samedi 15 mai 2021

De la pérennité des mots-vaseline

Curieuse, l'évolution des termes “collaboration” et “collaborateur”, leur changement de tonalité au fil du temps. Aujourd'hui, on ne le sait que trop, traiter un homme de l'époque de collaborateur revient à le frapper d'ignominie pour les siècles des siècles ; dire d'un homme d'aujourd'hui qu'il a un esprit de collaborateur, pis : de collabo, c'est lui faire subir le même sort. 

Or, au départ, en 1940, le terme de “collaboration” a été mis à l'honneur par les partisans français de l'Allemagne nazie pour se définir et se promouvoir eux-mêmes. C'était ce que je serais tenté d'appeler un “mot-vaseline”, destiné à rendre moins douloureuse la réalité que l'on prétendait imposer aux Français avec leur assentiment et, si possible, leur enthousiasme. La couche de sucre enrobant la pastille de cyanure. 

C'était en somme l'équivalent de ce que sont aujourd'hui nos “vivre ensemble”, nos “quartiers populaires”, nos “jeunes”, etc. On n'est pas obligé d'être dupe, on ne l'était pas toujours à l'époque. Comme le prouve Maurice Garçon qui, dès septembre de cette année 40, note dans son journal que cela revient à évoquer la collaboration entre le cochon et le charcutier ! Comparaison qui ne vaut plus de nos jours puisque bientôt, sans doute, ce pauvre cochon sera banni de tous nos étals pour cause d'impureté constitutive. Mais enfin, on voit l'idée.

En revanche, pour suivre jusqu'au bout la comparaison, on peut toujours espérer que, dans un demi-siècle d'ici, le vent de l'histoire ayant tourné, les mots comme “vivre ensemble” susciteront le même dégoût indigné que celui de “collaboration” aujourd'hui. 

Mais il y faut beaucoup d'optimisme.

50 commentaires:

  1. Ce n'est pas pour rien que dans les charcuteries on décore les têtes de cochon.

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  2. Tiens, tiens ! Vous voilà à faire de la politique ?
    C'est très risqué par les temps qui courent !
    Je vous accorde qu'il faut beaucoup d'optimisme pour écrire, comme mon auteur :

    "Heureusement dans un vieux pays, comme le nôtre, rien n'est irréversible. Il y a comme une mémoire quasi minérale du sol natal : le déracinement déracine tout, sauf le besoin d'enracinement... Il faudra refaire des tissus, refaire des paysans, des esprits indépendants, comme on replante des fleurs après l'hiver."

    Ainsi soit-il !

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    1. J'ai peur que votre auteur ne pêche par optimisme…

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  3. Vous oubliez la fameuse "Mixité sociale".
    On voit ce que cela donne par chez moi, on mesure la dégradation subite, indéniable, le "Avant/Après"...

    Les billets se succèdent à une vitesse en ce moment, nous aurions presque peine à suivre.

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    1. Damned ! j'ai en effet oublié la mixité "sociale". Impardonnable je suis.

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  4. Au Monde,Jean-Marc Théollyère (ex-grand résistant, torturé, etc.) s'effaçait souvent devant les portes pour laisser passer La Reynière ( Robert Courtine) en lui disant " Après vous, mon cher collaborateur ".

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    1. Histoire apocryphe, à mon avis.

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    2. Peut-être pas. C'était dans une série de 5 grands articles que Le Monde avait consacré, un mois d'août, à sa propre histoire. Comme celle de Raymond Barrillon qui avait fait virer un jeune journaliste,en lui disant "Quand on vient me voir dans mon bureau, on met son veston ! "

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    3. Peut-être pas, d'accord. Mais enfin, ce n'est pas parce que c'est écrit dans Le Monde que c'est forcément vrai…

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  5. J'aime bien l'image du vivre ensemble charcutier quand bien même elle n'est pas très halal ...

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  6. Le mythe du vivre ensemble et celui d’une vertueuse collaboration avec les nazis n’ont rien en commun dans leur mécanisme, leur genèse ou leur nature profonde et Maurice Garçon vient ici comme un cheveu sur la soupe. Votre texte est manifestement inspiré par les analyses philosophiques, historiques et psychologiques de Renaud Camus sur l’immigration (que, dans sa Novlangue à lui, il insiste qu’on appelle une « conquête ») et sa grande idée, sa divine trouvaille des 20 dernières années d’un rapprochement avec l’occupation nazie, en forme de continuation bizarre, en même temps qu’expiation interminable, de sa propre chasse au petit-bourgeois-inculte-juif-immigré-de-deuxième-génération siégeant au « Panorama de France Culture ». Bien entendu, Renaud Camus exclut soigneusement de cette analyse sa propre psychologie et sa propre histoire, occultation essentielle à sa fraude intellectuelle. Par quel miracle n’a-t-il lui-même rien vu venir de cette « conquête » pendant 30 ans — ce dont son Journal témoigne assez — avant de se réincarner en Churchill, De Gaulle ou Jeanne d’Arc ? (on ose espérer qu’il lui aurait fallu moins de temps pour réagir à l’armistice de 1940…). Réfléchir à cela (il en est lui-même bien incapable), suffit à renvoyer ses parallèles incessants, déclinés à l’infini, entre troisième Reich et immigration de masse à leur ineptie intellectuelle, plus encore qu’à leur abjection morale — même d’un point de vue extrêmement critique de cette immigration.

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    1. Commentaire qui, tout en étant deux fois long comme mon mini-billet, réussit en plus à être presque totalement hors sujet.

      Je n'aurai que deux mots : bra-vo.

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    2. "fraude intellectuelle"? Elle me semble bien plus visible dans les propos de ceux qui, comme vous, voient et font semblant de ne pas voir...
      Aramis

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    3. Ah bon? Vous ne faites pas un parallèle entre les promoteurs du vivre ensemble et les collaborateurs de jadis, dont vous espérez qu'ils subiront un jour le même dégout indigné? J'ai dû mal vous lire, je m'en excuse (mais m'enorgueillis de vos félicitations!)

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    4. C'est ce que je me disais aussi en le lisant.

      On sent que l'auteur n'attendait qu'une occasion de bondir et placer son accusation.

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    5. Eh bien, contrairement à vous, Parrain, j'ai trouvé ce commentaire très intéressant. Il m'en a appris un peu plus sur Renaud Camus que je n'ai pas lu.
      J'aurais bien aimé que vous répondiez à la question : pourquoi pendant trente ans n'a-t-il rien vu venir de sa conquête ?
      Mais vous avez préféré faire le malin avec le grand qui avait réussi à vous couper le sifflet !

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    6. Je ne suis pas le porte-parole de Renaud Camus et n'ai par conséquent aucune raison de répondre à sa place à des questions qui ne concernent que lui.

      Et, non, je ne faisais pas de "parallèle" ! Voir ma réponse à dsl, un peu plus bas.

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    7. Non, vous n'êtes pas le porte-parole de Renaud Camus et je reconnais que ma tirade, qui passe au-dessus de la tête d’un anonyme mousquetaire, vous a quelque peu utilisé comme prétexte, comme le repère justement "Une lectrice". Il reste que le parallèle est bien là (comme le perçoit aussi « dsl »), et clairement inspiré des très idiosyncratiques délires Camusiens (ou alors c'est une rencontre entre grands esprits).
      Le mot « vivre ensemble » et d’autres masquent peut-être le caractère pénible et douloureux d’une situation, mais les motivations et les mécanismes n’ont rien à voir avec ceux de la « collaboration ». En conséquence le parallèle est peut-être valable linguistiquement mais faux moralement et l’avenir ne couvrira pas de dégoût ces gens; tout au plus il y verra un aveuglement, comme il verra celui de Camus et de presque tout le monde pendant la deuxième moitié du XXème siècle, rien à voir avec la crème du collaborationisme nazi. Vous m’aviez naguère accordé votre vote concernant l’analyse d’un sketch des Inconnus dans lequel un professeur faisait semblant de ne pas voir qu’elle était horriblement chahutée, et s’enthousiasmait que le poignard qui lui était jeté se plante pile sur la note de musique qu’elle montrait au tableau. Voilà, elle n’était pas nazie.

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    8. « En conséquence le parallèle est peut-être valable linguistiquement mais faux moralement »

      Ce disant, vous ferraillez un peu tout seul dans votre coin, dans la mesure où, je le répète sans me lasser, je ne faisais qu'examiner un parallèle linguistique.

      Pourquoi voudriez-vous que je me lançasse dans une équivalence historico-politique stricte entre l'Allemagne hitlérienne et la France actuelle, alors que je ne perds jamais une occasion de brocarder les ahuris qui croient voir du fascisme et des nazis partout ?

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    9. "Un peu tout seul dans mon coin", mais pas complètement quand même: je suis en compagnie de la péroraison morale de votre billet.

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  7. Si je baignais comme vous dans la littérature, je rédigerai un dictionnaire de mots et phrases « bateau » avec lesquels la droite et la gauche ont mené les Français par le bout du nez durant 45 ans.

    (Si vous pouviez tourner ma phrase pour qu’elle soit plus légère, ce serait super. Je me sens lourdingue ces jours ci.)
    Hélène

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    1. Eh ! oh ! Je vous rappelle que je suis rewriter… EN RETRAITE !

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    2. Rôôôô, vous n’êtes guère charitable mon jeune ami.
      J’oubliais les petites phrases  des journalistes : « la France s’ennuie », »la France a peur »
      Un filon inépuisable 😉
      Hélène

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    3. Eh non : pas de mot français pour nous autres ! Ce qui est assez paradoxal…

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  8. Cela dit, que le mot "collaboration" ait pris un sens péjoratif, ça me paraît la moindre des choses…

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  9. Vous faites un parallèle entre la collaboration des français avec les nazis, et l'idéologie de gauche qui vise à nous faire cohabiter avec les immigrés arabo-musulmans ? C'est bien cela ?

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    1. Pas vraiment, non : je parle plutôt de la manière dont on utilise des mots "innocents", voire avantageux pour tenter de masquer ce qu'une situation donnée peut avoir de pénible ou de douloureux.

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    2. Ah d'accord. L'analogie avec la collaboration est donc tout à fait innocente !

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    3. Tout à fait innocente ? Je n'irais peut-être pas jusque-là…

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  10. Je vous offre un mot-vaseline.
    Si on dit : féminicide pour un meurtre de femme
    On doit dire : masculicide pour un meurtre d'homme.

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    1. Plutôt que masculinicide, je propose viricide, qui garde la racine latine vir (homme mâle) tout comme le mot homicide gardait la racine latine homo (être humain).
      Et tant qu'on y est on pourrait aussi trouver un mot différent selon la tranche d'âge de la victime.
      Barbara

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    2. Non ! Masculinicide, pas masculicide !

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    3. J'ai failli, moi t'aussi, proposer "viricide", plus élégant.

      Mais en fait, vu la mentalité de l'époque, l'expression pour désigner le meurtre d'un individu mâle existe déjà : légitime défense.

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    4. « J'ai failli, moi t'aussi, proposer "viricide", plus élégant »

      un rewriter à la retraite .... ?
      Des clous !
      Ça dépend dès moments 😉
      Hélène


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  11. Au fond, ce qui se rapproche le plus de rewriter, ce n'est pas un nègre ? ( plus joli en anglais : ghost-writer= écrivain-fantôme )

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    1. Non : un rewriter comme son nom l'indique, récrit un texte, alors qu'un nègre écrit complètement un texte à la place de celui qui le signe.

      Mais je vous accorde que l'on passe assez facilement de l'un à l'autre…

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    2. Un "réécriteur", "réécriveur", quoi. Correcteur, comme dit en-dessous, voilà.

      39 commentaires à cette heure pour ce billet... Il est des sujets "sensibles", comme certains quartiers.

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    3. Le rewriter et le correcteur ne font pas le même travail. Ils se complètent.

      (Ils se complètent, c'est-à-dire que, dans les faits, ils s'affrontent souvent, chacun essayant de réduire le "territoire" de l'autre !)

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    4. Autrement dit, ils peuvent collaborer de leur plein gré ou, lorsqu'ils s'affrontent, sous la pression de leur chef de service.

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  12. Rewriter ou correcteur, il manque quelque chose à la presse en ligne française. Dans l'article de upday d'Orange ( les dernières lnfos), le tueur des Cévennes portait " un gilet par balles", orthographe non seulement du titre, mais reprise dans l 'article. Ce qui sigifie que le rédacteur ignore le sens du mot "parer". Il ne faut plus le bac pour devenir journaliste ?

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    1. À moins que ce soit un problème de mot manquant, et que le rédacteur ait voulu évoquer un gilet TUÉ par balles.

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    2. Ce n'est plus qu'un bac à sable.

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  13. "Collaborateur" et "collaboration" restent majoritairement utilisés comme "associé", "collègue" ou tout autre lascar avec qui l'on bosse (comme ils étaient utilisés au début, pendant la guerre). Si mon chef me présente comme un de ses collaborateurs, le rouge ne me vient pas aux joues.

    Pour le vivre ensemble, certes (quoi que, mes relations avec des nègres de comptoir montrent que le sens a changé en 15 ans et qu'il est devenu communautariste : il s'agit maintenant que les communautés vivent ensemble alors que, il y a une quinzaine d'années, on parlait des gens...).

    Quand on parle des jeunes, on ne parle pas une fois sur dix des "jeunes à capuche dans les banlieues". C'est la même chose pour les quartiers populaires, on n'est pas obligés de penser à des coins habités que par des "non blancs".

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    1. Il y a tout de même une énorme différence : vous êtes le collaborateur de votre chef de votre plein gré, et non parce que vous avez d'abord été vaincu par lui et mis à genoux. D'autre part, vous pouvez le quitter quand bon vous semble. Bref, il y a une certaine réciprocité, dont on chercherait en vain la trace entre l'Allemagne nazie et le régime de Vichy.

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    2. Mais on est parfaitement d'accord ! C'est votre première phrase qui laisse entendre que le sens a changé alors qu'il y a "un nouveau sens".

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    3. Il y eut tout de même des gens qui collaborèrent avec enthpusiasme,et pour lesquels (Maurras) l'arrivée au pouvoir du régime de Vichy constitua une "divine surprise "...

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    4. Bon, ça devient trop compliqué, je renonce…

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  14. J'espère qu'on n'atteindra pas les cent !

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.