mardi 19 mai 2020

Toute ressemblance avec une situation présente, etc.

Ivo Andrić (1892 – 1975), posant devant le pont sur la Drina.

« Survint alors une de ces périodes où chacun s'efforce de se faire petit et invisible, où chacun cherche un abri et un refuge, à tel point que l'on disait alors en ville que “même un trou de souris vaut mille ducats”. La peur planait sur Travnik comme le brouillard, pesant sur tout ce qui respirait et pensait.

« C'était une grande peur, invisible et impossible à mesurer, mais toute-puissante, qui de temps en temps s'abat sur les communautés humaines et fait courber ou tomber les têtes. Nombre de gens, affolés et aveuglés, oublient alors qu'il existe la raison et le courage, que tout a une fin dans la vie et que, si la vie de l'homme, comme toute chose, a sa valeur, cette valeur n'est pas illimitée. Et, abusés de la sorte par les sortilèges momentanés de la peur, ils payent leur existence bien plus cher qu'elle ne vaut, commettent bassesses et lâchetés, s'humilient et se couvrent de honte ; mais lorsque ce moment de peur passe, ils comprennent qu'ils ont payé un prix bien trop élevé pour survivre ou encore qu'ils n'étaient même pas menacés, mais ont seulement cédé à l'illusion irrésistible de la peur. »

Ivo Andrić, La Chronique de Travnik, Le Serpent à plumes, pp. 603 – 604.

Précisons que, à cette époque, 1813, les membres des diverses communautés de Travnik ont, eux, quelques sérieuses raisons de céder “à l'illusion irrésistible de la peur” : ils viennent en effet de toucher un nouveau vizir, lequel fait tomber les têtes – au sens propre – avec l'ardeur et la facilité d'une association lucrative sans but pompant de l'argent public.

(J'ai choisi la photo ci-dessus parce que Le Pont sur la Drina est le titre du roman le plus connu d'Ivo Andrić ; la Drina étant la rivière qui, sur une bonne partie de son cours, sert de frontière entre la Bosnie et la Serbie.)

8 commentaires:

  1. Comme vous y allez ! Les habitants de Travnik n'avaient à craindre qu'une décapitation ! Tandis que la Covid-19, c'est tout autre chose : la Covid-19, c'est... Comment dire ? La Covid-19, elle... En fait, la covid-19, c'est très beaucoup bien pire ! Voilà !

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    1. Vous avez raison : j'ai péché par légèreté. Je me repens et j'exige un châtiment exemplaire !

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    2. Je vous laisse redécouvrir Ivo Andrić et sa Chronique de Travnik où, comme le dit Jacques Etienne, si la décapitation était un châtiment "véniel" elle était finalement mortelle.
      J'ai aussi dans Le Pont sur la Drina, qui se déroule à Višegrad, le souvenir de la description d'un empalement décrite avec une précision chirurgicale qui ferait presque regretter la hache ou la guillotine. Sacrés Turcs !
      Vous vous étiez plaint de l'écriture des noms espagnols, mais l'écriture des noms serbes n'est pas très commode non plus !

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    3. J'en ai fini avec Travnik et ai, dans la foulée, repris Le Pont sur la Drina : en effet, la scène de l'empalement est assez éprouvante.

      Quant aux noms serbes et assimilés, le plus simple est de les trouver déjà écrits et de les copier/coller.

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    4. Ne nous empalons pas, sachons raison garder !

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  2. J'ai regardé l'histoire de Travik, Sarajevo, la Bosnie-Herzégovine, etc. Il y a quand même des endroits qui n'ont pas de bol, et dans lesquels, pendant des siècles, ont mourait plus souvent de massacres que d'infarctus ou de cancer... Mieux vaut ne pas habiter au carrefour de 2 civiĺisations...

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    1. Travnik était un vrai chaudron, de ce point de vue : des catholiques, des orthodoxes, des juifs et, pour tout arranger, cette calamité mondiale : des musulmans.

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    2. Ouh là là ! Vous allez faire connaissance avec les nouvelles lois.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.