lundi 27 novembre 2017

… et il s'est éteint absolument comme une lumière où il n'y a plus rien.

Si Roger Stéphane n'avait fait que cela dans toute son existence, il faudrait tout de même lui rendre grâce. Son portrait de Marcel Proust date de 1961, il dure environ 55 minutes. On y voit et entend, vivants, des gens qui, depuis, sont à leur tout entrés dans la grande bibliothèque silencieuse de l'histoire : François Mauriac, Jacques de Lacretelle, Jean Cocteau (qui raconte visiblement n'importe quoi, comme s'il inventait à mesure ; et notamment la fameuse histoire des nouilles froides, qui fera bondir d'indignation Céleste Albaret, dans ses propres mémoires), Paul Morand et Madame, la princesse Soutzo, Emmanuel Berl, Daniel Halévy (le camarade du lycée Condorcet qui, à près de 90 ans, en paraît 20 de moins et qui devait mourir quelques mois après l'enregistrement). Et puis, bien sûr, Céleste. J'ai beau chercher, je ne parviens pas à trouver quelque chose dont je pourrais dire qu'elle me donne une impression de tristesse aussi poignante, aussi irrémédiable que le récit des dernières heures de Marcel Proust par Céleste Albaret.

Prenez une heure de votre temps, aujourd'hui ou plus tard, que vous soyez ou non un familier de l'écrivain et de son œuvre, pour regarder ce document qui fait honneur à ceux qui l'ont conçu et mené à bien.

(Rajout du 29 novembre : un commentateur avisé vient de me signaler que ma version de cette émission était non seulement “pourrie” mais incomplète. Je l'ai donc aussitôt remplacée par celle que l'on peut voir désormais, proposée par ses soins.)

26 commentaires:

  1. Je n'ai pas encore pu écouter, mais je le ferai.
    Cependant je sais que ce n'est pas vous qui iriez me reprocher de citer ici, ce que dit Michel Houellebecq sur Proust dans son interview du Spiegel, intitulée : "Dernière confession" et sous-titrée : "Est-ce moi qui suis déprimé, ou le monde qui est déprimant ?", publiée par Valeurs Actuelles :
    "Ce qui est amusant avec Proust, c'est qu'on cite toujours les mêmes passages, son analyse effroyablement méchante et raffinée de la comédie mondaine. Peut-être accordait-il plus de prix à ses considérations sur la toponymie des villages français, ou à son analyse des mécanismes de la jalousie; mais non, ce qui plaît aux gens, c'est les dîners chez les duchesses; et à moi aussi d'ailleurs."

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    1. Houellebecq a raison. Mais on sait bien qu'un écrivain ne séduit pas forcément la postérité par ce que lui-même regardait comme le plus important dans son œuvre. Ainsi, chez Proust, tout ce qui tourne autour de la fameuse mémoire involontaire.

      À ce sujet, je recommande vivement la lecture du petit livre de Jean-François Revel (Cahiers rouges de Grasset) : Sur Proust. Très rafraîchissant, drôle, sans doute “iconoclaste” aux yeux des gardiens du temple proustien auto-assermentés.

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  2. Ah la petite Madeleine, tous les godelureaux de Combray s'en souviennent, une sacrée gaillarde, fallait pas lui en promettre. Je crois qu'il n'y a que Marcel qui ne se l'est pas faite, une histoire de virgule mal placée paraît-il. Moi je crois plutôt qu'il était de la jaquette ou de la quatrième de couverture, d'ailleurs on l'avait surnommé Saint-Sinon pour rigoler...

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    1. Vous devriez vraiment arrêter de fumer n'importe quoi, vous. Ou au moins faire des pauses…

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    2. Je suis en pause depuis fin juin. Peut-être devrais-je recommencer ?

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    3. jazzman, c'est ce mec qui sait se cacher derrière des fantaisies dignes du Collège de Pataphysique. Qu'importe alors, si pendant qu'il nous fait danser, on se demande encore sur quel pied on danse ?

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    4. Didier Goux27 novembre 2017 à 19:13

      Vous devriez vraiment arrêter de fumer n'importe quoi, vous. Ou au moins faire des pauses…

      MDR !

      Comment éclater de rire par un sombre matin plus que morose !
      Je connaissais cette vidéo, mais c'est avec plaisir que je vais la revoir.

      En ce qui concerne Cocteau, il est tout à fait certain qu'il avait l'art d'arranger les choses à sa façon.
      Ne disait-il pas ?

      " Il y en a même qui croient me copier, mais ils ne peuvent pas : je change tout le temps.
      Moi aussi j'ai un cru, mais je mets plus ou moins d'eau dans mon vin.
      Ça les déroute !"

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  3. Remarquable, en effet. Merci pour cette suggestion !
    Mais je trouve Cocteau très bien, moi, dans ce documentaire, et sa façon de raconter l'histoire des nouilles froides me laisse penser que c'est tout à fait vrai (il dit qu'il l'a vu en manger, quand même). Evidemment, la Céleste n'a pas dû apprécier qu'on suggère ainsi que la maison était mal tenue et qu'on y mangeait froides de misérables nouilles.

    Je n'arrive pas à identifier l'accent de Mme Albaret. On dirait un reste d'anglais, ce qui expliquerait d'ailleurs les nombreuses liaisons mal-t-à propos. Mais j'apprends qu'elle est née en Lozère (et du reste son mari devait en venir aussi, car Albaret est un nom de l'Aubrac). Peut-être a-t-elle voulu perdre son accent du sud pour faire plus parisien, ce qui a donné chez elle ces prononciations étranges.

    Quelle belle langue, en tout cas, chez tous les contributeurs de cet hommage ! Et la phrase finale de Céleste vaut en effet d'être mise en exergue.

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    1. Céleste et Odilon étaient en effet lozériens tous les deux ; elle d'un village nommé Auxillac. Les liaisons m'ont frappé moi aussi, mais j'avoue que je n'y ai rien vu d'anglais (langue que, bien entendu, Céleste ne parlait pas).

      Pour ce qui est des nouilles, Céleste proteste énergiquement dans son remarquable livre (écrit en collaboration bien sûr), Monsieur Proust. Elle affirme 1) qu'elle n'a jamais préparé de nouilles pour son maître, 2) qu'il ne pénétrait jamais dans la cuisine, 3) qu'il aurait, de toute façon, été bien incapable de se cuisiner des pâtes tout seul. Quant à Cocteau, les témoignages comme quoi il avait tendance à présenter comme vraies les histoires qu'il forgeait sont assez nombreux…

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    2. Enfin, pour la langue des personnes interrogées, je voulais insister dans le corps du billet sur sa beauté, y compris dans le cas de Céleste qui n'est à peu près pas allée à l'école, et puis j'ai oublié…

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    3. Eh bien soit, Cocteau affabule, mais c'est presque plus beau ainsi !

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    4. Détrompez-vous : tous les visiteurs de Proust, et Proust lui-même, ont noté à quel point Céleste s'exprimait dans un français élégant, voire fleuri.

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  4. Jean-François Brunet27 novembre 2017 à 19:53

    Je ne sais pas pour les nouilles, mais Mme Albaret n'avait pas besoin d'une leçon de Cocteau pour mettre les choses à sa sauce. Par exemple, ce n'est pas à elle qu'on aurait fait croire que Proust était pédé!

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    1. Vous avez raison, madame Albaret, la seule dans cette émission qui prêche - et pleurniche - pour sa paroisse, on s'en fout !

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    2. Proust pouvait fort bien "manœuvrer" intellectuellement Céleste, et apparemment il ne s'en est guère privé. Mais il devait lui être tout à fait impossible de se préparer une casserole de nouilles et de la manger sans qu'elle s'en aperçoive. Nous sommes là sur deux plans n'ayant rien à voir l'un avec l'autre.

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  5. Portrait très intéressant de Marcel Proust, qui m'a renvoyé immédiatement à Thomas Mann qui fait ainsi le portrait de Tonio Kröger :
    "Mais dans la mesure où sa santé s'affaiblissait, son sens artistique s'affinait, devenait difficile, délicat, exquis, fin, irritable à l'égard de la banalité et extrêmement susceptible dans les questions de tact et de goût...
    Il ne travaillait pas comme quelqu'un qui travaille pour vivre, mais comme quelqu'un qui ne veut rien faire d'autre que travailler, parce qu'il ne se compte pour rien en tant qu'être vivant, ne veut être considéré que comme créateur.... il travaillait en silence enfermé chez lui, invisible et plein de mépris pour les petits écrivains dont le talent n'était que parure de société, et qui... ignoraient que les œuvres bonnes ne naissent que sous la pression d'une vie mauvaise, que celui qui vit ne travaille pas, et qu'il faut être mort pour être tout à fait un créateur."

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    1. En effet, il y a comme une ressemblance…

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    2. Vous en savez des choses, Mildred.
      Je me rappelle maintenant avoir lu Docteur Faustus sans savoir que c'était une biographie imaginaire et en croyant que le titre était Thomas Mann (je viens d'apprendre tout ça dans Wiki).
      Il me semble que le héros attrapait volontairement la syphilis pour magnifier son art. Il y avait aussi une histoire de pianiste qui s'était attaché plusieurs doigts pour mieux jouer quand il les détacherait et qui découvre qu'il sont désormais paralysés...
      Encore un truc qui risque de provoquer une remarque désopilante du taulier, au risque de provoquer un MDR de plus avec éventuelles complications post-opératoires...

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    3. Oui, moi aussi on m'a raconté cette histoire de doigt attaché. Je crois même me souvenir qu'il s'agissait de Schumann qui espérait ainsi fortifier son quatrième doigt !
      Riez tant que vous voudrez, jazzman, mais riez in petto !

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  6. J'ai visionné toute la vidéo...
    Grotesque, monstrueux même, je comprends tout à fait votre refus du monde actuel mais je ne regrette pas d'y être plutôt qu'être au début du 20ème siècle.
    Et vous ne connaissez probablement que TRES PEU DE CHOSES du "monde actuel" qui est bien plus terrible et merveilleux (à la fois...) que ce que vous semblez en penser, vous qui préférez les radotages de tous ces vieux débris!

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    1. Où l'on voit que la "fabrique du crétin" fonctionne désormais à plein rendement…

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    2. Désormais il faut écrire "la fabrique du. de la crétin.e"

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  7. Bonjour Monsieur Goux,

    Merci pour la qualité de votre site. Permettez-moi une question :
    pourquoi avoir mis en ligne une version tronquée et de mauvaise qualité de cette émission, alors qu'il existait celle-là :

    https://youtu.be/qNGYCXQ9Jdc?t=21

    Est-ce un choix de votre part ou un simple hasard?

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    1. Hasard malencontreux, simplement ! Je viens de remplacer “ma” vidéo par la vôtre, en effet bien meilleure. Tant mieux pour ceux qui ne se sont pas encore décidé à la regarder : c'est ce qu'on appelle la prime à la paresse…

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  8. Cela ne vous étonnera pas, j'ai beaucoup aimé !
    Je ne me répandrai pas en superlatifs, tout y était parfait, quel plaisir de les écouter !
    J'ai été très émue par François Mauriac, peut-être parce que je le connais mieux que les autres, on l'a tellement vu à la télévision; et sa phrase
    " il était notre jeune homme" m'a presque mis la larme à l'oeil.

    J'ajoute, mais c'est un détail que j'ai aimé voir madame André Maurois, pour moi elle était encore la toute jeune Simone de Caillavet aux joues rondes, et non cette dame élégante à l'accent très distingué.

    Merci encore !

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    1. Mais la phrase que cite Mauriac est en réalité de Barrès…

      (Et c'est vrai qu'elle était bien mignonne, la jeune Simone. Du reste, la rime le dit d'elle-même.)

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