mardi 25 septembre 2012

Roma Termini ou La Modification


Notes prises après lecture de la première moitié du roman de Michel Butor…

La Modification, qui se passe entièrement dans un wagon du train de jour Paris-Rome – pour ce qui est du temps présent du récit, de son “maintenant” –, ressemble en fait à une grande gare ; de celles dont on devine la proximité bien avant d'y entrer, par la multiplication de plus en plus grande des voies ramifiées, qui finissent par former un écheveau indémêlable. De même ici, les trajets entre Paris et Rome se démultiplient rapidement et s'enchevêtrent dans le temps. Le personnage principal…

(Mais comment le désigner, celui-là ? Il n'est pas narrateur, bien que l'emploi par l'auteur de la deuxième personne du pluriel, du vous “de politesse”, donne souvent l'impression étrange qu'il l'est tout de même. L'interlocuteur ne va pas non plus car, malgré la forme employée, on sent bien que l'auteur ne s'adresse pas réellement à lui ; ou alors comme un procureur général s'adresse à un accusé, sans possibilité pour ce dernier de répondre, de se justifier. Il faudrait trouver un nouveau mot, mais lequel ? L'adressé ? L'épinglé ? L'admonesté ? Aucun n'est satisfaisant, bien entendu.)

Donc le personnage principal, qui se prénomme Léon, mais à peine, comme ça en passant, le personnage quitte Paris pour gagner Rome : c'est un départ, une échappée. Lorsque les voies de ma gare se démultiplient, on le voit également faire le trajet inverse et rentrer à Paris : le retour à la normale, la réintégration. Dans le même mouvement, il quitte sa femme (et aux deux sens du terme) pour rejoindre sa maîtresse, Cécile. À l'inverse, cette dernière, Française de mère italienne, lors de certains voyages du passé qui sont évoqués, quitte Rome pour Paris, avant de rentrer à Rome : échappée et réintégration contraires à celles de son amant.

Lorsqu'il est à Paris, loin de Cécile, Léon cherche à recréer une Rome imaginaire où il serait avec Cécile ; en route vers Rome (dans le temps présent du récit), il se voit y errer seul dans le futur, lorsque Cécile sera rentrée définitivement à Paris, pour l'y rejoindre. Nul n'est jamais vraiment, entièrement où son corps se trouve, les deux amants ne sont jamais réellement ensemble, sauf peut-être dans l'un de ces trains qui assurent la liaison entre ces deux points fixes, finalement inaccessibles, que sont les deux capitales : La Modification est une sorte de roman bipolaire.

Et c'est bien parce que, entre les deux villes comme entre les deux amants, ne semble pouvoir exister que ce qui est instable, fuyant, que le lecteur comprend vite que ce train dans lequel on l'a embarqué en réalité fonce droit dans le butoir.

Il reste qu'on se sent toujours un peu ridicule et sot, à découvrir ainsi un roman illustre, que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de cinquante ans ; et légèrement prétentieux de prétendre en parler après n'en avoir lu que la moitié.

27 commentaires:

  1. Un roman illustre, que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de cinquante ans...

    Tout le monde ? De fond en comble ? Un peu comme les électeurs de gauche connaissent La Princesse de Clèves ?

    RépondreSupprimer
  2. Mais est-ce que c'est bon? Ou bien un de ces "classiques de l'ennui"? (Question non rhétorique).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vraiment enthousiasmant. Je ne lâche plus le livre depuis hier. Et c'est beaucoup plus riche et foisonnant que ce que mes pauvres notes hâtives peuvent faire accroire.

      Supprimer
  3. Je l'ai lu deux fois il y a très longtemps et j'avais aimé l'ambiance. Je l'avais lu presque en même temps que l'après-midi de monsieur Andesmas de la Duras, il faisait partie d'un lot qu'on m'avait offert. Cela me donne envie de le revisiter, histoire de mesurer la distance.

    RépondreSupprimer
  4. Et Georges il dit quoi de "La Modification" "que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de cinquante ans" ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Fichez-lui donc la paix, à Georges ! Après, vous viendrez encore vous plaindre qu'il vous a tiré les nattes à la récré…

      Supprimer
  5. La modification que je n'ai pas lu, suite à votre description me fait penser à un roman dont nombre m'a parlé et que je n'ai pas lu et qui est Marelle de Julio Cortazar. Si quelqu'un a lu les deux, pourrait-il nous éclairer et nous dire s'il y a une ressemblance entre les deux.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai lu Marelle il y a plus de trente ans, donc mon avis est fortement sujet à caution ! Néanmoins, je crois pouvoir affirmer que les deux romans n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Ne serait-ce qu'en raison de l'abondance des dialogues chez Cortàzar et de leur quasi absence chez Butor. De plus, à tant faire que de lire l'Argentin, mieux vaut, je crois, choisir ses nouvelles (celles d'avant les années soixante-dix, c'est-à-dire avant sa “maladie gauchiste”…).

      Supprimer
    2. Monsieur Goux a raison, lire par exemple "Les armes secrètes", recueil de nouvelles de Julios Cortàzar, ne manque pas d'intérêt, passionne.

      Supprimer
    3. Oui, excellent recueil. Ou encore Ious les feux le feu ou Octaèdre.

      Sinon, l'ensemble des nouvelles a été réuni, voilà quelques années, en un seul gros volume, chez Gallimard.

      Supprimer
  6. E pericoloso sporgersi ... et une vague odeur de café mêlée à celle de pissotières mal entretenues, voilà tout ce qui me reste de mon passage à la gare de Rome Termini, mais quelle importance ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le E pericoloso sporgesi joue du reste un rôle dans le roman de Butor ! Quant à la gare elle-même, je ne puis rien en dire : la seule fois où je suis t'été à Rome (1985), c'était en voiture…

      Supprimer
    2. Vous connaissez cette histoire de la famille qui avait un petit cochon domestique? Il s'appelait Gersi. Mais il a grandi et c'est devenu de plus en plus difficile de le garder dans l'appartement. Un jour, excédé, le père décide de l'emmener au jardin zoologique.

      Moralité : Et père, y colle au zoo ce porc Gersi.

      Supprimer
    3. Fable Express dans Pilote, il doit y avoir à peu près 40 ans…

      (Ce qui est amusant c'est que, pour une raison qui m'échappe totalement, j'ai repensé à cette blague idiote il y a une semaine ou deux.)

      Supprimer
    4. Eh oui... Petite recherche sur le net. Le père de cette blague inoubliable semble être le grand Marcel Gotlib. Et le porc s'appelle en fait Jerzy.

      Supprimer
    5. Évidemment que c'est Gotlib, tiens ! Mais je me demande si le dessin n'était pas de Mandryka…

      Supprimer
    6. C'était dans une rubrique à brac, on rigolait bien pour pas cher...

      Supprimer
  7. Difficile de savoir ce que je désire vraiment, lorsque je vais rejoindre ma très jeune maîtresse de 30 ans, S., cette admirable jeune femme, de 30 ans plus jeune que moi. Les itinéraires sentimentaux sont parfois redoutables et beaux.

    RépondreSupprimer
  8. Michel Butor serait-il le Boulez de la littérature ?
    On ramasse les copies dans deux heures !

    Ps : Vous pouvez allier Balzac et Butor en consultant les remarquables essais du dernier sur le premier (c'est somme toute assez logique) réunis en trois (et ben oui trois) volumes sous le titre Improvisations sur Balzac.

    RépondreSupprimer
  9. Ce serait pas un roman de gare ?

    RépondreSupprimer
  10. Butor après Sarraute... et s'il tombe dans Robbe-Grillet, on va avoir du mal à le ravoir.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Eh bien, justement, je songe sérieusement à lire La Jalousie, figurez-vous ! En revanche, je résiste encore vaillamment à Duras…

      Supprimer
  11. Oh! Lisez le marin de Gibraltar (hilarant) et les petits chevaux de Tarquinia ! Cela n'arrête pas de picoler, en plus... (whisky pour l'un, Campari pour l'autre)...

    RépondreSupprimer
  12. La modification de Michel Butor 7 euro 41
    Les armes secrètes de Julio Cortazar 7 euro 13
    Improvisation sur Balzac de Michel Butor T1 22 euro 18, T2 17 euro 62, T3 17 euro 62
    La jalousie d'Alain Robbe-Grillet 7 euro 41
    Le marin de Gibraltar de Marguerite Duras 7 euro 69
    Les petits chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras 5 euro 65
    Ce qui fait un total de 88 euro 53 s'il vous plaît

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.