dimanche 24 août 2014

Alors Dieu dit à Moïse : « Je t'attendrai à la porte du garage ! »


J'ai petit à petit acquis cette conviction que la fameuse chanson de Charles Trenet était habillée de burlesque afin de mieux dissimuler sa nature de parabole biblique, essentiellement vétéro-testamentaire, mais pas uniquement ; parabole du reste assez transparente, pour peu que l'on prenne la peine d'en lire les paroles :

Aux environs des belles années 1910,
Lorsque le monde découvrait l'automobile,
Une pauvre femme, abandonnée avec ses fils
Par son mari qui s'était enfui à la ville…

La datation du premier vers est évidemment fantaisiste, ou symbolique si l'on préfère, comme le sont toutes celles que l'on peut rencontrer dans la Bible ainsi que chez ses nombreux exégètes, d'Origène à Bossuet. Dans le vers suivant, en revanche, il me semble tout à fait clair que l'automobile en question ne peut être qu'une monoplace : sinon, pourquoi ce brave homme n'emmènerait-il pas femme et rejetons ? On peut alors facilement en déduire qu'à travers cette monoplace, c'est en fait le monothéisme que découvre le monde à l'époque de notre histoire ; époque particulièrement tragique, puisque la pauvre femme abandonnée symbolise évidemment la terre de Chanaan, désertée par les douze tribus d'Israël tout au long de la captivité en Égypte. Quant aux fils, ils sont tout naturellement les fruits de cette terre, qui attendent le retour du peuple hébreu pour pouvoir achever leurs croissance et produire d'autres fruits à leur tour. – Poursuivons, en passant directement au refrain :

Je t'attendrai à la porte du garage,
Tu paraîtras dans ta superbe auto.
Il fera nuit, mais avec l'éclairage,
On pourra voir jusqu'au flanc du coteau.

On comprend tout de suite que le coryphée du couplet s'est effacé et que c'est désormais Dieu lui-même qui s'adresse à sa créature, pour lui dire qu'il l'attendra à la porte du garage. Mais pourquoi à la porte ? Pourquoi pas dans le garage (surtout s'il pleut), voire sur l'un des tabourets de bar du salon d'angle ? On l'a déjà compris : parce que Moïse se vit refuser l'accès à la terre promise, qu'il ne put en franchir la frontière ! La suite est encore plus limpide : l'éclairage est évidemment la lumière divine, qui signale à Israël qu'il est enfin rentré chez lui – mais qu'il devra tout de même faire gaffe aux roquettes. Quant au flanc du coteau… tout le monde sait que Moïse, avant de mourir, eut la joie ineffable de contempler les ruisseaux de lait de Chanaan du haut d'une colline. C'est alors que l'auteur s'autorise une échappée en direction du Nouveau Testament. Qu'on en juge :

Nous partirons sur la route de Narbonne
[…]
Et nous verrons les tours de Carcassonne
Se profiler à l'horizon de Barbeira.
Le lendemain, toutes ces randonnées
Nous conduiront peut-être à Montauban…

Ne croirait-on pas voir Satan, au sommet de la montagne, offrant à Jésus tous les royaumes de ce monde, pour peu qu'il consente à l'adorer, lui, le prince du mensonge ? Pour ceux qui douteraient encore de la validité de cette interprétation, voici le coup de massue, au début du second couplet :

Il courut ainsi pendant plus de quarante ans,
Escamoté par son nuage de poussière…

Quarante ans, n'est-ce pas ? Cette durée, si excessive pour un automobiliste en goguette que l'on la pouvait prendre pour une gaminerie surréaliste, mais qui devient tout à fait raisonnable, et attestée par le Livre, dès lors que l'on parle d'un peuple juif condamné à zigzaguer dans le désert pour avoir adoré le Veau d'or pendant que Moïse allait chercher le menu des trois millénaires à venir ! Pour le nuage de poussière – qui pourrait bien être du sable, gagé-je –, il n'est là que pour expliquer qu'en quarante ans aucun bédouin local n'ait jamais rencontré cette considérable bande de loqueteux se traînant entre Nil et Mer Rouge.

24 commentaires:

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    1. Inutile, puisqu'on a pris la peine d'ouvrir la Mer Rouge avant de partir en balade !

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  2. Démonstration aussi limpide qu'irréfutable. Personnellement, j'ai l'intuition que "Débit de l'eau, débit de lait" traite du mystère de l'incarnation, seulement, n'ayant pas votre talent d'exégète, je ne saurais l'expliquer clairement.

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  3. Merci pour ce "Dimanche et Croix" remarquable !

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    1. C'est Bossuet qu'il faut remercier : ce fut lui l'inspirateur (à sa profonde stupéfaction d'ailleurs).

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    1. C'est à ce point que je m'épate d'être le premier à y penser, depuis environ soixante ans que la chanson existe.

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  5. Vous devriez proposer à votre curé ce "sermon" autrement plus intéressant que la soupe servie généralement...

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  6. Il me semblait que les véritables paroles n'étaient pas "Je t'attendrai à la porte du garage" mais "Je tâte André à la porte du garage".
    Je me suis permis, sans votre autorisation, d'inviter les quelques maigres lecteurs de mon blog à aller flâner sur le vôtre.

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    1. Oui, c'est une légende qui court depuis longtemps… et que Trenet s'est bien gardé de jamais démentir !

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  7. "Papa, mais où t'es ?" La question par excellence.
    C'est peut-être ce qui explique cet engouement pour Charles Trenet, ces chansons en apparence farfelues mais traitant de l'originel (comme "papa pique et maman coud", "le soleil a rendez-vous avec la lune" ..) comme tous nos discours, d'ailleurs, aujourd'hui comme toujours.
    Et votre développement sur Moïse (et le monothéisme) est extrêmement intéressant.
    http://jakelie.blogspot.fr/2014/06/papa-ou-tes-papaoutai-de-stromae.html

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    1. À ce propos, je me dois de révéler qu'au départ la chanson que vous citez s'intitulait Papa pique et Maman Goux.

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  8. Pourquoi une monoplace, selon certaines bonnes âmes , l'automobile serait un moyen de transport machiste et égoïste donc un cabriolet pourrait être possible surtout qu'en 1910, il s'agissait de grosse automobile avec des moteurs de 7 ou 8 litre de cylindrée comme cette voiture:

    http://www.classicdriver.com/en/car/american-lafrance/6-zylinder/1917/230627

    Quant à l'analyse que vous en faites, je voudrais voir la tête de Trenet.

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    1. Ça l'aurait sans doute amusé… et peut-être même flatté.

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    2. Hors sujet mais sur la chaîne de télévision FX, il y a un film en ce moment qui devrait vous plaire, il s'agit "Doghouse"; il passionne mon épouse, des nanas enragées bouffent les hommes, de futurs "Femen" en quelque sorte.

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    3. Oh, mais je le connais, celui-là ! Et si je ne l'ai pas re-regardé hier soir, c'est parce qu'il était proposé en VF, ce qui n'est pas supportable pour un film anglais. Il est en tout cas extrêmement drôle, un peu dans la veine de Shaun of the dead.

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  9. Je peux même ajouter que c'était une monoplace à 12 cylindres (en V), rapport aux 12 tribus d'Israël.

    Exégète
    Duga

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    1. Pas impossible. Où l'on voit que je n'ai pas assez creusé mon sujet…

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  10. Où l'on apprend que Dieu aurait eu des "faiblesses" envers Moïse au point de le tater...

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  11. Ne feriez vous pas fausse route (si j'ose dire) avec la Bible alors qu'il s'agit peut-être d'une interprétation du Bouddhisme du Grand Véhicule ?

    Mystique
    Duga

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  12. Version américaine de l'histoire :
    MacDonald, le shériff de Loundon County tire sur sa fille de 16 ans qui rentrait sur la pointe des pieds par la porte du garage.
    Elle a été transportée au Winchester Medical Center.
    Ça ne s'invente pas.

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