J'aimais bien Éric Charden ; je ne dis pas ça uniquement parce que, hier matin, je l'ai enseveli sous sept mille signes nécrologiques. Du reste, en trente ans de maison, j'ai enterré un nombre presque incalculable de vedettes dont, à chaque fois, on dit qu'on ne les oubliera jamais – et l'encre est à peine sèche de mon article que vous ne savez même plus de qui on parle.
Mais j'aimais bien Éric Charden. D'abord parce que, forcément, je l'ai méprisé à l'époque de sa gloire, qui était aussi celle de mon adolescence raisonneuse et sotte. Du coup, le vieil homme d'aujourd'hui, qui a tendance à mépriser ce qu'il fut, regarde avec une certaine tendresse les totems qu'il s'était donnés comme punching balls.
Je ne renie rien de mes dégoûts de l'époque, n'allez pas croire : Claude François, Sheila et Ringo, Che Guevara, d'autres encore dont vous ne savez même plus les noms. Ceux-là, leurs posters aux murs des chambres de filles qui… Enfin bref.
J'ai compris assez tôt que Charden était différent. Qu'il avait “un truc”, qui justifiait qu'il tape tout de suite et chaque fois en haut des “charts”, comme on disait à l'époque. Par exemple, ce refrain :
Les Vaches rouges blanches et noires
Sur lesquelles tombent la pluie
Et le bon cidre doux made in Normandie
Ce “Made in Normandie”, c'est le génie d'Éric Charden, le gimmick qui fait que cette chanson marche. Il n'y a pas que ça. L'Avventura. Qui aurait pensé faire une chanson avec un mot italien ? Et, surtout, quel auteur de chanson aurait avoué tirer une chanson d'un film d'Antonioni ?
Ensuite, Le Prix des allumettes. Là, Éric Charden est presque équivalent à Claude Sautet, le Sautet de Vincent, François, Paul et les autres, c'est-à-dire qu'il montre un monde en train de naître. On pense que j'exagère ? Non ! Cette chanson date d'environ 1975, moment où le chômage de masse pointe son nez, où l'inflation devient une sorte de règle.
Et qui (je me souviens, j'y étais), qui s'était aperçu, en 1975, que tout était en train d'augmenter, SAUF en effet le prix des allumettes ? Je vous assure : avant cette chanson, personne.
Et alors, en plus, il y avait Stone. On peut se moquer, bien sûr. Mais on aurait tort. Stone, quand j'étais adolescent, d'abord, c'était cette fille de 22 ou 23 ans, pas plus belle que des dizaines d'autres, sans doute, mais plus lumineuse. Ah, si, je vous assure : cette fille qui ne s'appelait évidemment pas Stone pour de vrai, dont tout le monde s'est moqué (et moi le premier : j'ai un peu honte), dont les gens de ma génération se foutaient parce qu'elle chantait faux…
En effet, elle chantait faux, c'est indubitable. Mais elle était heureuse de chanter. Ça se voyait, ça se sentait, et ça la rendait belle.
Stone a sans doute été une partie du malheur d'Éric Charden, mais elle n'y est pour rien, évidemment. Ils ont eu trop de succès, gagné trop d'argent. Il n'y a pas moyen de se sortir de ce genre de piège. Avant hier, je ne sais pourquoi, je pensais à Joe Dassin. Lui aussi voulait être autre chose que ce qu'il a été, et n'a pas réussi. Et je me demandais si mon concept “en bâtiment” fonctionnait pour les musiciens. Il est possible que ces gens, Dassin, Charden, d'autres encore, soient morts de ça : de s'être rêvés musiciens et d'avoir fini dans le bâtiment. Bâtiment de standing, sans doute, avec balcon sur la mer, mais bâtiment tout de même.
Il est plus beau que le Dalaï lama et pourtant sa mère était tibétaine.
RépondreSupprimerIl avait un petit coté "Jim Morrison". Physiquement, j'entends !
SupprimerOui, mais il a vécu plus longtemps…
SupprimerDans la blogroll, la date du dernier journal paru est fausse : juin 2011 ! Envie d'arrêter le temps ?
RépondreSupprimerDes fois ce serait utile...
Je confirme le bug dans le flux RSS du journal.
SupprimerEn effet, c'est d'autant plus bizarre qu'hier elle était à jour…
SupprimerOui, il s'est passé un truc il y a moins d'une heure.
SupprimerHeureusement que j'ai dix ans de moins que le taulier, je n'ai jamais eu à mépriser cette génération de chanteurs.
RépondreSupprimerMais vous avez dû en mépriser d'autres, que je ne connais même pas !
Supprimer(Ah, si, puisque, quand vous aviez 18 ans, moi j'entrais à FD…)
Oui, j'ai méprisé ceux qui sont arrivés 10 ou 15 ans plus tard comme Balavoine.
SupprimerCe doit être une attaque de la milice secrète socialiste, je ne vois que ça.
SupprimerMAIS ILS NE ME FERONT PAS TAIRE !
Merde, je n'ai pas répondu au bon endroit !
SupprimerBon, pour Balavoine, nous nous rejoignons dans le mépris. J'ai eu une bouffée d'espoir quand ce guignol est mort, en me disant qu'on allait enfin cesser de l'entendre piauler (comme avec Claude François, pareil). Eh bien non : trente ans après on l'entend encore, dites donc !
Il parait que Johnny, Hugues et consorts sont toujours vivants, ça nous promet de drôle de billets à venir.
RépondreSupprimerCe qui est fascinant chez Stone et Charden, c'est qu'ils ont incarné la ringardise avec une parfaite constance, à égalité avec une Sheila, par exemple. Je ne suis pas sûr qu'il y ait eu à d'autres époques une telle façon d'être ringard, ni même une catégorie telle que la ringardise. C'est sans doute dû au fait que la société accédait brutalement aux études, au bac, de plus en plus massivement, sans que l'éducation morale ou artistique suive vraiment. Enfin, la "culture populaire" est vraiment devenue de la merde, ce qu'elle n'était pas avant ces terrifiantes années 60 et 70. Le Jazz a commencé par être une musique populaire, mais c'était autre chose, hein, même jouée et écoutée par des analphabètes. Même remarque à propos de l'art populaire que l'on peut admirer en certains musées (meubles ou ustensiles décorés; linteaux sculptés de maisons paysannes, croix rustiques sur le bord des chemins, etc.) : c'était beau, magnifique parfois, et même le plus souvent de fort bon goût. Il faut attendre notre triste époque pour voir vraiment le petit peuple s'avilir en écoutant la variétoche la plus abjecte, style Stone et Charden et leurs gueules de cons. Enfin, rien qui m'émeuve dans ce couple, et même ma tendance naturelle à la nostalgie ne réussit pas à me les rendre sympathiques, désolé.
RépondreSupprimerIl est vrai qu'Ouvrard, Dranem, Paulus et bien d'autres avaient mis la barre si haut qu'il était impossible de ne pas descendre.
SupprimerJe ne connais pas les autres, mais Dranem faisait surtout dans la chanson comique, il me semble, et ne se prenait guère au sérieux. Si vous voulez dire que c'était pire ou pareil avant, c'est peut-être que vous ne m'avez pas compris (mais votre propos sybillin m'échappe aussi, sans doute). Ou alors vous étiez vraiment fan de Charden ?
Supprimer30 ans après on les entend encore... Est-ce que l'on ne pourrait pas voir justement dans cette longévité post-mortem la preuve d un vrai talent ?
RépondreSupprimerBen non, puisqu'on entend encore Claude François…
SupprimerS'il m'était encore autorisé de venir commenter ici, je vous dirais que je suis exactement dans les mêmes sentiments que vous à l'égard de Charden que je n'ai même pas eu besoin de mépriser puisqu'il n'existait tout simplement pas, pour moi.
RépondreSupprimerMais ce matin, au réveil, quand j'ai vu qu'il faisait beau je me suis surprise à chanter : "Il y a du soleil sur la France", sans même savoir que je connaissais cette chanson.
J'espère, Parrain, que vous me pardonnerez cette intrusion.
Je ne sais pas comment vous avez fait pour y échapper à l'époque ! À moins d'être dépourvue de radio et de télévision, de ne jamais prendre le bus, n'entrer chez aucun commerçant, etc. C'est qu'ils étaient diablement présents, ces deux fâcheux !
SupprimerJe dois avoir un art pour savoir échapper à ce à quoi je veux échapper.
SupprimerOui, le prix des allumettes ne changeait pas. 10 centimes la boite ! Mais le nombre d'allumettes dans la boite, lui, baissait sans cesse. Il a bien fallu arriver à la conclusion que, sauf à vendre des boîtes vides puis à réduire la taille des boites vides, le prix devait augmenter : ainsi mourut la civilisation telle qu'on l'aimait...
RépondreSupprimerVous devriez avoir honte, de casser ainsi tous mes rêves ! Vous ne respectez donc rien, en cette vallée de larmes ?
SupprimerC'était la "modernité heureuse", celle de l'insouciance et du presque plein emploi… C'était une illusion, c'était en effet à cette époque que l'on commençait à bétonner tout ce qui bouge et à introduire massivement le vers dans le fruit… c'était avant que l'on transforme cet ancien beau pay en l'immense banlieue morose qu'il est devenu, c'était avant que ce soit "comme en Amérique" comme le disait Tati. etc… tout meure et nous avec… quand je vois l'angoisse des jeunes aujourd'hui je ne peux que me sentir honteux…
RépondreSupprimerJe ne sais pas si vous l'avez fait exprès mais, s'agissant de chanson, "le vers était dans le fruit" est absolument délicieux…
SupprimerJe ne savais même si il était encore vivant sauf quand j' ai appris son décès, un peu comme Zanini, posez cette question : " Zanini est il encore vivant ou mort"; regardez la tête de vos invités encore plus ahuri que certains socialistes quand ils apprendront l'échec de leur "Flamby".
RépondreSupprimerEnfin, tout de même, vous devez bien connaître Ouvrard ! Tenez, fredonnez avec moi
SupprimerJ'ai la rate
Qui s'dilate
J'ai le foie
Qu'est pas droit…
Il n'est plus de ce monde enfin à ma connaissance pourtant, il passe encore sur le petit écran.
SupprimerCadeau :
Supprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=4wsdksMsbUI
Quant au papa de Marc-Edouard Nabe, bien que né en 1923, il semble toujours être de ce monde.
Chanteur en bâtiment, un vrai : Nino Ferrer. Il valait mieux que "Gaston" et "Les cornichons".
RépondreSupprimerMoins connu, le bluesman Joël Daydé (qui avait repris "Mamy Blue" en anglais à l'époque de sa sortie). Barclay refusait qu'il fasse autre chose que de la variétoche. Il avait une sacrée voix.
Stone avait en fait un magnifique visage. Charden l'avait appelée ainsi parce qu'elle avait la même coupe de cheveux que Brian Jones (des Stones, d'où le surnom). Elle a fort bien vieilli et elle toujours aussi sympa et pétillante. Toutefois, je crois qu'elle chante toujours aussi faux.
À l'actif de Charden, la comédie musicale ambitieuse "Mayflower", qui a tenu l'affiche pendant deux ans à Paris, si je ne m'abuse. En ces temps-là, on fonçait.
Je confirme tout cela. (Je suis devenu un vrai spécialiste de Charden, moi…)
SupprimerEt je me souviens même de Joël Daydé, c'est dire !
SupprimerEric Charden était visionnaire. En 1979, il sort L'été s'ra chaud, un grand tube ! En 2003, il en fait une nouvelle version, l'été de la canicule !
RépondreSupprimerhttp://www.bide-et-musique.com/song/7853.html
Qui dit mieux ?
Ardent Anonyme.
Oui, mais il avait raté celle de 1976…
SupprimerA la lecture de cet article bien sympathique, je ne peux résister à déposer mon commentaire. Ce sont les résultats Google qui m'envoient ici.
RépondreSupprimerCe "Made in Normandie", cette chanson tellement ringarde, je me souviens encore des paroles + de trente ans après... J'ai également souvenir de leurs chorégraphies sur scène !!! À l'époque (je n'étais pas haute), je ne m'intéressais pas à eux, tout comme Joe Dassin d'ailleurs, trop ringard pour moi avec ses chansons mélancoliques. Je préférais Santana, Polnareff, Stevie Wonder... sans compter les posters de Cloclo qui tapissaient les murs de ma chambre !
Mais avec le temps (et l'âge peut-être), j'apprécie musicalement les années 70, je vais même jusqu'à rechercher les vinyles les + kitchs et je m'en amuse :-)
J'en reviens à Joe Dassin. Il y a trois ans, j'ai fait la connaissance d'un autre Joe. Celui qui essayait en vain de gagner le succès avec son répertoire blues, folk ou country. Je retiens ce répertoire dont j'ignorais l'existence (à l'époque), mais je boude toujours ses chansons nostalgiques, celles balancées par les notes de piano. Je suis devenue fan de celles cadencées par les sons de guitare (J'étudie même sa discographie :-). Joe Dassin était avant tout un musicien.
Je pense que ces musiques années 70 ont marqué plusieurs de nos générations. On en parle toujours ( même ceux qui ne les ont pas connues). Je ne pense pas que ces trois dernières décennies feront autant parler...
Merci pour le partage ;-)