vendredi 9 septembre 2016

Deus ex machina, le retour

On peut toujours se moquer, et de fait on ne s'en prive guère, du fameux Deus ex machina qui, voilà quelques siècles, permettait aux dramaturges ayant du mal, à la fin de leurs pièces, à “poser leur bombardier”, pour parler comme Frédéric Dard, leur permettait, donc, de boucler leur intrigue en faisant descendre des cintres une divinité bien arrangeante qui, de son souffle divin, remettait tout dans l'ordre et autorisait ainsi les spectateurs à quitter la salle avant l'heure du dernier métro. Il arrivait que l'habitant de l'Olympe fût remplacé par le roi terrestre régnant, et c'est une chose que l'on a suffisamment reproché à Molière.

On devrait pourtant en rabattre, de nos lazzis et de nos petits airs supérieurs, puisque nos “créateurs” se sont gaillardement remis à faire la même chose, au cinéma principalement mais aussi dans les mauvais romans – comme Millenium par exemple. Ce nouveau Deus ex machina, cette ficelle bien commode qui dispense de toute explication, puisqu'elle est elle-même l'explication, c'est désormais ce que nous appellerons “le petit génie informatique”, c'est-à-dire ce personnage – généralement jeune, mi-rigolo, mi-marginal, dont l'unique fonction est de promener ses doigts agiles sur les divers claviers disposés devant lui (dans son gourbi d'où il ne sort que contraint et forcé, ce qui ne se produit jamais avant le troisième tiers du film), afin de faire défiler sur ses écrans des colonnes de lettres et de chiffres, lesquels dispensent le scénariste de trouver une explication cohérente à ce qu'il entend nous faire avaler ; et que nous avalons en effet, puisque nous-mêmes semblons avoir admis le fait que tout ce qui passe par le filtre de l'ordinateur, aussi absurde ou hasardeux que ce soit, devient immédiatement recevable, de même qu'un aliment ayant transité par l'estomac et l'intestin est ensuite assimilé sans difficulté par l'organisme.

Un nouveau pas a été franchi il y a peu, notamment dans cette très intéressante série, américaine bien entendu, qui s'appelle Person of interest (au Québec : Personne d'intérêt, ce qui ne veut à peu près rien dire ; traduire en français est louable, à condition de savoir le français…). On y voit le Deus passer au second plan, au profit de la machina elle-même ; laquelle, par cette autonomie, acquiert une puissance formidable, et même des sortes de dons divinatoires dignes des Dei ex machina d'antique école. Ayant compris que, désormais, nul n'aurait plus le front de mettre en doute ce qui émane de la machine, si timidement que ce soit, les scénaristes ont choisi – judicieusement je pense – de ne plus rien nous expliquer du tout de son fonctionnement, ni même de nous montrer la dite machine qui, fort commodément, comme un dieu justement, est aussi bien partout que nulle part. Comment un assemblage de circuits électroniques peut-il prévoir l'avenir et repérer, à l'intérieur de l'entière population de New York, les individus qui vont être prochainement mêlés à un meurtre, soit comme victime soit comme auteur ? On ne nous en dira rien, nous sommant de nous contenter de l'affirmation, faite sur le ton de l'évidence tranquille, qu'elle le peut. Le plus étrange est que, tels des primitifs autour de leur totem, nous nous en contentons en effet.



43 commentaires:

  1. C'est marrant, je ne pensai pas que vous trouveriez cette série intéressante...

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    1. J'aime bien ce que j'appelle les "séries paranoïaques", du genre Homeland, Tha Americans et, donc, celle-ci.

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  2. Je me contente de ne jamais regarder de séries américaines.

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    1. Il n'y a vraiment pas de quoi se vanter ! Surtout quand c'est pour regarder à la place des daubes françaises…

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    2. Où votre haine de tout ce qui est français et ne date pas d'un siècle vous mènera-t-elle ? Rassurez-vous, je ne regarde pas non plus les séries françaises. Pour tout dire, je n'allume le téléviseur que quand un programme ou un film me semblent dignes du moindre intérêt. Ce n'est donc pas tous les jours.

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    3. Ici, nous envisageons plus ou moins de ne plus avoir de poste de télévision que pour regarder des DVD et des blu-ray. Ce qui, en outre, nous ferait économiser la redevance.

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    4. Il y de vieilles séries TV françaises qui sont correctes.
      J' apprécie les Maigret avec Bruno Cremer.

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    5. Impossible dans ce cas d'économiser la redevance...

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    6. Moui… à la rigueur… un soir de pluie, quand le lecteur de DVD est en panne et qu'on n'a le choix qu'entre ça et une émission politique animée par Pujadas…

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    7. Pour la redevance, je crois que vous vous trompez (mais il faudrait vérifier) : si je ne dispose d'aucune antenne de réception, cela semble bien signifier que, techniquement, je n'ai pas la télévision.

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    8. Monsieur Goux, la redevance est désormais incluse dans les impôts locaux... Pour ne pas la payer il me semble qu'il faut démontrer que vous n'avez rien permettant de diffuser la télé (donc ni téléviseur, ni décodeur TV).

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    9. la question à cocher sur la déclaration concerne uniquement la détention d'un poste (récepteur) de télévision qui suffit pour devoir la redevance (plus besoin d'antenne (rateau ou parabole) avec internet)

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    10. Eh bien c'est scandaleux et injuste ! Je ne vois pas pourquoi, ne les regardant jamais, je devrais donner de l'argent à des chaînes publiques dont la seule fonction, en dehors de passer des films et téléfilms français humiliants de nullité, est de promouvoir à chaque instant le charme irrésistible des populations exogènes !

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  3. Ce deus ex machina peut être vu comme l’allégorie (à moins que ce ne soit la métaphore) de la technique toute puissante censée lever tous les obstacles, sans qu’on n’ait le droit d’en douter sous peine de se faire traiter de passéiste, voire de réactionnaire. Un exemple de cette foi technicienne et technophile : les « centres de déradicalisation » où des psychologues vont régler le problème du djihadisme par les sorties vélo et les ateliers de cuisine du monde, et dont il est interdit de rire.

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    1. Je crois que vous êtes un peu à côté de la plaque…

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    2. J'ai une excuse, je n'allume jamais la télé. Votre série à la mords-moi, je la vois de façon abstraite.

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  4. Person of interest c'est monsieur Reese sur le gateau

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    1. Nous avons été tres friands de cette série , originale et rythmée mais l'arrivée de nouveaux personnages, et les intrigues a la mord moi le noeud (bien mouillé, c'est plus dur a défaire)ont fait que l'on ne regarde plus.

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    2. Nous n'en sommes qu'au milieu de la première saison, donc pas eu le temps encore de nous lasser. Mais ce ne serait pas la première fois que nous abandonnerions une série avant sa fin. On verra.

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    3. je ne sais pas ou en sont les séries mais la premiere tient bien et se laisse regarder, la seconde aussi ensuite vous verrez.

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  5. Si je me souviens bien, le thème de l'ordinateur qui prend le contrôle de ses créateurs (les humains) a été développé pour la première fois dans le film de Kubrick "2001, odyssée de l'espace".

    Evidemment, ce thème de l'"ordinateur ex machina" , est fondé sur notre incapacité à nous faire un avis, puisque l'immense majorité d'entre nous n'avons que des compétences informaticiennes d'utilisateurs, et serions aussi en peine d'expliquer à Louis XIV comment fonctionne un ordinateur qu'une télévision. Mais force est de reconnaître que le débat sur l'"intelligence artificielle" divise bien des vrais spécialistes de la chose.

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    1. Il ne s'agit pas d'une prise de contrôle, ici.

      Pour le reste, je serais incapable également d'expliquer à Louis XIV comment fonctionne une automobile ou un four à micro-ondes : ce n'est pas pour autant qu'un cinéaste pourrait en faire des dei ex machina

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    2. Encore aurait-il fallu que Louis XIV eût besoin de savoir utiliser une automobile ou un four à micro-ondes. Au vu du nombre de laquais et serviteurs qui officiaient pour lui, j'ai un doute certain sur cette question.

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    3. D'un autre côté, Louis XVI aurait pu être intéressé par une formation concernant l'utilisation et la réparation des digicodes....

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  6. Je viens de me rendre compte que la tour de mon PC ressemblait au monolithe de 2001, et comme le primate dans le film, je suis incapable de comprendre son fonctionnement

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    1. Tant que vous ne zigouillez pas votre voisin de mare à coups d'os d'autoch, tout va bien.

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  7. Je n'arrive même pas à comprendre de quoi on me parle. Mais je vais relire plus tard parce que là il y a Matula qui m'attend et je suis déjà en retard !

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  8. Ce thème est à rapprocher me semble-t-il de celui du fameux film "The Matrix" qui a fait l'effet d'une bombe planétaire il y a quelques années au vu du nombre d'articles et d'ouvrages publiés à son sujet. Même de brillants philosophes s'étaient prêtés à l'exercice à l'époque...

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    1. Matrix, mouais… Le premier passait à la rigueur, bien que fort prétentieux, mais les deux suivants ne sont vraiment pas regardables.

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    2. Assez d'accord. J'avais bien aimé le premier et surtout Keanu Reeves et ses expériences psychédéliques !

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  9. Si seulement, une de ces machines pouvait éliminer les géniteurs de certains hommes ou femmes politiques.

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    1. La machine en question (celle de Person of interest) n'élimine pas les gens, au contraire : elle alertent à propos de ceux qui ne vont pas tarder à se faire trucider. (Il est vrai qu'elle cible également les trucideurs.)

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  10. "un aliment ayant transité par l'estomac et l'intestin est ensuite assimilé sans difficulté par l'organisme." Le "ensuite" me semble illogique, où le situez-vous?...

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    1. Eh bien, au moment où les nutriments traversent la muqueuse intestinale pour aller remplir leurs divers offices dans le reste de l'organisme.

      D'autres questions ?

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    2. La classe, Maître Goux, vous lui avez cloué le bec à René Paul Henry qui croyait pouvoir vous piéger facilement.
      C'es le bon Docteur Arié qui va être fier de vous !

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  11. "Comment un assemblage de circuits électroniques peut-il prévoir l'avenir ?" Si Dieu, ou les dieux, les oracles, médiums, marabouts, etc.., les entrailles de poulets, les cartes, les osselets, boules de cristal, etc..., le peuvent : pourquoi pas aussi ce tas de ferrailles ?

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    1. Vous mélangez tout. Dans le cas des entrailles d'animaux, etc., c'est un homme qui prévoit l'avenir en les utilisant. Là, c'est la machine elle-même qui le fait.

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  12. Avez-vous vu Zardoz Didier ?
    Slips rouges et dieux-rochers qui dégueulent des armes..
    Je trouve que c'est un bel ovine, qui doit dater de l'époque Barbarelma.

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    1. Je me souviens vaguement d'avoir vu ça, oui. Je me demande même si je ne l'ai pas vu au cinéma à sa sortie. Aucune envie de retenter le coup, du reste.

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  13. Je crois bien que Dantec, dans son premier pavé, avait déjà exploité la ficelle, et d'une façon remarquablement grossière. Je me souviens d'un "programme tournant en tâche de fond" sur je ne sais quelle "bécane", avec des constructions holographiques en trois ou même quatre dimensions tournant elles-aussi quelque part, qui devaient finir par révéler aux patients enquêteurs le pourquoi du comment des crimes odieusement perpétrés par un schizophrène complotiste en goguette.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.