jeudi 20 août 2020

La double vie de Salvatore : le jour du jugement


Salvatore Satta est né en Sardaigne, à Nuoro (photo), en 1902. Mort en 1975, il fut connu, entre ces deux dates, comme l'un des grands juristes de l'Italie contemporaine, auteur notamment d'un monumental Commentaire sur le Code de procédure civile et le Droit procédural civil en cinq volumes. Il fut aussi doyen de la faculté de droit de Rome. Pas de quoi, jusque-là, attirer notre attention – en tout cas la mienne. 

Après sa mort, en inspectant les nombreux papiers qu'il conservait, sa famille tombe sur une sorte de manuscrit portant ce titre : Il giorno del giudizio. Le Jour du jugement. Le roman est publié en 1977, sans le moindre succès d'abord, avant d'être traduit en une vingtaine de langues, dont la nôtre dans laquelle je viens de le lire. 

J'ai dit : le roman. S'agit-il d'un roman ? Pas au sens classique du mot, non. On assiste plutôt à une résurrection collective : celle de la petite ville natale de l'auteur, et surtout du fourmillement de ses habitants d'alors (le livre se déroule au tournant du XXe siècle, mais les repères chronologiques sont rares et fuyants), hommes et femmes nés de la terre et retournés à elle, sans laisser d'autres traces en ce monde que celles que le narrateur s'efforce de retrouver. Car ici, nous est-il dit, si les morts sont enterrés solennellement, et pleurés à grand bruit, ils sont aussitôt oubliés et plus rien ne subsiste d'eux.

Une saga, donc ? Oui, en quelque sorte. Mais emplie de protagonistes à qui il n'arrive jamais rien que de minuscule à l'échelle du monde, et même de l'Italie, et même de l'île prise dans son entier. Tout s'organise autour de la figure du notaire Don Sebastiano Sanna, acharné de travail et fécond en progéniture, assez peu soucieux de son épouse invalidée par les grossesses multiples, à qui, lors de leurs rares désaccords exprimés, il clôt toujours le bec par cette sentence sans réplique : « Dis-toi que si tu es au monde, c'est parce qu'il y avait de la place. » On n'est pas plus féministe.

Le narrateur, sentant sa fin prochaine, est revenu à Nuoro, afin de faire se lever les ombres qui dorment au cimetière – notables ou bergers, voleurs de troupeaux et gens d'Église, instituteurs ivrognes ou mendiants illuminés, prostituées et vierges mystiques –, faisant revivre avec elles leurs passions d'amour ou de haine, leurs mesquineries comme leurs gestes flamboyants, dans une fresque à la fois grouillante et précise où sont indémêlables le tragique et le grotesque. Et sur quoi règne une mort omniprésente.

Au jour du jugement, Salvatore Satta pourra se présenter avec ce livre à la main. Tout un cortège de fantômes sardes, fraîchement ressuscités, viendra témoigner pour lui – et on lui ouvrira.

12 commentaires:

  1. Excusez-moi, mais là, j'ai Montherlant !

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    1. Eh bien ! si vous lisez ses œuvres complètes, on n'est pas près de vous revoir !

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  2. Pas l'habitude de faire la promo mais j'aimerais connaître votre avis sur "Semper Augustus" de Bleys, si par hasard vous auriez 3 ou 4 heures à tuer.

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    1. Finaliste du Goncourt des lycéens et "animateur d'ateliers d'écriture" : voilà qui ne donne guère envie d'en savoir plus sur ce garçon… Peut-être à tort d'ailleurs.

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  3. Souvent les finalistes font de meilleures lectures que les lauréats. J'ai trouvé son sujet intéressant.

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    1. Vous avez peut-être raison. Mais enfin, vous savez ce que c'est : je suis très vieux, et la vie est si courte…

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    2. Biden, candidat à la présidentielle à 77 ans, pour 4 ans... Ce que j'aime bien,aux USA, c'est que l'âge ne compte pas, alors que, chez nous- âge de la retraite oblige- il est réac de se dire en pleine forme à 62 ans.

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    3. Il n'empêche, nonobstant votre commentaire parfaitement hors de propos, que je n'ai guère envie de lire un monsieur qui exerce la noble profession d'“animateur d'ateliers d'écriture” et qui, je cite Wiki, “revendique un goût affirmé pour l'échange culturel”.

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  4. Ainsi vous prétendez échapper au "goût affirmé pour l'échange culturel", en proposant la lecture d'une saga écrite par un juriste sarde, fourmillant d'hommes et de femmes nés de la terre, dans une fresque grouillante où sont indémêlables le tragique et le grotesque ?
    C'est ce que d'aucuns appelleraient un paradoxe, non ?

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.