On va encore répétant – pont aux ânes – que les romans russes se caractérisent par la prolifération sans mesure des personnages qui les peuplent. D'abord, je pourrais dans le quart d'heure vous citer quatre ou cinq grands romans russes dont ce ne serait nullement la caractéristique ; admettons cependant. Mais à côté des Paysans de Balzac, livre tout juste achevé entre réveil et aurore, même La Guerre et la Paix de Tolstoï, Les Démons de Dostoïevski ou Les Golovlev de Saltykov-Chtchtédrine font presque figures de drames intimistes ! Les Paysans est vraiment un extraordinaire roman : la
prolifération des personnages, le grouillement de la vie,
l'enchevêtrement des intrigues des uns et des autres au gré de leurs
intérêts, tantôt divergents, puis convergents, avant de s'opposer à
nouveau, la description précise des combines et des montages financiers,
les luttes d'influence, les alliances, économiques, matrimoniales ou
autres ; tout cela forme un ensemble proprement hallucinant, d'où se
dégage finalement, avec une acuité inégalée je crois, le tableau de la
chute inexorable non seulement de l'aristocratie mais aussi de la grande
bourgeoisie foncière qui pensait se substituer à elle. Un maître livre, comme auraient dit mes confrères du XIXe siècle.
Et la question qui revient, chaque fois que je m'offre une brasse coulée plus ou moins longue dans le grand bain de La Comédie humaine : qui et quoi lire, après ça ? Tout à l'heure, j'ai enchaîné directement – après un café-cigarette tout de même – sur Cœur de lièvre, roman de John Updike, écrivain encore jamais lu. Le malheureux Américain a sans doute pâti excessivement de l'ombre du géant car, après cinquante pages, je l'ai remisé avec un discret bâillement ; conscient du tort que je lui ai sans doute fait, de la lutte à armes trop inégales dans laquelle je l'ai contraint de s'engager, je lui accorderai une nouvelle chance d'ici une semaine ou deux. Depuis, c'est une romancière, elle aussi américaine et elle aussi non lue encore, qui se mesure à la statue d'Honoré : Joyce Carol Oates, Nous étions les Mulvaney. Pour l'instant, elle semble décidée à s'en tirer ; les frêles dames ont parfois de ces ressources insoupçonnées ; Honoré reste sur son quant-à-soi.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.