dimanche 9 novembre 2014

Tu reviendras à Brideshead


On peut vivre jusqu'à 58 ans sans avoir jamais lu une ligne d'Evelyn Waugh, j'en témoigne ; jusqu'au jour où l'on décide, sans raison particulière, de combler cette lacune. On commence, au hasard, par Le Cher Disparu (The Loved One) ; mais, malgré le plaisir que l'on prend à sa lecture, on se rend vite compte que découvrir un écrivain typiquement anglais par le biais d'un roman se déroulant en Californie – une sorte de Six feet under récrit par Wodehouse –, n'est peut-être pas la meilleure idée que l'on ait eue. Alors on passe au Retour à Brideshead (Brideshead revisited) et, dès les premières pages, on pousse un petit soupir de satisfaction soulagée : on est bien au cœur d'une certaine aristocratie anglaise, celle qui nous vient de Jane Austen et s'est fortement chargée en burlesque au cours de sa traversée du XIXe siècle ; un burlesque hautement britannique, c'est-à-dire déroulé avec le plus implacable sérieux. Du reste, il ne me semble pas possible d'aborder le burlesque autrement qu'avec un sérieux sans faille – mais ce serait un autre sujet.

Retour à Brideshead, c'est une famille et un narrateur qui la regarde durant six cents pages. Cela commence dans l'Oxford des années folles pour se terminer dans les bivouacs de la Seconde Guerre mondiale. Peu de romans, je crois, sont à ce point capables de faire sentir le temps qui passe, le vieillissement des personnages, leurs désenchantements, la mélancolie nostalgique qui se répand partout et imprègne toute chose, sans jamais aborder ces thèmes frontalement. Passé les fêtes estudiantines du début, le sentiment de l'irrémédiable, ou du never more, s'empare très vite du lecteur et ne le lâchera plus jusqu'à la fin – une fin absolue, en quelque sorte, puisque, en même temps que celle du livre, elle frappe aussi de mort les Brideshead et leur monde ; cela sans que jamais la cocasserie incongrue ne perde tout à fait son droit de cité.

Le livre refermé, on a l'impression qu'on vient de lire un grand roman. Cette “impression”, c'est toute l'élégance d'Evelyn Waugh.

12 commentaires:

  1. Si vous continuez à me faire découvrir des écrivains anglais, je ne vais plus lire que ça...

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    1. Foncez sur Retour à Brideshead ! D'autant que vous avez la chance de pouvoir le lire dans sa langue d'origine…

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  2. Merci de donner si bellement envie de lire cet Evelyn Waugh dont je ne connaissais que le nom.

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    1. J'étais dans la même situation il y a encore deux semaines !

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  3. Tel que je vous connais, et après avoir lu la biographie de cet Evelyn, je ne doute pas que vous allez lire TOUS ses romans l'un après l'autre. Car comment résister à un aristocrate anglais répudié par son milieu pour cause de médiocrité mais réhabilité pour cause de succès et qui décide, sans doute pour se venger, de se convertir au catholicisme !

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  4. Bonjour Monsieur Goux :
    Je n'ai pas lu le roman "Brideshead revisited" mais, dans les "lointaines" années 80 j'avais vu la série britannique "Retour au château" qui en était tirée. Vous écrivez que "peu de romans, je crois, sont à ce point capables de faire sentir le temps qui passe, le vieillissement des personnages, leurs désenchantements, la mélancolie nostalgique qui se répand partout et imprègne toute chose, sans jamais aborder ces thèmes frontalement." La série faisait parfaitement ressentir, aussi, ce que vous décrivez.
    Dans "Retour au château" le rôle du narrateur qui observe cette famille aristocratique en décomposition était tenu par un jeune, mais déjà désabusé, Jeremy Irons. Si vous avez un jour l'occasion de voir cette série elle en vaut vraiment la peine (elle a été primée par un Golden Globe).


    http://fr.wikipedia.org/wiki/Retour_au_ch%C3%A2teau

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    1. Ça finira bien par repasser sur l'une ou l'autre de "mes" chaînes…

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    1. J'ai failli le commander ! Ce sera pour la prochaine fournée…

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  6. Le plus drôle, si vous avez aimé son air pince sans rire, c'est Une Poignée De Cendres, histoire d'un homme ayant tout perdu qui termine sa vie captif d'un illettré au fond de la jungle amazonienne, condamné à lui lire Dickens jusqu'à la fin des temps.
    Nimier aimait beaucoup les romans de Waugh parait-il.

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