jeudi 7 août 2014

Les parasites universitaires, cette engeance

Théophile Gautier (1811 – 1872) s'efforçant au calme.

Des parasites, nous en connaissons de toutes sortes, depuis le ténia jusqu'au fonctionnaire, en passant par le gui, la douve du foie ou l'animateur culturel. Peu me sont plus horripilants que le parasite universitaire ; je veux parler de ces petits sachants prétentieusement pontifiants qui, contre une rétribution de traîne-savate, salissent de leurs notes-en-bas-de-page des œuvres qui n'avaient nullement mérité cette lèpre intempestive. C'est ainsi que, depuis hier que je lis les Récits fantastiques de Théophile Gautier, je ne cesse d'agonir d'injures variées et fleuries un certain Marc Eigeldinger, dont je vous prierai d'oublier la malencontreuse existence dès que vous aurez achevé la lecture de cet atrabilaire billet.

Sauf exceptions fort rares, M. Eigeldinger n'interrompt jamais votre lecture afin de vous apporter une précision qui rendrait celle-ci plus facile, votre compréhension plus pleine ou plus large. En revanche, il le fait constamment pour gloser et ramener une science qu'il a l'air de trouver impressionnante. Comme cet individu semble dénué de tout sens du ridicule, il lui arrive parfois d'être drôle, sans pour autant que cesse l'irritation de sa victime, d'avoir été aussi intempestivement interrompue dans le fil de sa lecture. Cela donne alors des notes comme celles-ci – et elles fourmillent :

« Dans les récits de Gautier, la transparence, opposée à l'opacité, est l'une des propriétés récurrentes du fantastique ou une qualité annonciatrice du fantastique. »

Qui donc, en effet, privé des lumières savantes de M. Eigeldinger, qui donc aurait eu cette idée géniale d'opposer un jour la transparence à l'opacité ? Qui, encore, aurait pu, sans M. Eigeldinger, démêler de telles subtilités grammaticales :

« On, le pronom impersonnel, assez rare dans les récits de Gautier, englobe en quelque sorte le narrateur et les personnages. »

Là, on atteint à l'extrême pointe de la science littéraire et syntactique : même M. Eigeldinger, en ces contrées entièrement inexplorées, n'est plus tout à fait sûr de ses fulgurances, d'où ce prudent en quelque sorte, dont la modestie honore son auteur. Une petite dernière, si vous le voulez bien, parce que je la trouve irrésistible :

« le sablier de l'éternité. Gautier use souvent de métaphores temporelles pour traduire le sentiment de l'éternité. »

User d'une métaphore temporelle pour parler d'éternité : même Gautier, gageons-le, ne se serait sans doute pas cru capable d'une telle prouesse, d'une idée aussi novatrice. Les bourdes prud'hommesques de ce genre, il en bourgeonne dans ce volume (Garnier-Flammarion) environ une toutes les deux ou trois pages. À la fin, le lecteur échevelé et hagard se rend compte qu'il n'a plus droit qu'à deux explications : soit M. Eigeldinger le prend pour un imbécile, soit M. Eigeldinger est un imbécile.


Note-en-bas-de-page : Ayant eu la curiosité de taper le nom du cuistre dans Goux Gueule, j'apprends qu'il est suisse – ce qui n'excuse rien –, qu'il est mort en 1991 – ce qui ne le blanchit pas davantage –, et que ses étudiants de l'université de Neuchâtel le surnommaient familièrement Dingo, ce qui est déjà plus éclairant.

48 commentaires:

  1. Le problème avec ces notes généralement dénuées de tout intérêt c'est qu'on est tout de même tenté de les lire au cas improbable où l'une d'elles contiendrait une information valable...

    "À la fin, le lecteur échevelé et hagard se rend compte qu'il n'a plus droit qu'à deux explications : soit M. Eigeldinger le prend pour un imbécile, soit M. Eigeldinger est un imbécile." Les deux, mon général !

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    1. C'est lorsqu'on tombe sur un cuistre de cette envergure que l'on apprécie le rejet des notes en fin de volume : la tentation d'y aller voir est alors bien plus facile à surmonter.

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  2. Bonjour Didier,
    Goux Geule nous apprend aussi qu'il a eu le Prix de l'Académie Française 1975 pour l'ensemble de son oeuvre.
    Comment classer les Immortels ?

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  3. Oh oui les notes en bas de pages sont presque pire que celles en fin d'ouvrage, parce qu'elles sont dans le champs de vision et polluent la lecture. La barbe les universitaires !(1)

    1 - monsieuY use souvent dans ses commentaires stupides de référence à la pilosité. En effet, tout petit déjà il s'arrachait les poils du nez car ça le faisait éternuer, et il aime beaucoup éternuer, Dieu sait pourqui. Pour plus de précision, voir MonsieurY sa vie son œuvre au Puf.)

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    1. Et moi je déteste les notes en fin de volume qui obligent à jongler avec le livre. Vive les notes en bas de page !

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    2. D'accord avec vous, à condition qu'il s'agisse de notes intelligentes et utiles. S'il s'agit d'un ramassis de truismes prétentieux, autant ne pas les avoir sous les yeux.

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  4. Ouille, vous y allez bien fort dans la généralisation !
    Je ne voudrais surtout pas avoir l'air de défendre Marc Eigeldinger dont je n'ai jamais lu, sinon celles rapportées ici, les notes de bas de page, mais dans votre article, cela devient : "ces petits sachants prétentieusement pontifiants qui, contre une rétribution de traîne-savate salissent de leurs notes-en-bas-de-page des œuvres qui n'avaient nullement mérité cette lèpre intempestive".

    Je ne souhaite pas entrer dans un débat entreprise privée vs secteur public et commenter sur les fonctionnaires comparés à des ténias mais dans l'exemple ci-dessus, admettez que vous passez un peu vite à la troisième personne du pluriel.

    Pour prendre un seul contre-exemple, moi qui aime lire Voltaire, j'avoue que les notes & commentaires me sont souvent utiles car Voltaire sans le contexte, c'est toujours une perte. Ah si autre contre-exemple. J'ai lu récemment 'The sun also rises' d'Hemingway. Je n'y avais trouvé aucun intérêt tellement manquait toute considération un peu explicative sur les états d'âmes des personnages. J'en ai discuté avec une universitaire qui m'a expliqué le choix narratif purement factuel de l'auteur, toute interprétation devant découler du seul ressenti du lecteur. Je n'ai pu admettre cela tout de suite mais, finalement, j'ai fini par apprécier grandement ce roman d'Hemingway

    Pour revenir à votre article, le commentaire suivant : « On, le pronom impersonnel, assez rare dans les récits de Gautier, englobe en quelque sorte le narrateur et les personnages. »
    peut certes paraître trop basique mais il est toujours intéressant de s'interroger sur le pronom "on".
    Il me semble d'ailleurs souvent que dans les discours qui tournent autour d'un "on", la détermination de ce "on" est précisément la part la plus intéressante de l'analyse.

    Bon j'espère que votre atrabile sera retombée là, sinon je vais me faire enflammer moi ;-)

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    1. La barbe pousse lentement, tranquille, sans exclamation

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    2. « Trop basique » Il va toutes nous les faire, lui, je sens ça.

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    3. certes Georges, je resterai sans doute à jamais "trop basique" ne pouvant espérer être aussi acide que vous

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    4. Laissez tomber l'acide et mettez des majuscules au commencement des phrases, ce sera déjà ça.

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    5. je crois que j'ai affaire à un pédant barbu (mais peu à faire avec un pédant barbu, qu'en penses-tu Georges ?) mais sans inspiration. Allez, bye, bye, j'ai vérifié et je me suis effectivement trompé d'endroit. Sorry, désolé, et n'hésitez pas à tout virer. Je sens que le Georges s'est déjà assez étranglé là.
      marcj

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  5. Ce fainéant de Gautier aurait dû mettre ses notes lui-même. Vous auriez été emmerdé pour gueuler.

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  6. Marc Eigeldinger7 août 2014 à 14:51

    Je prends connaissance de ce billet inamical à l'occasion d'une recherche sur Google. Je serais bref.

    1. Le "Marc Eigeldinger" dont il est question ici n'est pas décédé, puisqu'il s'agit de moi et que jusqu'à preuve du contraire je suis bien vivant. Il y a confusion avec un autre, qui se trouve être mon oncle effectivement décédé, que ses étudiants nommaient affectueusement "Dingo" en raison de son nom (Eigel-dinger") et non pas par méchanceté.

    2. Je suis l'auteur des notes de bas de page du livre incriminé, ayant suivi l'exemple de mon oncle homonyme dans mes études universitaires de lettres.

    3. Cependant je ne suis pas universitaire moi-même, au sens où je n'enseigne pas à l'université. Après mes études de lettres la littérature est devenue pour moi une sorte de violon d'Ingres, ce qui ne m'a pas empêché de publier quelques éditions critiques, comme ce Gauthier.

    4. Ma véritable profession étant celle d'épicier, je dois conclure à la nullité totale de ce billet qui s'en prend inutilement à la noble profession d'universitaire.

    5. La prochaine fois, vérifiez avant de publier des sottises !

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    1. Il y a encore des gens qui ont le sens du canular à la française, ça fait plaisir…

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    2. Marc Eigeldinger7 août 2014 à 16:10

      J'ai glissé un indice permettant d'identifier le coupable. Saurez-vous le découvrir ?

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    3. Gauthier écrit avec une "h" ?

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    4. Marc Eigeldinger7 août 2014 à 16:26

      Non, ça c'est une simple et bête erreur.
      Je pensais à l'épicier, mais peut-être n'y a-t-il qu'un seul des commentateurs habituels qui soit capable de comprendre la fine allusion, et on dirait qu'il est en vacances.

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    5. Marchenoir traité d'épicier par Marco Polo.

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    6. Bon, je me dénonce.

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    7. Le Plouc m'a une fois traité (avec humour) d'épicier...

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    8. "Je seraiS bref", suivi d'un pavé : Dingo Polo, Il Blablator

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    9. Bravo à Jazzman (et à Sha, qui se souvient de ce brave et honnête Blablator...).
      Jacques Etienne : épicier ? un grand jardinier comme vous ? Allons...

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    10. Je suis jaloux, Polo. Aurais-je droit moi aussi à une imitation, une de ces jours ? (Savez-vous que Lorenzo Da Ponte avait fini sa vie épicier aux Amériques ?)

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    11. L'imitation de Georges dans le rôle de l'auditeur attentif au Festival de Marlboro ça a déjà été fait par K2R.
      Donc Marco pourrait nous faire Georges dans le rôle de l'anti-antisémite trisomicophile qui se tire une balle dans le pied et rentre au chenil partager une boîte de canigou kasher avec Goux, car ils ont oublié que c'est la période du Festival de Gaza et que ce n'est pas le moment de chasser à courre.

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    12. Quoi??
      On chasse à cour à gaza?
      De mieux en mieux ce blog.

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    13. Cette fausse insulte est très drôle. L'épicier. Coiffeur, en revanche...

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  7. Opposer la transparence à l'opacité, en voilà un bel hommage rendu aux lunettes de soleil.

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    1. Lunettes de soleil... cela me fait penser au formidable "commercial" qui a réussi à vendre des centaines de milliers de lunettes de soleil, de par le monde, à des aveugles!

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    2. Arrêtez, mon cerveau "malade" a l'irrésistible envie d'évoquer l'histoire du mec qui vend des jeans à une jambe uniquement.

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  8. Pour éviter d'être tenté de lire les notes en bas de page qui sont souvent imprimées plusieurs corps en dessous de celui du texte principal, j'utilise les lunettes que je portais il y a quelques années avant d'aller chez l'ophtalmo pour lui dire: "Je n'arrive plus à lire les notes en bas de page".

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    1. Catheriiiiine !!! Elles sont où, mes vieilles lunettes ? T'as une idée ?

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    2. Dans la boite à gants de la voiture. Au fait pourquoi on appelle ça une boite à gants ? Vu tout le merdier que j'y mets mais point de gants !

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  9. Une "Vie de Mozart" ne se permettrait pas de telles fausses notes.

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  10. Bonjour Monsieur Goux
    Monsieur des Collines vous a pris au mot et, tel un universitaire sous acide, vient de livrer un savoureux billet surchargé de notes de bas de page en petits caractères. Il commente le " magnifique texte immortalisé par l'immense Pauline Carton" Sous les palétuviers, chef d'oeuvre, s'il en est, de la littérature française...

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    1. Je l'ai lu. J'ai même laissé un commentaire… qui s'est volatilisé avant d'arriver à bon port.

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    2. Cette perte est inestimable. N'auriez-vous pas, pour la postérité, l'envie de tenter un nouvel essai ? Après tout, bon port est facile d'accès...

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  11. Merci, Didier, pour avoir si bien exprimé ce que je ressens en lisant l'une des "nouvelles" éitions de la Pléiade (post-1975), qui sont des sommets de stupidité universitaire satisfaite.
    Je vous conseille particulièrement les trois (!!!) volumes de Jarry, auprès desquels les petits fientes de M.Eigeldinger sont un modèle d'intelligence et de limpidité.

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    1. En effet, ce doit être quelque chose !

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    2. Trois volumes de Jarry ? Ils doivent contenir ses listes de courses et ses factures d'eau, de gaz et d'électricité ! Avec les commentaires y afférents !

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  12. Je n'ai jamais aimé les notes écrites en tout petits caractères qu'elles soient en bas de page ou en fin de livre, intelligentes ou pas , c'est d'un chiant de plus quand on ne les lit pas, on de demande si l'on a pas raté une information importante.

    Les auteurs devraient faire deux livres, un avec le texte sans note et un autre avec les notes qu'ils mettaient avant en bas de pas ou ailleurs.

    Ainsi, les aficionados des notes pourraient se jeter dessus et cela serait moins éprouvant pour les autres.

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  13. La seule chose positive qui reste de tout ce fatras, c'est que le sieur Eigeldinger est bien mort.

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  14. Kundera, lui, n'en a pas voulu de critiques, de notes, etc.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.