mercredi 27 mars 2013

Permanence du fleuve



La question revient régulièrement parmi les blogueurs “politiques” : doit-on s'aventurer en territoire ennemi, c'est-à-dire aller lire les blogs de la rive d'en face, voire pactiser avec le riverain en prenant langue avec lui ? Au contraire, est-il préférable de n'en rien faire et d'ignorer totalement l'adversaire, ou au moins lui faire croire qu'on l'ignore afin de le mortifier un peu ?

Bien que faisant indubitablement partie de la première catégorie, il me semble que les deux attitudes reviennent au même, sont également négatives en termes de résultats, dans la mesure où elles auront également pour effet une radicalisation du blogueur considéré.

C'est évidemment plus immédiatement compréhensible dans le second cas : il a été établi plus ou moins scientifiquement – mais je n'ai pas le courage ni le temps de rechercher par qui – qu'à ne fréquenter que des gens partageant la même vision du monde que soi, la même idéologie, les mêmes craintes, frustrations, etc., les idées avaient mécaniquement tendance à s'extrémiser, sans même que celui qui les porte ait la possibilité de s'en aviser.

À rebours, il serait tentant de croire que fréquenter ceux qui pensent différemment (on part du principe que les blogueurs pensent : ceci n'est pas un billet réaliste, comme on voit) va permettre de relativiser ses propres pulsions idéologiques, de les tenir plus ou moins en lisière de soi. Or, il me semble qu'il n'en est rien, et même au contraire. L'exaspération que peut faire naître la lecture de théories ou de raisonnements que l'on estime ridicules voire abominables conduit souvent à vouloir rendre colère pour colère et, dans ce but, à adopter des positions qui n'étaient pas forcément les nôtres au départ mais dont on sait qu'elles seront lues “en face” et provoqueront le résultat souhaité, à savoir l'énervement, la fureur, le dégoût, etc. Bref, quoi qu'on fasse, on ne peut que s'embêtir chaque jour davantage.

La solution serait sans doute de tourner le dos à ce fleuve boueux, s'éloigner de son flux (RSS) et aller se claquemurer dans sa case pour y relire saint Augustin et Marc-Aurèle. Mais c'est peut-être, pour endiguer l'extrémisme, adopter une position extrême.

13 commentaires:

  1. Ah mais il faut lire toutes sortes de cons ! Je vous lis vous et Gauche de Combat, par exemple. Mais il faut lire assidûment. C'est la seule façon de vous rendre compte que vous êtes aussi con que les autres.

    Quant à lire Saint Augustin alors que, pendant des mois, j'ai bossé à Miromesnil,...

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  2. « Il a été établi plus ou moins scientifiquement – mais je n'ai pas le courage ni le temps de rechercher par qui – qu'à ne fréquenter que des gens partageant la même vision du monde que soi, la même idéologie, les mêmes craintes, frustrations, etc., les idées avaient mécaniquement tendance à s'extrémiser, sans même que celui qui les porte ait la possibilité de s'en aviser. »

    So sprach Didier Goux...

    Puisque, ne voulant sans doute pas rater les premières minutes de Plus belle la vie, vous rechignâtes tout à l'heure à rechercher qui avait formulé, à l'issue vraisemblablement d'une brillante analyse, ce principe passablement déprimant dit de l'excitation mutuelle en vase clos (principe qu'on qualifiera volontiers, maintenant qu'un autre que soi l'a exprimé avant qu'on ne songe seulement à le faire, d'évidence à la limite du lieu commun), je puis vous venir en aide puisqu'il se trouve que j'ai entendu l'autre jour quelqu'un – Brice Couturier ? – en causer dans le poste.

    Il me semble ainsi que celui qui a doctement énoncé le principe en question se nomme Cass Sunstein, ce que tendrait du reste à confirmer le petit passage suivant, pêché tout à l'heure sur le ouèbe, extrait de l'article Les Enjeux Politiques de l’Architecture et de la Régulation de l’Internet, d'un certain Bernard Benhamou, maître de conférence pour la Société de l’Information à l’Institut d’Études Politiques de Paris (Les Cahiers du Numérique / Éditions Hermès CNRS) :

    « L’autre caractéristique fondamentale de l’architecture des réseaux qui pourrait être remise en cause est sa plasticité. La forme d’organisation en réseau possède en effet l’avantage de permettre des recombinaisons permanentes. À mesure que s’installeront ces phénomènes de "rigidification" et de fragmentation de l’Internet, ces recombinaisons deviendront de plus en plus difficiles. On risque d’aboutir à une fragmentation de l’Internet en îlots multiples. Ces îlots et ces archipels pourront être auto-alimentés au risque d’isoler définitivement des pans entiers de l’Internet. Cette fragmentation de l’Internet pourrait entraîner, à terme, une véritable stagnation des échanges entre les îlots ainsi créés. Elle présentera aussi le risque de restreindre la diversité des contenus et des usages de ces réseaux.
    Ce qui fait dire au constitutionnaliste Cass Sunstein que la radicalisation des opinions politiques exprimées sur l’Internet, la "polarisation de groupe", pourrait s’accentuer à mesure que cette fragmentation deviendra une réalité. Les utilisateurs de ces îlots pourraient alors n’entrer en contact qu’avec des personnes et des idées qu’ils connaissent déjà et devenir de plus en plus imperméables aux idées qui ne leur sont pas familières. »

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    1. Je n'ai pas cherché car je savais que vous étiez là, très cher…

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  3. Robert Marchenoir27 mars 2013 à 22:26

    En effet, car, dans un certain milieu, on ne lit jamais rien, on relit toujours. (Sauf si ça vient de sortir, évidemment.)

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    1. Moi, je suis tellement snob que je relis même les nouvelles parutions.

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  4. On peut également traverser le fleuve parce que sur l'autre rive il y a matière à s'esclaffer.

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  5. Gange.

    " Selon toute hypothèse, au départ, le caractère intouchable et les ablutions doivent avoir eu une signification hygiénique, même s'il s'agit d'une hypothèse apparemment banale. Il suffit, maintenant, d'aller en bateau sur le Gange, fût-ce sur un siège confortable du pont supérieur, pour constater ce que sont devenues ces ablutions. Dans l'eau du Gange, on plonge les cadavres avant de les brûler; dans l'eau du Gange, on jette, non brûlés, mais alourdis de deux dalles, les saints, les varioleux et les lépreux; dans l'eau du Gange, flottent les immondices et les charognes d'une ville qui, pratiquement, est un lazaret, puisque les gens viennent y mourir. Eh bien, dans ces eaux, on voit des centaines de personnes qui se lavent avec soin, en s'y plongeant benoîtement, en y restant immergées jusqu'à la taille, en s'y rinçant mille fois, en se lavant la bouche et les dents : le tout accompagné de gestes mécaniques et névrotiques, faits avec beaucoup de naturel, presque avec désinvolture, comme toujours dans les rites indiens. "

    Pier Paolo Pasolini, L'odeur de l'Inde, pp.115-116, folio.

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  6. Les mouvements politiques qui ont tenté de rassembler des modérés, des républicains des deux rives, ont fait faillite. Vous disiez, Didier, que vous aviez plus d'accointances (je ne sais pas si c'est le terme approprié, d'intérêt ou de points communs avec Chevènement qu'avec Madelin)
    Même si on ne peut pas faire changer d'avis son interlocuteur, on n'est pas mauvais quand on discute, quand on parie sur ce qui est commun. Oui, mais ce qui est inconciliable ? Est-ce que je discuterais de pâtisserie ou de Léautaud avec un type qui est pour la liberté de baiser des gosses de huit ans ou de leur couper les organes génitaux ? Avec un type qui fait des saluts nazis ou trouve que Staline ou la charia, ce n'est pas si mal que ça ?
    J'ai l'impression , en papotant futilement sur le net, de le faire tous les jours.

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  7. "Oui, mais ce qui est inconciliable ?"

    Vaste question ! D’abord permettez-moi une évidence : de part et d’autre des divers "points de vue", il se dégage une énorme confusion entre la notion d’accommodement raisonnable dans son acception juridique et des pseudo-arrangements d’accommodements conçus dans un souci de faire preuve de bonne volonté mais qui en somme faisait oeuvre d’abdication non sur des droits mais sur des caprices personnels au nom d’une conviction religieuse ou pire d’un inconfort personnel. Par exemple on ne connait pas "absolument" le point de vue de Léautaud sur l'ablation des organes génitaux. De la même manière le salut romain entre-t-il dans l'interdiction de pâtisser en commun ?

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  8. C'est juste, le "biais de confirmation" fonctionne dans tous les cas, même lorsqu'on s'aventure de l'autre côté, quand l'exaspération ou l'ironie nous ramène à nos idées... J'ai pourtant quitté il y a quelques années mon terrain politique originel grâce à des lectures (dont vous, saligaud!), donc ce n'est peut-être pas si insoluble que ça. Il faut tenter d'être lucide et comme disait Marc-Aurèle, ne jamais être trop vite d'accord avec quelqu'un (à peu près). Sauf s'il a raison, bien sûr...

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  9. devenir centriste... ahhh! ressembler, parler comme... je ne sais pas, Jacques Attali, ou Alain Minc... hmmm... Voilà l'extase: plus de colère, plus d'emportement... l'apoplexie s'éloigne... les points de suspension envahissent tout comme du liseron... excusez moi; j'aime commenter quand j'ai bu du listrac- medoc

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.