samedi 2 février 2008

Ils ont (presque) réussi

Vingt-cinq ans. Un quart de siècle que je travaille dans ce journal, que les cons méprisants et mal renseignés nomment "à scandales" et qui n'est pas autre chose que du roman Harlequin mis sous forme de presse. Vingt-cinq ans que j'aime les femmes (elles sont très majoritaires) qui, chaque semaine, distraient quelques euros d'un budget à pleurer pour lire ce que d'autres et moi écrivons. Des gens incapables, pour leur propre compte, d'écrire autrement qu'en une sorte de bouillie syntaxique (pas tous, cependant), mais à qui, justement, nous devons, nous, précisément pour cette raison, l'exigence la plus haute de correction stylistique. C'est en tout cas ainsi que je conçois, ai toujours conçu, le travail pour lequel on me paie.

Durant ces années, après chaque période de vacance - qu'il s'agisse d'une retraite brigadière et mondaine ou de réelles vacances-au-pluriel -, j'étais content de retrouver la place qui était la mienne au sein de cette rédaction.

C'est terminé. Je ne suis plus content. Même pas mécontent, ce qui est pire que tout. Juste indifférent. Si le but était de nous dégoûter tous, en ce qui me concerne c'est un véritable triomphe. Comme un bateau qui court sur son erre, je continue à faire mon travail du mieux possible (c'est-à-dire du mieux tout court puisque je me trouve être le meilleur, dans ce petit domaine étroit et dérisoire qui est le mien), mais j'ai cessé d'éprouver le moindre intérêt pour ce que je fais.

Je sais pourquoi, il n'y va pas que de la faute des "patrons" - raison toujours commode à invoquer. Conséquence du dernier (en date...) plan social en vigueur dans le groupe de presse qui me salarie, il se trouve que, en ce moment, disparaissent tous les gens plus âgés, plus anciens que moi, ceux qui ont plus ou moins accueillis le jeune crétin de 26 ans que j'étais à mon arrivée dans cette rédaction. Dans deux ou trois mois, à l'exception d'un seul (mais pour combien de temps ?...), je serai le plus ancien de ce journal, alors qu'est encore vivace, et agréable, en moi le souvenir de l'époque où j'en étais le plus jeune membre (membre étant en l'occurrence très exagéré...).

Pourquoi cette réalité-là (somme toute inévitable ou à peu près) m'est-elle tombée sur le coin de la gueule précisément cette semaine ? Allez savoir. La conséquence (hautement prévisible) est que j'ai bu plus que de raison durant ces trois derniers jours (car, chez moi, vous le savez, tout finit par l'échanson...), ce qui - on connaît bien les effets de la cause - contribuait dès le lendemain matin à voir s'écrouler, ou au moins se lézarder, un nouveau pan de cet inaltérable optimisme qui a fait ma renommée et mon succès auprès de vous.

Mais ils ne m'auront pas ! (Enfin, si, peut-être, d'ailleurs...) L'homme va se battre comme un lion, peut-être l'inverse, on verra. Je ne leur ferai pas ce plaisir de m'évacuer moi-même. Il reste qu'ils ont tout de même tué l'envie, le désir, le plaisir, et même, j'ose le dire, une certaine fierté. Mais j'accuse sans preuve : c'est peut-être tout simplement un effet de l'âge, de mon âge.


[En d'autres temps, j'ai ironisé, ici même, sur les blogs-de-pleurnichard : je trouve, me relisant, que, dans ce domaine, c'est une belle entrée en fanfare...]

11 commentaires:

  1. Il n'y a pas de sot métier dit le proverbe...
    Le grand malheur de nos sociétés, c'est qu'il y a de plus en plus de "sots" qui n'aiment pas leur métier et lui préfère la feuille de paie.
    A vrai dire, il y a de moins en moins de métiers et de plus en plus d'emplois ou de pis-aller socio-économiques. Il faut bien vivre, consommer et se faire taxer avant de s'occuper hein !
    Quand la qualité fout le camp, tout fout le camp derrière disait mon père.
    Vae Victis, répondait ma mère...

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  2. Erratum : "Et lui préfèrent..."

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  3. Ressaisissez-vous, M'sieur Goux, ou bien vous allez finir par nous dire que vous vous retrouvez tout seul, le soir, à réfléchir dans votre cuisine, ou bien que vous avez appris à aimer la pluie...

    (de mémoire)

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  4. http://books.google.com/books?id=k4EFAAAAQAAJ&pg=PA161&lpg=PA161&dq=ulbach+regnault&source=web&ots=-3eJ3xfVFV&sig=M19HLhpW6COHPBdE6n97S44BppA#PPA162,M1


    Pour vous amuser le portrait d'un journaliste-rédacteur en chef de l'Etoile de l'Aube, Jules Regnault sous la Monarchie de Juillet.

    iPidiblue correspondant des "Echos du Dimanche"

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  5. ben alors, on nous fait une baisse de régime, une déprime saisonnière ? Allons, pensez donc à tous ceux qui n'ont plus de boulot et plus de chance d'en trouver. C'est pas une raison, chacun son p'tit paquet, je sais, je sais.

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  6. Le moment de déprime est plus joli dans la prose que la joie primesautière souvent. Je distribue des prospectus en Lorraine pour pouvoir écrire à ma guise et horreur, je m'y habitue et y prends même du plaisir parfois. J'en arrive même à me demander ce que je ferais si j'avais de l'argent un jour sans trouver de réponses. On m'a proposé un travail de journaliste une fois que j'ai refusé (quel con !) et maintenant que j'aimerais être l'un de vos confrères, le Républicain Lorrain me promet un emploi dès qu'il y aura eu un mort ou un départ en retraite (ils sont tous jeunes et frais) !
    Bah, vous n'avez pas le droit à la psychanalyse par le lecteur sur votre blog, c'est déjà une belle consolation en ces temps de thérapies de groupe en substitution d'Etat. J'aime ce que vous écrivez sur ce blog, dans le salon d'E Lévy ou sur le forum de Camus, aussi j'ai décidé de vous laisser un commentaire avec une légère appréhension : et si lui ne m'aime pas et en profite pour m'humilier par une réponse cinglante ? Il faut bien prendre des risques, non ? Et puis, je ne suis guère tendre avec autrui donc... il me faut savoir accepter ces retours possibles.

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  7. @ Martin-lothar : il n'y a peut-être pas de sot métier (quoique...), mais il y a des gens qui s'emploient à vous gégoûter de celui que vous faites...

    @Chieuvrou : j'ai toujours aimé la pluie...

    @ iPidiblue : vous lisant assidument depuis quelque temps, le nom de Jules Regnault ne m'est plus du tout inconnu !

    @ Mère Castor : C'était juste une petite baisse de régime, en effet. Enfin, je suppose...

    @ Ludo Lefebvre : Des remarques cinglantes ? Mais pourquoi donc ? Soyez le bienvenu, au contraire...

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  8. Ludo vous aura confondu avec quelqu'un d'autre...

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  9. C'est, cher Didier, que j'apprécie votre écriture franche, votre soucis de notre langue si largement dénigrée par la médiocrité ambiante et notre amour commun pour les belles lettres.

    Dans le même temps, je suis affreusement distrait et récemment encore dans un commentaire destiné à Elisabeth Lévy, je lui ai écrit le plus sérieusement du monde : "vous pouvez emprunter mon pinceau" ne me rendant compte que quelques jours plus tard, la honte au ventre , de la grossièreté subjective possible du propos.

    Je suis attaché aux lettres, écrivain tout comme vous et je peux rédiger sans y prendre garde : j'ai monté en haut (heu, non pas quand même), mais au moins faire une faute d'orthographe ou de grammaire évidente qui me mettra au rang de celui que je discrédite, qui annihilera l'intelligence de la prose ou du fond.

    Et je suis toujours comme ça entre deux idées, jamais présent, ne trouvant pas le litre de lait dans le frigo pourtant sous mes yeux comme faisant une erreur de syntaxe grosse comme la montre de Nicolas Sarkozy et voyant un accent mal placé dans un article de presse !
    Enfin tout comme vous, je n'aime pas la pleurnicherie, la jérémiade angoïste si je peux me permettre ce néologisme et je raconte dans un essai empirique (L'oublié d'Outreau) comment je fus victime de l'affaire d'Outreau à Outreau avec certes un esprit railleur, critique et pudique à la fois, mais je n'ai pas pu échappé au sordide de l'exhibition que je déteste.
    Cependant, je n'ai pas voulu passer à coté de l'occasion de montrer la scénarisation du réel par les grands médias, la bêtise de la magistrature qui rend la justice par mode et le décalage politique et puis se battre seul comme un chevalier contre "les puissants" a eu un coté si rocambolesque, tragi-comique qu'il ne fallait pas le laisser passer incognito.

    En tout cas, merci pour cette bienvenue annoncée qui fait chaud au coeur et donne envie de rester!

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  10. Ah! Didier c'est l'hiver et il fait gris, pensez à tout ce que vous allez faire au printemps, avoir le temps de revoir la cathédrale de Mantes, prendre un petit café sur la Place d'Emma, relire le jeune Flaubert routard qui, avec Maxime Du camp, se baladent en Bretagne ( "Voyage en Bretagne par les champs et par les grèves" trés mignonne editions Complexe présentation de Maurice Nadeau)et écrire sans parasites.Vous verrez comme on se passe si bien du monde du travail et des ces jeunes imbèciles.
    christian
    NB un conseil cependant indépendance avec l'Irremplaçable!

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  11. Vous avez une belle plume Didier en guise de bon entourage (puisque vous dites que vous n'y trouvez plus la satisfaction d'antan). Le cadeau est là et ne peut vous être enlevé.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.