mercredi 24 décembre 2014

Gérard de Villiers, pénible seigneur


J'ai plusieurs raisons de chérir la mémoire de Gérard de Villiers, certaines aisément compréhensibles, d'autres probablement moins. Parmi les compréhensibles, il y a bien sûr, au premier chef, le fait qu'il m'ait, durant une vingtaine d'années, fait gagner des sommes qui, pour le fils de pauvre et de petite extrace que je suis, continuent de paraître fabuleuses et qui partirent gentiment en fumée au fil des ans et des tentations diverses ; une autre est, pour les gens qui savent lire, mon admiration pour son talent d'écrivain en bâtiment : chaque premier chapitre de SAS, au moins dans la période glorieuse, est un modèle difficilement accessible au commun des gâcheurs de mots que nous sommes. Parmi les raisons incompréhensibles, du moins le supposé-je, il y a cette désinvolture avec laquelle il traitait les sans-grade à qui il devait de l'argent, et dont j'ai souvent fait partie : il y avait, dans les raisons qu'il donnait pour ne pas vous payer, une sorte d'allant, de bonne santé, qui, in fine, empêchait de lui en vouloir, parce qu'elle touchait à l'innocence (in fine, mais pas sur le moment…). Je me souviens, d'assez nombreuses fois, d'avoir en même temps grincé des dents de son cynisme et applaudi comme à un tour particulièrement réussi – Catherine pourra en témoigner.

Mais ce que j'ai aimé surtout chez cet homme, c'est cette espèce de fierté, de morgue aristocratique, qui l'a conduit à ne jamais renier France Dimanche, où il a passé des années de sa vie, juste avant SAS, et même pendant. Sans faire de gros efforts de mémoire, je pourrais vous citer vingt personnes très connues qui, à un moment de leur vie, soit avant de trouver leur filon personnel, soit plus tard, dans un moment de creux professionnel, ont été fort satisfaits de venir manger (et boire…) à cette gamelle ; spécialement au rewriting, qui offrait le luxe, à l'époque dont je parle, et j'en ai connu la fin, d'un salaire bien matelassé pour deux jours de travail hebdomadaires. Villiers, lui, a toujours revendiqué hautement cette “honte”, jusque dans son autobiographie, Sabre au clair et pied au plancher, publiée par Fayard en 2005. C'est sans doute à cela que l'on reconnaît les seigneurs : ils ne cherchent pas à enjoliver leur biographie

Du reste, le temps et l'évolution de nos mœurs lui ont finalement donné raison. Il fut une époque où travailler pour France Dimanche était considéré comme infamant, par nos confrères de la presse noble. Outre le fait, j'en témoigne, que les nôtres faisaient aussi consciencieusement et bien leur travail que les leurs, on notera, aujourd'hui, que personne, dans cette presse de caniveau, ne réclame ni n'acclame l'éviction d'un des leurs pour cause d'idées non conformes, cependant qu'au Monde, à Libération, au Nouvel Observateur, et dans d'autres officines de moindre nuisance, on se félicite à grand bruit, et au tintement cristallin des coupes de champagne, de l'éviction d'Éric Zemmour d'une chaîne confidentielle de télévision qu'il contribuait assez largement à faire survivre.

Gérard de Villiers n'aurait pas applaudi. Il aurait sans doute souri et serait passé tout de suite à des sujets beaucoup plus intéressants à ses yeux que la soviétisation progressive de ce pauvre petit pays exsangue qui fut le sien.

Il n'empêche que cet empafé est mort en me devant sept mille euros.

24 commentaires:

  1. Heureusement qu'à France Dimanche personne n'a l'idée de demander votre éviction. Autant dire que si c'était le cas il n'y aurait tout simplement plus de France Dimanche ! La dernière fois que j'ai feuilleté ce journal, c'était il y a un ou deux mois chez mon médecin. J'ai compté pas moins de quatre ou cinq articles écrits par vous sous un de vos pseudonymes ou un autre, à tel point qu'on en est étonné de tomber tout à coup sur un article qui n'est pas de vous.

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  2. Dans cette presse caniveau, il y en a qui expriment des idées "non conforment" ?

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  3. Bel hommage ! S'il existe une vie près la mort, je ne serais pas étonné qu'il vous fasse un virement (ne serait-ce que pour abréger son séjour au purgatoire).

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    1. Ce serait une excellente initiative de sa part, en effet.

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    2. Les virements post-mortem, ce serait aussi bath que les virages déséquilibrés qui se termineraient dans une mosquée !

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  4. Sept mille euros? Pétard ! C'est une somme.

    Cela me rappelle un Chuck Norris Fact : "Si depuis plus de deux mille ans Jésus n'est pas revenu sur terre, c'est parce qu'il doit du fric à Chuck Norris."
    On pourrait peut-être adapter avec Gérard de Villiers et Didier Goux?

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    1. C'est le prix du dernier BM que j'ai écrit (les tarifs avaient déjà chuté : jusqu'en 2010, c'était 8500…) : comme il savait que j'arrêtais, et n'avais donc plus de moyen de pression sur lui (si tu ne paies pas, je ne rends pas le prochain livre), il s'est empressé de ne pas me payer… chose que je savais qu'il ferait depuis des années ! Donc, aucune surprise, ni même de déception de ma part : ces sept mille-là ne devaient pas rentrer, c'est tout.

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    2. qu'appelez vous un "BM"?

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    3. Brigade mondaine : collection de "polars" érotiques née en 1975 et morte de sa belle mort avec Gérard de Villiers, dont j'ai écrit une centaine de romans.

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    4. Il s'appelle comment d'ailleurs le dernier BM de votre série, celui que vous avez si gentiment offert à votre ami ?
      Je ne connais pas les tarifs du business, mais 7 ou 8000 euros pour écrire un livre, ça me parait pas si élevé, vous êtes libre, j'ai 2-3 idées ?

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    5. Je viens de vérifier : il s'appelle La Reine des vipères et date d'avril 2012. Pour les tarifs, en effet, on voit que vous n'y connaissez rien !

      Pour le reste, si vous avez "2-3 idées", eh bien, faites-les fructifier : moi, j'ai passé l'âge. et, de plus, je n'ai pas besoin des idées des autres.

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    6. Je voudrais bien, mais voyez vous, je crains de ne pas avoir l'art ni le talent d'un écrivain fut il en bâtiment. Pour les tarifs, sans vouloir déflorer notre ingénuité de lecteur, comment s'établissent ils ?

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    7. Ils s'établissent selon les ventes. Or, les "romans de gare" ne se vendent plus (jusqu'à temps qu'un génie trouve une idée magnifique…), donc ils ne paient plus non plus.

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    8. je vais vous faire de la peine ( en effet je suis d'une franchise répugnante ) , je n'ai jamais lu de brigade mondaine
      par contre ,des SAS....

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  5. Ne soyez pas trop dur avec lui quand même, il m'a appris le sens et l’orthographe du mot "turgescent".
    Que cela soit viré à son crédit céleste, ne serait-ce que pour alléger son débit terrestre.

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    1. Mais ce sera difficile de faire une épitaphe avec ça !

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    2. Hum ...

      "Plaisantin par nature, j'ai senti un bon coup
      A faire à Maitre Goux: lui gacher ses bitures.
      "

      Joyeux Noël à tous.

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    3. Je préfère turgide à turgescent, personnellement.

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    4. Certes, mais communément ce n'est pas le même genre d'enflure!

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  6. J'ai pu lire quelques pages de son autobiographie accessibles par Goux-gueule, notamment le passage où son père s'enfuit à Hollywood (comme scénariste, n'allez pas vous imaginer des choses) avant la guerre pour revenir juste après.
    Ça m'a fait penser à l'une de vos commentatrices assidue dont la famille à préféré passer la guerre à Shanghaï pour diverses raisons (sic).
    Assez cons et salauds pour provoquer des guerres, mais pas au point d'y participer...

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  7. Face à la meute des ignobles, dont le pire est peut-être Jean-Pierre Fauxcul...
    Et bien entendu il se fait twaiter de waciste, l'insulte la plus puissante, en dessous de...qui ne peut évidemment pas être utilisée dans ce contexte.

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