mardi 14 décembre 2010

Comment je n'ai pas lu certains de ces livres

Que faire lorsque vous arrivez à la fin d'un chapitre, que le moment de passer à table n'est pas encore venu, mais qu'il est néanmoins trop proche pour espérer lire en son entier le chapitre suivant ? Une solution palliative consiste à se rendre en fin de volume et à parcourir cette liste qui s'intitule fréquemment Déjà parus, ou encore Dans la même collection. Et de rêvasser sur les titres qu'elle propose.

A-t-on jamais lu Louis Dumont, par exemple ? Non, bien entendu. Mais soudain, son Groupes de filiation et alliance de mariage donne très envie de l'être, lu. Si l'on se sentait capable de bouger du fauteuil, on irait même le commander tout de suite ; rien ne semble plus urgent et désirable que de tout savoir sur ces groupes et cette mystérieuse alliance. Mais cette envie a déjà été bousculée par celle de se placer Sous l'invocation de saint Jérôme en compagnie de Valery Larbaud (sans accent sur le “e”, je vous prie). Par contre vous négligerez avec un certain dédain ce qui se nomme De l'individualisme révolutionnaire – désolé pour Alain Jouffroy. Mais qui pourrait ne pas avoir le brûlant désir de se précipiter vers le Dionysos mis à mort du très discret Marcel Detienne ? Sûrement pas vous, en tout cas. C'est même de première urgence, et tant pis pour Friedrich List, dont le Système national d'économie politique devra attendre un peu.

Soudain, au détour d'une allée de cette bibliothèque très modestement babélienne, vous débouchez dans un salon familier : c'est Philippe Muray qui propose sans se pousser du col trois de ses livres ; comme vous les connaissez déjà bien, l'auteur et ses ouvrages, vous vous contentez d'un petit signe de tête accompagné d'un sourire, et vous allez faire craquer le vieux plancher un peu plus avant. Parce que, tout de même, il y a l'appel discret d'Alexandre Kojève et de son Athéisme, celui un peu plus ronflant et satisfait de Mario Praz, dont s'étalent sur deux lignes, pas moins, La chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle, sous L'œil vivant de Jean Starobinski, dont vous évitez le regard, pas plus fier pour cela. Le Balzac d'Alain vous rassérènera plus ou moins, au rayon suivant.

Mais d'un coup la bibliothèque s'efface, ses kilomètres de savoir et de trompe-l'œil se dissolvent, les murs s'abattent et vous vous retrouvez dans votre propre salon (la bonne odeur vous informe que le dîner n'est plus très loin, maintenant). C'est que vous venez de tomber sur le Cours familier de philosophie politique de Pierre Manent, qui est le livre même que vous tenez entre les mains et dont vous avez repoussé le chapitre VII à plus tard. Naturellement, vous profitez de ce retour inopiné pour ne plus bouger, vous contentant d'écouter les cliquetis de couverts qui s'arrangent et s'alignent sur la nappe de la pièce voisine. Le Napoléon de Jacques Bainville et le Chateaubriand de Marc Fumaroli sauront bien vous attendre jusqu'à demain, ayant sans doute des choses à se dire, de petites querelles à vider. Mais tout de même, passant finalement à table, vous conserverez un moment le regret de ce livre sans nom d'auteur et dont le titre étrange, Midrash Rabba sur Ruth, parfumera d'épices colorées les premières bouchées de votre repas.

28 commentaires:

  1. Magnifique la bibliothèque de Plieux !
    On peut s'y enfermer et ne plus voir le monde sans regret.

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  2. Fredi Maque : en effet, on peut...

    Georges : non, chez nous, les chiens mangent à six heures. Après, ils dorment.

    Sinon, en effet, ce titre est parfait !

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  3. Fichtre.
    Je viens de comprendre pourquoi je ne lis jamais les "Déjà parus".
    Parce que c'est moi qui mets la table.

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  4. Ah mais, moi aussi il m'arrive de mettre la table ! C'est au choix, si l'on veut : un soir table, un soir table des matières.

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  5. Non, mais en fait, j'ai trouvé : je mets la table en lisant (CLING BALANG BANG CLANG !)
    :0)

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  6. Louis Dumont, c'est très très bien. Je l'ai lu (mais pas entièrement compris...) pour ma thèse, je m'en sers tout le temps maintenant !

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  7. J'ai beau chercher dans ma mémoire, il me semble que je ne vous ai jamais fait part de mon contentement à vous lire...

    Le moment est donc venu: j'aime bien ce que vous écrivez!

    Laurent l'Anonyme

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  8. Artémise : en fait, j'ai un peu triché car j'ai lu de lui Homo hierarchicus à propos du système des castes en Inde. Mais je ne suis pas sûr d'y avoir compris grand-chose.

    Laurent : eh bien... merci !

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  9. Moi c'est les Lettres de Prison de Maurras que je n'arrive pas à lire vraiment ; je vois le livre, je suis content de l'avoir (je l'ai même cherché) mais pas moyen de me mettre dedans...
    Les bibliothèques sont la tombe de notre connaissance ! Mais une tombe tellement vivante...

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  10. Marcel Detienne > très très très très très bien.

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  11. Mon jeu à chaque livre en cours : je me dois d'avoir lu au moins un des auteurs cités à chaque page des "déjà parus" ou "dans la même collection".
    Si ce n'est pas le cas, je me couvre la tête de cendres et je parcours la maison en poussant des hurlements sinistres.
    On s'occupe comme on peut.
    (De votre liste je n'ai rien lu du tout)

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  12. Marcel Détienne… Dites-moi que je rêve…

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  13. Marcel Detienne est assez insupportable lorsqu'il s'exprime à propos de choses dont il n'est pas le spécialiste (cf ses prises de position sur l'identité nationale) mais ses ouvrages consacrés à la mythologie grecque et notamment ceux écrits en collaboration avec Vernant sont passionnants et devenus des classiques.
    (amusant cette façon de condamner les lectures idéologiques et dans le même temps appliquer la même grille à celui que l'on considère comme "un ennemi").

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  14. A part ça Midrash Rabba sur Ruth, pour le coup c'est vraiment difficile. Je l'avais acheté suite à une émission de V.Malka sur France Culture mais je dois avouer que j'ai calé.

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  15. Bon, alors, je le lis ou pas, ce Detienne ? Faudrait vous mettre d'accord...

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  16. Lisez, bien sûr. (P/Z a raison, ma réaction est idiote. Je déteste ce type, mais je crois n'avoir jamais rien lu de lui.)

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  17. Tiens, il y aurait donc des individus spécialistes de l'identité nationale ?
    Je ne connais rien de ce Detienne, ni de sa position sur l'identité nationale, mais j'ai le sentiment qu'un anthropologue est aussi légitime pour s'exprimer sur ce sujet qu'une permanentée du gouvernement ou qu'un borgne décoré.
    Moi, je n'aime pas ce que vous écrivez, mais je viens ici parce que j'apprends des choses.

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  18. "Je ne connais rien de ce Detienne, ni de sa position sur l'identité nationale."
    A-t-on vraiment besoin d'aller plus loin !
    Pour le coup ce qui est amusant ici, c'est que, je vous soupçonne d'être de gauche, la conclusion que l'on peut tirer de vos quelques ligne, outre qu'il s'agit d'une défense de l'argument d'autorité, est qu'il convient d'adopter une position anti-démocratique puisque la parole d'un savant vaut mieux que celle d'une permanentée ou celle d'un borgne.

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  19. Prenez des cours de logique, P/Z, votre décodeur de sens dysfonctionne.

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  20. Syntaxe, logique tout est bon à prendre. Vous êtes mes maîtres.
    Chapeau bas !

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  21. En passant, je ne dis pas qu'il est illégitime que Marcel Detienne s'exprime sur l'identité nationale, je dis seulement qu'il dit des conneries du genre : il n'y a pas d'identité nationale mais seulement des cartes d'identité.
    Mais bon "La Cuisine du sacrifice en pays grec" est un livre remarquable.

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  22. Georges,
    Merci de respecter l'armée française. Je suis sergent-chef dans la réserve.
    Rompez !

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  23. Tant que vous n'êtes pas en réserve dans le sergent-chef…

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