vendredi 12 février 2010

Nous étions quatre bacheliers...

Voilà, on était quatre, comme dans la chanson de Georges. Les trois autres, je les avais rencontrés à mon arrivée au lycée Pothier d'Orléans, en novembre 1972. Ils s'appelaient – par ordre alphabétique pour ne froisser personne – Alain, Carlos et Denis.

Alain, je l'ai perdu de vue depuis très longtemps, je sais qu'il est médecin (et socialiste...) dans une petite ville du Berry, et je ne vous dirai pas laquelle. Denis a été mon colocataire au 21 de la rue de Patay, dans le treizième arrondissement de Paris, entre 1976 et 1985 – et il semble totalement perdu puisque sa mère même (que j'ai appelée il y a un an ou deux) dit tout ignorer de l'endroit où il se trouve. Quant à Carlos, il y a encore peu de temps, nous nous voyions régulièrement, mais il a redisparu de ma vie, comme il l'a déjà fait une fois, pendant dix ans, et je ne sais pas davantage pourquoi : pas grave, il ressurgira, forcément.

Pourquoi vous parlé-je de ces trois bacheliers, qui avec moi font quatre ? Parce qu'ils ont un point commun : ils ont tous couché avec une fille que je connaissais. Je veux dire : avec trois filles différentes que je connaissais. Le cas d'Alain (le toubib berrichon) est atypique, si je puis dire. Atypique et girardien. J'étais, en terminale, amoureux d'une Nadine M. C'était la plus bandante de la classe : une blonde avec mèche sur l'œil, voyez ? Bizarrement, cette Nadine là a cédé à mes avance, et elle est la première fille avec qui j'ai passé une nuit (et chez Denis, le protagoniste suivant). Passé la nuit, mais pas “couché”, au sens technique. Simplement parce que, comme tout adolescent de cet âge (19 ans ? Oui, je crois...), je m'étais enferré en lui faisant croire que j'avais “déjà couché”. Or, non. Pour le coup, j'étais totalement coincé, face à elle qui, en effet, avait “déjà couché” (mais pour les filles, à cet âge, c'est plus facile : il y a juste à dire oui, elles ne sont pas censées savoir...). Je me souviens tout de même que, glissant mes doigts vers le bas de son corps, et les laissant pénétrer dans ce puits dont j'ignorais tout, j'avais été très surpris de cette gluance qui indiquait forcément un certain désir – mais je n'en savais rien alors. Bref, j'ai raté le coche cette nuit-là et n'en ai été que plus amoureux de cette Nadine. Que j'ai présentée à Alain, lequel se l'est goinfrée (je présume) en deux coups de cuiller à pot, me rendant merveilleusement frustré et malheureux : j'ai bien dû en sortir dix ou quinze poèmes de merde, à l'époque, et me gargariser de cette certitude que j'étais maudit.

Carlos, lui, m'a soufflé Monique, dont j'ai déjà parlé ici, puisqu'elle m'a recontacté par Facebook ou je ne sais quoi, il y a peu. C'était l'année suivante, j'étais en première année de Lettres modernes à la fac d'Orléans, et elle aussi. En dehors du fait que, aux yeux d'une jeune fille, je présentais très peu d'attraits physiques (comme aujourd'hui, mais maintenant je peux faire croire que c'est l'âge... ou l'alcool... enfin bref, j'ai des excuses), Monique, fille de petits-bourgeois de province, avait décidé d'être de gauche (nous l'étions tous : c'était le fin du fin du conformisme, comme ce l'est resté) et de faire chier ses parents. Si elle avait rencontré un Chilien (on était peu de temps après septembre 1973), ç'aurait été lui. Faute de Sud-Am' torturé, elle a trouvé Carlos, fils de réfugié politique espagnol : c'était mieux que rien. Et je me suis retrouvé assistant à leurs embrassades répugnantes qui me crucifiaient. Ils n'ont pas couché : pas le temps. Car est arrivé un Marocain splendide (et très con, si je me souviens bien) qui nous a emballé la Monique sans le moindre effort : un Arabe, pour faire chier Papa et Maman, c'était tout de même le top, un peu largement au-dessus d'un fils d'Espagnol parlant un français parfait, quoi. Ils ont passé 30 ans ensemble et fait un certain nombre d'enfants (également ensemble, officiellement), preuve qu'on peut tomber amoureuse pour des raisons débiles et néanmoins construire sa vie à partir de ces fondations pourries : étonnant, non ?

Et je vous ai gardé France-Hélène et Denis pour la bonne bouche, si je puis dire. France-Hélène (savourez ce prénom et rendez grâce à ses parents de le lui avoir donné) partageait à Orléans le studio de Monique – je crois l'avoir déjà raconté. Elles avaient toutes les deux 18 ou 19 ans, moi 20. Ce qui nous a sauvés, France-Hélène et moi, c'est que ni l'un ni l'autre d'entre nous n'a éprouvé jamais le moindre désir pour l'autre – enfin il me semble : est-on jamais certain ? On est devenu amis de façon rapide et naturelle. Quand Denis et elle se sont découvert une attirance commune, j'en ai été plutôt content, si je me souviens bien.

(En vérité, si j'élargis le spectre, je crois que Denis est le seul de mes amis de jeunesse avec qui je n'ai jamais eu le moindre conflit girardien – et je pense aujourd'hui que c'est plutôt grâce à lui qu'à moi.)

Du reste, lorsque j'ai pénétré pour la première fois dans ce studio de la rue Porte-Saint-Vincent, à Orléans, comme un toutou haletant au cul de Monique, France-Hélène s'y trouvait installée avec un homme, qui s'appelait lui aussi Alain, je m'en avise. Et dont j'ai illico fait une sorte de modèle (j'étais, je crois, hypermimétique, en ma jeunesse folle...) : c'est lui qui m'a fait découvrir Jacques Bertin, dont nous parlions voici quelques jours, et j'ai illico adopté sans examen ses idées les plus sottes.

Enfin, bref : Sur ces trois bacheliers qui faisaient quatre avec moi, deux se sont empressés de piétiner les plates-bandes que j'aurais souhaité me réserver. Mais en réalité je ne suis pas sûr du tout que je souhaitais me les réserver. Le recul étant, et l'âge, il me semble plutôt que je les leur ai servies. – On ne lit jamais René Girard impunément.

14 commentaires:

  1. Ce doit être une erreur: on dirait que c'est encore vide chez vous… Du coup je ne vous dirai pas le bien que je pense de ce texte nostalgique, qui éveille la mienne, de nostalgie, au passage.

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  2. Vide ? Comment ça, vide ? Vous voulez dire quoi ?

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  3. C'est la première fois que j'arrive ici le premier… Ça fait bizarre.

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  4. Oui à l'époque on faisait semblant de coucher tout le temps avec tout le monde c'était très drôle ... Mais c'était toujours les mêmes qui tiraient leur épingle du jeu... Geargies.

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  5. Vous aviez déjà lu Girard a 19ans. Vous futés bien précoce me semble t'il

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  6. Le Coucou,

    Pour une fois que Didier n'est pas plein !

    Tonnégrande,

    Didier Goux parle de cul et tu ne commentes pas. Tu es plein ?

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  7. @Olympe : Ben surtout que ces bouquins là étaient pas encore écrits si je me souviens bien.. ? Geargies

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  8. Le Coucou : oui, tiens, c'est vrai, ça ! Ça s'arrose, comme dirait Nicolas...

    Geargies : on était un peu con, c'est tout.

    Olympe : non, j'ai dû mal m'exprimer ! Je n'ai découvert Girard qu'en 1978, lors de la sortie de Des choses cachées depuis la fondation du monde.

    Nicolas : même pas à moitié plein !

    Geargies : vous vous souvenez mal ! Mensonge romantique et vérité romanesque date de 1961, et La Violence et le Sacré de 1970...

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  9. C'est comme ça qu'on ne cesse jamais d'explorer les infinies motivations de nos actes, manqués ou réussis.

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  10. Audine : oui, même si parfois l'amour-propre en prend un vieux coup...

    Ygor : il y a aussi Les quatre dromadaires d'Apollinaire (chantés par Julos Beaucarne sur un air de flamenco...).

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  11. "On ne lit jamais René Girard impunément."

    oh, oh! in cauda venenum. bravo maître!

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  12. Sympathique cette fenêtre sur votre vie passée..

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  13. Haha mea culpa... J'ai eu la flemme de vérifier et étant sûr de l'avoir lu après 81 et même 83.. Voilà .. Geargies

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