié pour les innocents !

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    6. comme parodié dans les simspons car devenu la tarte a la crème de chaque débat dit sérieux "mais quand est ce que va t'on penser a l'avenir de nos enfants" L'occidental adore tellement les gosses qu'il n'en fait plus (étant la plupart du temps devenu lui meme un gosse ou plutot resté un gosse)et qu'en conséquence les "vieux" se mutliplient sous nos latitudes aussi surement que les gosses dans le tiers monde (une des raisons mais pas la seule a la "migrantophilie" l'occident vieillissant regarde avec envie cette jeune afrique qui bande encore, et sans viagra qui plus est) Que le taulier de ce blog, qui a su conserver l'esprit jeune, ne se sente pas visé par ma remarque C'est en grande partie a cause du vieillissement de la population que la dette publique explose (soins de santé de plus en plus cher forcément et la croissance économique qui ne suit pas pour compenser l'envolée des couts) et que la bien pensance peut affirmer sans honte que l'immigration est un besoin et une chance Après avoir émasculé l'occidental, comme la nature a horreur du vide, on le remplace "par des paires de couilles" bien fraiches et venues d'ailleurs

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  9. On aimerait voir plus souvent des victimes aussi souriantes.

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    1. Une victime souriante ? Rien de plus facile

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    2. Cet épouvantail paraît bien artificiel... vous auriez dû choisir une autre prise de vue pour nous convaincre !

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    3. On en trouve pourtant plus d'un(e) dans la gente journalistique pour la plaindre ! Vous devriez lire les magazines féminins.

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    4. pour "réjouir" nos chères amies (mais aussi amis hélas) des droits des femmes(mais pas des hommes malheureux) a faire tout et n'importe quoi il aurait fallu remplacé les deux enfants par une femme

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.