vendredi 24 janvier 2025

Jean-François Kahn à la veillée

Rue Hérold, plus ou moins parallèle à celle du Louvre. Le Matin de Paris occupait le bâtiment juste à droite. Le Big Buddah était sur le même trottoir, presque au bout de la rue.

 Mort de Jean-Francois Kahn. Combien de temps nos sœurs metooffettes vont-elles mettre pour nous déterrer, le concernant, une vieille histoire de tripotage fessier sur stagiaire de rédaction ? Je suppose que la présidente de l'officine, avec son terrifiant “sourire à visage humain”, comme Muray disait de Ségolène Royal, doit déjà être en train de remuer la poussière de ses dossiers et de faire appel à la mémoire (trop longtemps refoulée, comme de juste) de tout le cheptel journalistique femelle de ces quarante dernières années.

Mais laissons là ces folles nourries de crème, comme aurait pu les épingler Maître François.

Penser à Jean-François Kahn — chose qui ne m'arrive à peu près jamais quand je suis dans mon état normal — a ramené à ma mémoire la figure de Bernard Veillet-Lavallée, journaliste d'une vingtaine d'années plus âgé que moi. Il travaillait au Matin de Paris, rue Hérold, tandis que je tenais assise au Big Buddah, à six ou sept portes de là, dans la même rue. 

Après le bouclage du journal, il n'était pas rare de voir ce Bernard-là venir s'échouer au comptoir du petit restaurant en question, dont le patron était un autre Bernard, Leroy-Deval, mon ami de grands ris et de franches lippées, d'origine vietnamienne comme son nom tendrait à l'occulter.

Je n'ai pas choisi le verbe “s'échouer” par hasard : Veillet-Lavallée était un splendide et précieux ivrogne. Et il n'était pas si rare de le voir (et de l'entendre...) s'écrouler sans sommation de son tabouret de bar pour s'affaler sur le carrelage, d'où il fallait se mettre à deux pour le relever.

(En ces mêmes temps, au Big Buddah, décidément bien achalandé, on pouvait aussi croiser un tout jeune Claude Askolovitch, frais émoulu du CFJ voisin et encore plus fraîche recrue du Matin. C'était alors un joyeux compagnon, ne répugnant pas à lever le coude si l'ambiance y était, assez éloigné, au moins dans mon souvenir, du pontifiant dispensateur de bonne pensée qu'il est ensuite devenu.) 

Mais revenons à mes deux Bernard. À cette époque où Kahn fut brièvement directeur du quotidien de la rue Hérold — ce devait être en 82 ou 83, il faudrait vérifier —, Veillet-Lavallée était pour lui une sorte de bras droit, et encore plus lorsqu'il est parti avec lui créer L'Événement du Jeudi. Du coup, on le voyait moins au Big Buddah, mais il lui arrivait d'en retrouver le chemin, certains soirs, ce qui me faisait toujours plaisir : j'aimais bien le personnage. 

Un jour que je lui demandais ce qu'il faisait exactement au sein de l'hebdomadaire nouvellement créé, il m'avait expliqué, un peu bredouillant, mi-goguenard, mi-sérieux, que Jean-Francois Kahn avait dix idées par jour : huit aberrantes, une bonne et une géniale, et qu'il lui était à charge, de façon toute officieuse, d'orienter son bouillonnant patron vers les deux dernières, tout en opérant d'habiles diversions pour qu'il oubliât les huit autres. 

C'était au milieu des années quatre-vingt. Vers la fin de la décennie, le Big Buddah a fermé définitivement. Bernard Veillet-Lavallée ne lui a pas survécu longtemps : il est mort en 1990.

Quant à l'autre Bernard, Leroy-Deval, il a fini par aller s'installer au Vietnam, pays qu'il n'avait jamais connu, étant né en France comme tout un chacun. J'espère pour lui qu'il y est encore, et bien vivant.

4 commentaires:

  1. Ça me rappelle que j'ai découvert votre blog sur le site en ligne de Marianne...

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    1. Avez-vous su pourquoi un jour vous en avez été viré ? Trop réac pour ces centristes de gauche ?

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    2. Je crois me souvenir qu'il y eu en effet une sorte de reprise en main idéologique quand Philippe Collin a cessé de s'occuper des blogs de Marianne. Il n'y avait guère que cet homme-là qui pouvait me faire cohabiter avec ce pitoyable et assez répugnant guignol de Sarkofrance...

      Mais enfin, tout cela est bien flou, dans ce qui me reste de mémoire...

      P. S. : je viens de rajouter un paragraphe (entre parenthèses) au milieu de ce billet.


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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.