J.M. Coetzee, né en 1940, prix Nobel de littérature 2003. |
Parvenu aux alentours de la soixante-dixième page, on se dit qu'on se
trouve devant une sorte de Philip Roth que le hasard aurait fait naître
en Afrique du Sud : un universitaire vieillissant, une étudiante
complaisante, une aventure, un scandale sexuel, une mise en accusation
du “suborneur” ; pas de doute, les ingrédients y sont. C'est au moment
où, démissionnaire, David Lurie part rejoindre sa fille unique, Lucy,
dans sa petite ferme du Cap-Oriental que Disgrâce, le roman de
J.M. Coetzee, prend soudain toute son originalité et toute sa profondeur. D'un coup, le destin récent de l'Afrique du Sud, de l'Afrique du Sud
“post-apartheid”, fait irruption dans le livre, l'Histoire envahit
l'histoire pour lui donner son sens. La grande force du roman est que
Coetzee ne cesse jamais de braquer son projecteur sur les quatre ou cinq
personnes – blanches et noires, mais, si l'on me passe l'approximation,
aucune n'est toute blanche ou toute noire dans l'ordre du romanesque –
qui occupent la scène ; et que c'est à travers eux que les convulsions de tout un pays vont apparaître,
la rapacité tranquille et assurée d'elle-même des uns, la mauvaise
conscience paralysante des autres, les tressaillements de désir,
d'envie, de haine, d'incompréhension et d'élans du cœur qui jettent les
personnages les uns contre les autres, les blessures qu'ils s'infligent,
mutuellement ou à eux-mêmes. Il faudrait aussi tenter de parler du
contrepoint étrange fourni par l'opéra que David Lurie, en rupture
d'université, tente de composer, en se fondant sur le dernier amour de
Byron pour sa comtesse italienne, Teresa Guiccioli, et du thème non
moins étrange et macabre des chiens euthanasiés que le professeur déchu
se charge de transporter et de brûler lui-même à l'incinérateur
municipal. Déchu, David Lurie l'est en effet, et c'est une déchéance
qu'il accepte comme une fatalité, voire une fatalité méritée : de mâle dominant qu'il était, il renonce à ces deux privilèges pour devenir à son tour une sorte de boy confiné aux tâches les plus basses ; de
même Lucy, sa fille lesbienne, décidera (mais décide-t-elle
réellement ? A-t-elle encore le choix, ce choix-là ?) de garder l'enfant
que lui a fait l'un de ses trois violeurs noirs. Tout fait sens, le
moindre geste, celui qu'on fait ou qu'on ne fait pas, chacun est englué
dans une histoire collective qui a cessé de l'être, qui ne l'a peut-être
jamais été. « Qu'est-ce que j'étais censé apprendre ? demande à un
moment Lurie au petit ami de Mélanie, l'étudiante qu'il a naguère
séduite. – À rester avec ceux de votre espèce », lui répond le jeune
homme, dont on ne saura pas s'il est blanc ou noir ou métis : cela n'a
déjà plus d'importance. Les jeux sont faits, la disgrâce est tombée.
« Qu'est-ce que j'étais censé apprendre ? »
RépondreSupprimer« À rester avec ceux de votre espèce. »
Je ne comprends même pas que ce genre d'affirmation puisse choquer nos contemporains. L'homme est un animal politique ET territorial. Ceux qui regardent la xénophobie avec horreur, alors qu'elle n'est qu'un réflexe on ne peut plus humain de défiance face à l'étranger qui entre dans l'espace vital, n'ont assurément rien d'humain. Ce sont des êtres hors-sol, dénués de la moindre conscience de ce qu'ils sont, de ce qu'ils doivent à ceux qui les ont précédés. C'est une réalité froide, comme toute réalité, qu'on ne peut pas faire des Français à partir de n'importe quel peuple, il faut pour cela que les arrivants partagent avec ceux qui les accueillent une origine, une religion, une manière de comprendre le monde, communes. Ceux qui affirment le contraire se basent uniquement sur les 5% qui ont réussi à dépasser ces obstacles. En clair, ils refusent le réel au profit de la fiction idéologique. L'abolition des frontières était certes une belle idée sur le papier, mais elle a fait l'impasse sur une réalité : de bonnes frontières garantissent de bonnes relations, une manière plus policée d'affirmer que charbonnier est maître chez lui.
Désolé, mais vous êtes à côté du sujet, là !
SupprimerJ'ai tout lu. Ah non.
RépondreSupprimerReprenez une bière, elle est méritée. Ah non.
Supprimervous êtes en bloc d'écriture compacte
RépondreSupprimerJe savais que j'allais être court.
SupprimerEt puis, j'avais à cœur de fournir au gros frisé une excuse pour ne pas lire.
Mais qu'est-ce que vous foutez dans les blogs à cette heure, à votre âge ?
SupprimerLa télé m'ennuyait, j'ai donc empoigné l'ordinateur de Catherine…
SupprimerDisgrace est un récit qui se passe entre sud-africains, il n'y est pas question ici d'étrangers, M.Koltchak.
RépondreSupprimerSauf Cotzee, si j'ose dire, qui lui s'est installé en Australie. On est toujours l'étranger de quelqu'un.
Emily
Là, je dois dire que Miss Emily a raison…
SupprimerIl s'agirait donc de différence d'espèce sociale, entre le professeur et l'homme ordinaire ? ou alors morale entre celui qui transgresse certains tabous et celui qui ne les transgresse pas ?
SupprimerNon, c'est davantage que cela – même si c'est aussi cela..
SupprimerComment tout n'est pas parfait dans l' Afrique du Sud post-apartheid, mais ce n'est pas le sujet de ce livre qui doit un écrit de relations humaines et sociétales, donc je resterais dans ma bataille de Leipzig où hussards, cuirassiers,uhlans, cosaques qu'ils soient français, prussiens,russes, autrichiens s’entre-tuent à grands coups de sabres, de fusils et de lances, je ne sais pas si je vais en sortir vivant mais bon " Viva la muerté"
RépondreSupprimerPetite précision au sujet des sud-africains blancs , à une époque pas si lointaine, on nous présentait ces blancs comme des envahisseurs venus en terre africaine pour la coloniser et maintenant selon ces mêmes personnes, ces afrikaners feraient partis ethniquement de cette terre sud-africaine, ils sont devenus fréquentables, apparemment les zoulous, xhosas et autres ethnies ne sont pas du même avis en les pourchassant comme des proies.
Mais après tout, ils n'ont que ce qu'ils méritent; diront nos bonnes âmes;
Colonisation si l'on veut : avant l'arrivée des blancs, ce coin d'Afrique était à peu près vierge de tout peuplement humain, si l'on en croit Bernard Lugan – et je ne vois aucune raison de ne pas le croire (à part la moustache, peut-être…).
SupprimerN'empêche, Ariel a peut-être gagné mais je viens de voir le scaner de "quivoussavez" et franchement, il a une bonne bouille de vainqueur...
RépondreSupprimerAh flûte, je me suis trompé de billet!