vendredi 20 septembre 2013

Plaidoyer pour Alain Delon


Il était, et est resté longtemps, d'une beauté que l'on disait volontiers solaire, peut être parce que Plein Soleil l'a révélé. Il avait en tout cas un sourire, une mèche, des yeux et un corps à vous faire regretter, parfois, de n'être pas homosexuel. Encore que non, à la réflexion : si nous l'avions été, homosexuel, la frustration aurait sans doute été terrible de n'avoir aucune chance de le rencontrer jamais ; quant à devenir femme pour approcher l'idole, le prix à payer aurait tout de même été bien lourd. Mais, du jour au lendemain, Delon était là ; la veille, inconnu ; le jour d'après, il ne faisait pas partie du paysage : il était un paysage nouveau à soi seul. Pour devenir acteur indispensable, il n'a même pas eu besoin d'aller faire le guignol chez Godard, même s'il y est finalement allé ; après un fécond détour par chez Visconti, il s'est contenté de décrocher de la patère le costume croisé qui pendait à côté de ceux de Gabin, de Blier et de Ventura : l'affaire était faite.

De sa beauté, les folliculaires disaient aussi qu'elle était insolente. Mais il l'était tout entier, insolent, et l'est demeuré. C'est avec insolence qu'il s'est mis à gagner beaucoup d'argent, à s'instituer star, à parler de Delon comme d'un autre que lui (et personne ne semble avoir vu qu'il pouvait s'agir là d'une preuve de profonde humilité, d'étonnement incrédule face à soi-même) ; Delon rajeunissait, se mettait à jouer, et devait bien rire des trépignements que ses poses et ses écharpes blanches suscitaient dans les cercles vertueux et grisâtres qu'il traversait en dansant.

Et puis, la loi commune étant ce qu'elle est, Delon s'est mis à vieillir. De Delon tout court, il est peut-être redevenu Alain Delon, comme au début. Le panache ne l'a pas quitté pour cela, il n'a cherché à rien esquiver, et surtout pas le pathétique de la grandeur déchue. Il dit assez simplement, dès que l'occasion lui est offerte, la douleur et la déception qu'il y a, quand on vit encore et que tous les autres sont morts, à se savoir appartenir au passé, au patrimoine ; il ne craint pas d'exposer sans fleurs les désarrois de la vieillesse, de toutes les petites pertes irrémédiables qui se succèdent en bon ordre.

Alain Delon est une belle figure, même aujourd'hui où le soleil s'avance vers son crépuscule, et qu'il le sait. 

31 commentaires:

  1. merci de nous dresser un si beau portrait de Delon, la chose est plutôt rare. je pourrais parler des heures de cet homme-là. Ne serait-ce que pour lui rendre justice après toutes les insanités et autres conneries en tous genres que les gauchistes se sont plus à déverser sur son compte.

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    1. Oui, il attire la connerie modernœuse comme un paratonnerre la foudre. C'est une des choses qui le rendent admirable.

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  2. Beau texte ! Que dire de plus ?

    Bon, je reconnais le côté passe-partout du commentaire. N'empêche, il est sincère.

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    1. Du moment que le passe-partout revient à me louanger, j'achète !

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  3. Cela m'émeut d'autant plus que mon père a le même âge, qu'il fut d'une beauté exceptionnelle que servait son talent de s'habiller ... chic même débraillé ... et qu'ont lit dans ses yeux, la même confusion de n'être plus aussi présentable qu'autrefois et la même tentative d'y faire face avec humour et dignité.
    Non, c'est dit .... on les aime !

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    1. Et ce doit être encore plus dur pour les actrices, peut-on supposer.

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    2. C'est exactement comme moi.

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  4. On est d'accord (mais ne le dites pas à mes copains gauchistes qui ne peuvent pas le blairer par ce qu'il n'était pas du bon côté). Un peu dans le même "registre", j'ai eu beaucoup d'admiration pour Belmondo (j'avais un collègue qui, à ses heures perdues, était un fan et à force de m'en parler et de l'imiter m'avait transmis le virus). Je m'égare.

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    1. Je dois dire que j'ai plus de mal à admirer Belmondo…

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  5. Jean-François Brunet20 septembre 2013 à 21:41

    "il n'a même pas eu besoin d'aller faire le guignol chez Godard"
    Que voulez-vous dire exactement? Il n'en avait certes pas besoin, pas plus que Brigitte Bardot, Jane Fonda ou Alain Cuny, mais il l'a fait, tout de même...

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    1. Bonjour Monsieur Goux

      D'après l'ami Wikipedia Alain Delon a tourné, en 1990, dans le film "Nouvelle Vague" de Godard

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_Vague_(film)

      (en farfouillant dans l'internet il semblerait que ce film n'ait pas eu un grand succès et n'ait rien ajouté à la gloire de Delon, le roi Soleil du cinéma).

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    2. Delon est très bon dans "Nouvelle vague", et l'on s'aperçoit en regardant ce petit reportage sur le tournage du film qu'entre lui et Godard, le plus malin et intelligent des deux n'est pas forcément celui qu'on croit...

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    3. Jean-François Brunet21 septembre 2013 à 23:02

      Mais tout le monde a tourné avec Godard, et sans en avoir besoin (même Johnny Halliday!). S'il y a une chose qu'on ne peut pas lui enlever, c'est d'avoir donné envie aux gens de tourner avec lui. Ce qui fait que je ne comprenais par votre saillie.

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  6. Tiens, Plein Soleil repasse justement ce dimanche, sur Arte.

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    1. En vous forçant encore un peu, vous n'allez pas tarder à nous faire l'horloge parlante.

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  7. Delon est un homme libre et intègre.

    En revanche, quel triste spectacle de voir son fils essayer de "rattraper" une phrase prononcée sciemment par son père aux médias, en expliquant à une journaliste du système que c'était une boulette.

    Rattrapage de "boulette" selon Delon fils

    Si Delon père est incontestablement libre, on ne peut visiblement pas en déduire que c'est une qualité qui se transmet par la génétique.

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  8. Lorsque vous écrivez qu'Alain Delon "s'est mis à parler de Delon comme d'un autre que lui (et personne ne semble avoir vu qu'il pouvait s'agir là d'une preuve de profonde humilité, d'étonnement incrédule face à soi-même)", je suis en parfait accord avec cela.
    Il a beaucoup été moqué par les médias qui croient tout savoir et tout comprendre, mais en réalité il s'agit là d'une subtilité qui montre que la personne privée avait (et a sans doute toujours) une distance très claire et très saine vis à vis de l'acteur, le "personnage" Delon, fabriqué et entretenu par les médias.

    Je trouve cette différentiation très saine et effectivement empreinte d'humilité.
    L'homme reste homme et parle de la star Delon sans utiliser le "JE" prétentieux et présomptueux pourtant très à la mode chez tous les artistes convaincus qu'ils sont tout droit sortis de la cuisse de Jupiter et qui défilent sur les écrans de cette TV poubelle.
    Delon sait que ce sont les autres qui lui ont permis de construire ce personnage, même si son propre talent en a été bien sûr un des constituants essentiels.
    C'est à rapprocher de l'artiste qui signe ses oeuvres sous un pseudonyme et qui, de la même manière, différencie la femme ou l'homme privé(e) de l'artiste.

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  9. Vous avez tout à fait raison.
    Je trouve d'ailleurs que Delon me ressemble beaucoup… La beauté, le talent, ce regard limpide et cette allure altière.
    Tout comme moi, il vieillit bien.

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    1. On a tous en nous quelque chose d'Alain Delon, moi j'dis.

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    2. Sébastien Tellibag21 septembre 2013 à 11:27

      C'est vrai que vous ressemblez beaucoup à Alain Deloin :-D

      http://www.youtube.com/watch?v=tcrpb8ABsiI&feature=youtu.be&t=4m26s

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  10. Commencer sa carrière avec un film comme "Plein soleil" était vraiment révélateur : dès qu'il apparaît sur l'écran, il l'illumine, on ne voit plus que lui, même dans ses rôles nocturnes chez Antonioni ou Melville (est-ce que l'on peut trouver mieux comme performance d'acteur que Delon dans "Le Samouraï" ?).

    Ce qu'il a récemment déclaré à propos des homosexuels n'a guère d'importance quand on a été comme lui un objet de désir pour plusieurs de ses metteurs en scène : il suffit de regarder "Rocco" et "le Guépard" pour comprendre tout de suite ce que Visconti éprouvait pour lui. Est-ce que c'est oui ou non "contre-nature" ? On n'en a vraiment rien à faire...

    En revanche, je ne suis pas de votre avis sur Godard, que j'aime beaucoup et qu'il est peut-être un peu rapide de réduire à des "guignolades"...

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    1. J'avoue, j'avoue, j'ai été un peu sommaire sur Godard… dont j'ai d'ailleurs aimé certains films (mais assez peu).

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  11. Les balourds qui vous suivent n'ont sans doute pas compris qu'en évoquant la dégradation physique (quel intérêt?) d'Alain Delon, vous pensiez en fait à sa dégradation intellectuelle, tentant ainsi d'excuser celle-ci, de jour en jour plus pathétique, ou au moins de la comprendre.

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    1. Heureusement que vous passez régulièrement pour relever le niveau, en somme.

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    2. Oui, n'est-ce pas, car je n'ose pas croire que vous puissiez à ce point gaspiller votre énergie à détailler les disgrâces physiques que l'âge entraine, même s'il s'agit d'Alain Delon.

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    3. En tant que borte-parole du syndicat des palourds (et des palourdes, n'oublions pas Mildred) je m'insurge au titre de la responsabilité qui me décombe, et qui m'incombe aussi bien sûr.

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  12. Delon dans le "Le cercle rouge", putain de film quant au grincheux qui se sont vautrés dans ses propos comme dans le fange, qu'ils crèvent!

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  13. Un couple que je voyais souvent il y a quelques années, faisait partie des amis de Alain Delon.
    Or Delon, qui s'était présenté au Festival de Cannes sans cavalière, demanda à cette amie de monter les marches avec lui.
    Elle m'a assuré qu'elle n'avait jamais eu aussi peur de sa vie : les hurlements hystériques des femmes étaient tels, qu'il avait fallu refermer les portes en urgence dès qu'ils furent entrés au Palais, et ces furies continuaient à taper sur les vitres en grimaçant de façon hideuse.
    Racontant cette anecdote, on pouvait encore lire la peur dans ses yeux.

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  14. Imaginez un instant qu'il ne se soit agit que d'un sosie d'Alain Delon. On ne parle jamais assez de la peur des sosies.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.