mardi 15 septembre 2009

Not' vie à nous au ghetto

Lorsque France-Hélène est arrivée à Plieux, elle n'avait pas les mains vides : trois romans – pas moins – d'un écrivain dont, shame on me, je n'avais même jamais entendu prononcer le nom : Percival Everett. Le découvrant (son nom), je me suis aussitôt figuré un Anglais trentenaire et distingué, limite upper class. Raté : c'est un noir américain de mon âge (voir photo, comme on dit dans les journaux).

Ne comptez pas sur moi pour vous en dire quoi que ce soit d'intelligent, puisque, commencé cet après-midi, seule une petite centaine de pages a été lue du premier des trois : Effacement (Erasure). [Cette dernière phrase me semble à la relecture parfaitement inextricable dans sa construction et ses accords. Je la laisse parce qu'elle me fait penser à ces dessins d'escaliers qui montent et descendent sans jamais cesser de monter.] Lecture très prometteuse, néanmoins : construction en étoile (ou en patchwork), humour, décrochage des niveaux de récits, le tout sans rien de desséchant et avec un humour à la fois franc et tout en dentelle.

De plus, belle résonance avec Les Anges rebelles de Robertson Davies, terminé ce matin, puisque les deux romans se déroulent dans le milieu universitaire, ou plus exactement littéro-universitaire, si je puis dire. Un court extrait, pour vous donner une première idée de l'humour qui se pratique ici :


« Dans l'avion, je lus dans l'Atlantic Monthly, ou dans Harpers un compte rendu du best-seller choc de Juanita Mae Jenkins, Not' vie à nous au ghetto :

C'est un chef-d'œuvre de la littérature afro-américaine que Juanita Mae Jenkins a écrit là. On entend les voix de son peuple qui traverse l'expérience de ce qui est, et ne saurait être que l'Amérique noire.
L'histoire commence avec Sharonda F'rinda Johnson, qui mène la vie typique d'une Noire dans un ghetto anonyme en Amérique. À quinze ans, Sharonda est enceinte de son troisième enfant, d'un troisième père. Elle vit avec sa mère qui se drogue et son frère Juneboy, handicapé mental qui joue au basket. Quand Juneboy est tué lors d'une fusillade provoquée par un gang rival, et que la balle traverse son précieux ballon de basket dédicacé par Michael Jordan, Sharonda, devant les gémissements de douleur de sa mère, décide qu'elle doit faire entendre sa voix en tant que représentante de sa culture.
Sharonda se prostitue pour se payer des cours de danse au centre social. Au cours de claquettes, ses prouesses sont remarquées par le producteur d'un spectacle à Broadway, et c'est la révélation. Elle devient une star, achète une maison pour sa mère, mais ses propres limites la rattrapent et elle retombe sur terre.
Si les rebondissements sont fascinants, ce qui fait la force de cette œuvre, c'est sa poignante vérité. Le ghetto est dépeint dans toute sa magie exotique. Les prédateurs rôdent, les innocents sont dévorés. Mais le roman ne s'achève pas sur une note sombre : nous quittons Sharonda alors qu'elle tente de réunir l'argent nécessaire pour retrouver la garde de ses enfants. Sharonda apparaît finalement comme l'archétype du symbole de la force dans la société noire matriarcale.

“Ça ne va pas ?” me demanda ma voisine. »


Je vous laisse : j'y retourne...

14 commentaires:

  1. Il ne manque plus que l’inévitable « C’est avec passion mais sans voyeurisme aucun que Juanita Mae Jenkins nous plonge dans cet univers largement autobiographique. Un roman à la fois tendre, décalé et dérangeant ».

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  2. Ben mon vieux, si ça avait été un blanc qui avait écrit ça...Je me demande si on peut faire un canular du même style en France..Un peu comme "Entre les murs"..Magnifique !

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  3. Il Sorpasso : j'en suis arrivé au moment où le narrateur écœuré (et en manque d'argent) se met à écrire une parodie du roman en question : Everett en a tout de même écrit près de 80 pages, qui ont l'air de décoiffer pas mal – mais je n'en suis qu'à l'entrée...

    Sinon, j'ai pensé la même chose que vous : il faudrait écrire un "roman des cités" (à plusieurs ?), mais sans tomber dans la caricature voyante. quelque chose qui pourrait être vrai.

    Bab : oui, vous avez raison, Everett a bâclé, là !

    Mère Castor : les 100 premières pages de ce roman sont vraiment excitantes – et pas seulement pour l'humour.

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  4. C'est une mise en abyme ?? Mais... Vous seriez NOIR ???

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  5. Emmanuelle : ça m'arrive régulièrement, en effet...

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  6. Percival Everett est un très grand écrivain, assurément. "Effacement" a quelques petits défauts mais c'est un vrai livre de carnassier ! Et très drôle en plus de ça...

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  7. Mais oui, c'est un nègre. Vous l'ignoriez ?

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  8. Dorham : j'étais sûr que vous connaîtriez ! Vous savez que vous m'agacez, parfois ?

    Catherine : on dit "écrivain de couleur", s'il te plaît : pas de place pour loger toute la HALDE ici, moi...

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  9. Et si on lançait le terme "afro-écrivain", tiens ?

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  10. Mon Luminaire Céleste, on leur fera une place dans ta case !

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  11. "il faudrait écrire un "roman des cités" (à plusieurs ?), mais sans tomber dans la caricature voyante. quelque chose qui pourrait être vrai."

    Franchement, Didier, inutile de vous fatiguer vainement, si vous voulez mon avis...

    http://www.evene.fr/livres/livre/samuel-benchetrit-le-coeur-en-dehors-40733.php

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  12. "Inutile" et "vainement", tout ça est un peu vain, non ?... Bref.

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  13. Si vous n'aimez pas mon dernier post, alors, je ne peux plus rien pour vous...

    La médecine prendra le relais...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.