vendredi 29 novembre 2013

Il ne sait pas

Mon père, ma mère et moi…

L'autoroute devient soudain très longue ; on ne sait même pas si on va retrouver le chemin et rentrer chez soi. On a vu auparavant ce visage, coiffé d'un bonnet incongru  ; ce personnage vaguement familier, assis au bord de son lit. A-t-il souri en nous voyant ? On n'est pas très sûr. Mais alors, qu'est-ce qu'on était content, de le trouver assis ! C'était comme une promesse, presque une résurrection, à laquelle personne ne croyait ! Mais tout de même : assis…

Tout s'est écroulé rapidement, on aurait dû s'en douter. Assis ? il ne savait même pas pourquoi. Se recoucher ? Incapable de le faire seul. Mais comment le toucher, cet homme ? Le traiter comme un enfant ? Pencher son oreille vers ses borborygmes ? Avancer la main vers sa peau de Ramsès ? Comment faire ça ? Le recoucher, donc. Remballer ces baguettes chinoises qui lui servent désormais de jambes sous les couvertures. L'entendre.

« J'ai mal… »  Et, ensuite : « Je suis mal… » Quoi faire, face à ce regard vide qui ne semble pas vous reconnaître ? Mais qui, peut-être… J'ai mal, ou je suis mal ? Comment savoir ? Il ressemble tout de même à un père qu'on a eu, cet homme décharné !  Lorsqu'il ferme les yeux, il a terriblement l'air de son futur cadavre, c'est sûr, mais enfin, il vit, apparemment.

Et il se plaint, il ne fait que cela : « J'ai mal… »  Et juste après : « Je suis mal… » Bien sûr qu'il est mal, puisqu'il va mourir. Et on lui dit quoi ? Rien. En tout cas, moi, rien. Je ressors de cette chambre, il y a du grand vent dehors, et des cris de mouettes, c'est très bien, ça me sèche les trucs qui m'empêchent de conduire et de ramener la voiture et Catherine à la maison.

J'y arrive, finalement. C'est très pénible, Catherine se tait, moi aussi. Et l'autoroute qu'on connaît par cœur devient soudain très longue, très bruyante, pleine de phares qui donnent envie de s'arrêter sur le bas-côté. J'ai tellement l'impression de crisper mes mâchoires que, quand j'arrive à la maison, j'ai en en effet les mâchoires toutes crispées.

Après ça, on prend un petit apéro, pendant que les chiens ronflent dans leurs paniers, et on parle de mon père.

24 commentaires:

  1. Il ne saura jamais. Sauf si Dieu existe mais j'ai un doute.

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    1. Moi aussi je doute depuis fort longtemps et quand je me suis exprimée sur ce sujet, on m'a répondu que ceux qui doutait de l'existence de Dieu ne voyait pas plus loin que le bout de leur nez...je n'ai toujours pas compris pourquoi !

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  2. Ben oui, c'est comme ça. La mort est dans l'ordre des choses. Où elle se trouve, naturellement. Je suis avec vous de tout cœur. Ce qui doit vous faire la jambe belle... Qu'espériez-vous ? Une vie éternelle ? Toute ma compassion ne vous servira à rien.

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    1. Savoir les choses et les vivre sont deux expériences légèrement différentes, vous le savez.

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  3. De tout cœur avec vous et votre Irremplaçable.

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  4. La mort, c'est le grand scandale, le scandale suprême: on ne peut rien en dire, rien en écrire, on ne peut pas la comprendre, on ne peut pas l'admettre (et, ne m'en veuillez pas, on ne peut pas réellement croire aux histoires qu'on s'invente selon lesquelles " ça continue après, peut-être", juste faire semblant).

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  5. La mère d'une amie avait fait jurer à sa propre mère, sur son lit de mort, de lui faire un signe si l'au-delà existait.
    Jusqu'ici aucune signe de v...d'existence quoi...mais ça ne veut rien dire, hein, on connaît les gonzesses...

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  6. @Elie Arié Cela me gène d’intervenir sur ce billet mais qu'est-ce que vous dites comme conneries ! c'est pas permis. On peut tout dire de la mort et tout écrire dessus.

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    1. @ corto74 "Cela me gène d’intervenir sur ce billet mais " mais vous l'avez quand même fait.
      Je parle évidemment de ce qu'on peut dire ou écrire à quelqu'un qui vient de perdre un proche, comme Didier Goux: rien.
      Sinon: oui, merci, je suis au courant de tout ce qui a été écrit sur la mort, j'ai lu Philippe Ariès, sans parler d'art et de littérature.

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  7. Monsieur Goux, merci d'exprimer avec un tel talent ce que l'on ressent.

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  8. Le plus difficile , c'est pour les proches qui restent, il faut du courage pour passer cette épreuve, bien à vous.

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    1. Pourquoi a-t-on si peur de mourir alors, si cela est moins dur que de rester ?

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  9. Oui, ça continue après. Mais ça n'enlève rien à la douleur de voir souffrir, et partir, ceux qu'on aime.
    Geneviève

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  10. On a beau s'y préparer depuis qu'on a l'âge de raison... Il n'y a pas de mots. Je suis de tout cœur avec vous.

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  11. Hélas Didier, nous connaissons ce moment où les êtres qui nous ont mis au monde commencent à ressembler à leur cadavre (que cette expression est horrible et forte...).
    Dites-vous que c'est l'ordre normaL
    Il souffrirait encore plus (que vous) si c'était vous qui étiez parti.
    Mais il est encore avec vous.

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  12. Bon j'ai comme l'impression que ça va être un peu difficile les jours à venir au Plessis.
    Les mots sont faibles, tout le monde le sait, cette épreuve est universelle et totalement singulière.
    J'ai adopté une formule personnelle qui m'aide bien, penser le plus souvent possible à sa voix, ses attitudes, son regard, lutter ainsi contre l'inexorable interruption des souvenirs. C'est vieux de presque trente ans mais mon père est quasiment ainsi tous les jours avec moi.
    Très beau texte qui touche bien fort.
    Thierry

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  13. J'ai toujours eu beaucoup de mal à parler avec mon père. Sa mort a été lente et extrêmement pénible, six mois de déclin après un AVC dévastateur. Eh bien c'est maintenant que nous nous parlons. Je ne suis pas sûr qu'il y ait un au-delà, mais que la mort ne soit pas une fin, de cela j'en suis désormais certain. Toutes mes pensées et bon courage.

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  14. "penser le plus souvent possible à sa voix, ses attitudes, son regard" et pour cela maintenant nous avons de quoi enregistrer tout cela.

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  15. Repose, mon petit papa, jusqu'au réveil joyeux.

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  16. Tout mon soutien à vous, Didier. Courage.

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  17. Je n'ai pas de mots pour compenser même un tout petit peu votre peine...
    Juste le coeur et l'amitié pour vous accompagner...

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  18. Je crains bien de ne pas savoir moi non plus. De ne pas savoir quoi dire. Et pourtant j'ai connu cette situation. Mais ça ne m'a pas rendu d'un iota plus habile pour trouver des mots réconfortants, ou simplement aimables.
    Alors sachez juste que je compatis sincèrement à votre peine, même si nous ne nous connaissons que par blog interposé.

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  19. "L'orphelin d'âge canonique, personne ne le plaint bernique !
    Et pour tout le monde il demeure, orphelin de la onzième heure. " (Brassens)

    Mais si.... Je vous plains comme tous ceux qui vous ont écrit des mots gentils , en grande sympathie.

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