samedi 30 octobre 2021

Le Monstre sur le seuil ou Cet obscur objet du désir

Henry James, 1843 – 1916
 Si l'on me demandait de résumer en quelques lignes le sujet des Bostoniennes, je dirais à peu près ceci : c'est l'histoire d'une jeune femme, Olive Chancellor, dont l'homosexualité est impitoyablement refoulée, “sublimée” dans un militantisme féministe d'autant plus acharné qu'il n'est là, au fond, que pour camoufler tant bien que mal sa haine des hommes et de leur pouvoir le plus dangereux, celui de la séduction qu'ils exercent sur les femmes. 

Elle va tomber violemment amoureuse d'une jeune fille, Verena Tarrant, qui, elle, est hétérosexuelle, ou du moins s'apprête à le devenir, dans la mesure où elle n'a pas encore été “effleurée par l'aile du désir”. C'est une nature généreuse, ouverte, qui ne demande qu'à se donner, mais ne sait pas encore trop à qui. 

Et, là dessus, survient le jeune homme indispensable, celui à qui est dévolu le rôle du chien dans le jeu de quilles, non seulement parce qu'il va, en tombant amoureux de Verena, “révéler” la jeune fille à elle-même, mais en outre parce qu'il étale sans vergogne des opinions fâcheusement réactionnaires, ou au moins très conservatrices, en tout cas nettement antiféministes.

Où le talent  de Henry James se montre prodigieux, c'est que lui-même, lui l'auteur, se comporte comme s'il ignorait absolument tout de l'homosexualité inexprimée d'Olive Chancellor et qu'il prenait pour argent comptant son dévouement à la cause des femmes, son “ardente amitié” pour Verena Tarrant, etc. Si bien que le lecteur, fort satisfait de cet état de choses qui l'élève à ses propres yeux, a vite l'impression étrange, étrange mais délicieuse, d'être le seul à se rendre compte de quoi il retourne exactement, le seul à discerner le mufle du désir, d'autant plus agissant sur les personnages qu'il reste tapi dans une inquiétante pénombre : c'est presque le monstre sur le seuil de Lovecraft.

Comment tout cela se termine-t-il ? Je n'en sais rien : il me reste environ quatre-vingts pages à lire…

20 commentaires:

  1. ... et votre journal d'octobre à rédiger !

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    1. Ah, vous avez les moyens de vous payer un nègre !
      Pour les billets aussi ?

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  2. Mais qui a écrit ce billet ?
    J’aime beaucoup.
    Je me souviens du livre de Lovecraft, Cependant je n’aurais pas eu l’idée de comparer « Olive » à la « chose » de Lovecraft.
    Hélène

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    1. Ma chère, vous m'avez lu trop vite ou trop distraitement : ce n'est pas Olive que je compare au monstre lovecraftien, mais le désir qui s'empare d'elle, d'autant plus "démoniaque" qu'il reste impossible à identifier (impossible pour elle, mais pas pour nous lecteurs).

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  3. Vraiment, j’ai parfaitement compris ce que vous avez écrit.
    En revanche je n’ai pas su écrire ce que je voulais dire, sans doute par flemmardise.
    Mille exquises 😉

    Hélène

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  4. Bref:
    «Est-ce qu'à Boston, Massachusetts, dans l'Amérique puritaine du XIXe siècle, les menstruations se synchronisent lorsque deux femmes vivent sous un même toit et que soudain un homme survient ? »
    Ça me rappelle ma Terminale dans une école de fille. Il y avait 5 'garçons' pour 1200 'filles'. Évidemment, le Bac est passé à la trappe.

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    1. Les menstruations ne sont devenues synchrones que dans les premières années du XXe siècle : tout le monde sait ça, voyons !

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  5. Je crains d'avoir repéré un suspect... Mais, étant " chez lui", comme disent les blogueurs, je n'en dirai pas pnus :


    https://www.liberation.fr/societe/police-justice/gerard-de-villiers-et-le-mystere-des-bouteilles-disparues-20211030_Q6QQWFRYSBB6HAALCWLV2JYH5Q/

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  6. "Et, là dessus, survient le jeune homme indispensable, " ... Macron aurait dit "Et, en même temps, survient le jeune homme indispensable,

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    1. D'autant que, en effet, il survient exactement "en même temps".

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  7. “effleurée par l'aile du désir”, oh qu'en termes galants ! La décence m'interdit de reformuler en termes plus crus ce fameux effleurement...

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  8. Vous voyez du sexe (refoulé) partout, alors que si ça se trouve, c'est une belle histoire d'amitié, très pure, très chaste. Voilà qui révèle une âme bien noire.

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    1. J'ai toujours eu très mauvais fond, ma mère me le disait déjà…

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  9. Et si Henry James était dans la situation de Dostoïevski,qui, dans son carnet sur "Les Démons" (ou "Les Possédés"), écrits avant le roman, annonçait vouloir faire de Stavroguine un personnage repoussant, et en fait en réalité ( et à son insu ?) un personnage extraordinairement attachant, proche de Sisyphe ( d'ailleurs, certains appellent Camus le Dostoïevski du pauvre ) ? Peut-être qu'il ne suffit pas à un romancier de changer d'idées politiques, ce qui est facile, mais qu'il lui faut aussi changer de psychisme pour bien "comprendre" la part de lui-même qu'il a mis dans ses personnages sans s'en rendre compte ?

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    1. Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir, mais bon…

      (Et je vois encore moins bien comment on peut trouver Stavroguine "attachant", mais re-bon…)

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  10. Stavroguine: encore plus attachant que Sisyphe; les 2 savent que leur tâche est impossible,mais on ne peut pas imaginer Stavroguine heureux.
    Comme l'a dit De Gaulle " Ceux qui cherchent le bonheur sont des imbéciles"

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    1. Vous devriez lire René Girard, plutôt que de ressasser votre Camus.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.