dimanche 21 juin 2020

De la surpopulation en milieu ferroviaire


Quelques jours après le Nouvel An de 1962, par une chaleur implacable, Witold Gombrowicz quitte Buenos Aires pour Morón, ville dont Wiki nous affirme qu'elle comptait 122 642 habitants en 2001 et qui, apparemment, de semi-campagnarde qu'elle était encore lors de la visite gombrowiczienne, est devenue depuis partie intégrante de ce concentré de laideur morne qu'on appelle la grande banlieue. 

Pour s'y rendre, notre Polonais prend le train, un du genre omnibus. Les wagons sont bondés, il se retrouve debout, tassé, comprimé, promiscuité jusqu'à l'étouffement – ce qui n'est pas de chance pour un asthmatique. Seul l'esprit peut encore trouver à s'ébattre :

« Une anecdote. Des rires. Quelqu'un dit : Fidel ! Dialogue. On ne sait pas qui parle avec qui mais peu à peu, par-dessus nos têtes, s'installe une conversation, toujours la même, celle qu'ils ont apprise par cœur : l'impérialisme, Cuba. Pourquoi le gouvernement ceci, pourquoi le gouvernement cela, et la nécessité de l'ordre. Des opinions contradictoires. divers points de vue. Cependant, à la gare suivante, une vingtaine de personnes s'engouffrent encore, les voix deviennent de plus en plus sourdes, quand nous arrivons à Morón une voix réclame une réforme agraire, une autre la nationalisation de l'industrie, la troisième la liquidation de l'exploitation entre classes, mais ce bavardage se transfome en râles dans des poitrines monstrueusement écrasées. des idées sublimes jaillissent – mais ne serait-ce pas sous la pression des fesses agglutinées ? Une nouvelle gare, et de nouveau l'écrasement, les râles s'amplifient mais la discussion continue.

« Comment se fait-il qu'ils ne soient pas capables de  se rendre compte du fait essentiel – à savoir que, tandis qu'ils discutent, le nombre de gens ne cesse d'augmenter ? Quel démon animé d'une malveillance absolument gratuite les empêche de se rendre compte du nombre ? Dites, à quoi bon les systèmes les plus justes et la répartition des biens la plus équitable si entre-temps la voisine se multiplie par douze, si le crétin du rez-de-chaussée fait six gosses à sa gonzesse et si, au premier étage, on passe de deux à huit locataires ? Sans parler des Noirs, des Asiatiques, des Malais, des Arabes, des Turcs et des Chinois. Des Hindous. Que sont tous vos discours sinon les sornettes d'un idiot qui ignore la dynamique de ses propres organes génitaux ? Que sont-ils sinon le caquetage d'une poule assise sur la plus terrible des bombes – ses œufs ? »

En plus de ça, son séjour dans cette semi-campagne merdique, ni chair, ni poisson, fut en grande partie raté, je suis au regret de vous le dire.

15 commentaires:

  1. Cretinus Alpestris21 juin 2020 à 10:33

    J'ai facteuchêqué ce texte et je confirme que :

    -25 kilomètres séparent Monticule de Bons-Airs.
    -Il y a une dizaine de stations entre ces deux bidonvilles.
    -Il faut compter 40 minutes de trajet ferroviaire si le train part à l'heure (s'il part).
    -On y parle l'espagnol mais certains habitants préfèrent s'exprimer en idiome local comme le guarani, le toba, le mocoví ou le wichi.
    -Google StreetView démontre que, comme dans tous pays d'Amérique Latine, les zones urbaines ne semblent jamais achevées et sont en état de chantier permanent. Les habitants aussi. On se croirait presque à Paris.
    -Malthus est mort en 1834 mais l'amplitude de la diffusion de ses idées est proportionnelle à celle de la démographie planétaire. On ne sait pas l'expliquer.

    Merci de votre attention.

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    1. Nous voilà donc incollables sur les banlieues bons-aériennes !

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  2. j'écoute un podcast des nuits de France Culture consacré Gombrowicz...
    lien
    Décidément, sur cette chaîne, les nuits sont bien plus belles que les jours.
    On arrive assez précisément à dater le déclin de la langue, des thèmes traités...
    Constat personnel, ça se tient, la qualité, à peu près dans les années 80-90 voire 2000, déclin progressif et très rapide accélération à partir de 2008-2010.

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    1. Je ne peux rien dire : je n'ai jamais écouté la radio.

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    2. Laure Adler a tout saccagé.
      Orage

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  3. Après sa sortie d'Afrique, il y a 80.000 ans, une tribu 'Négritos' avait élu domicile dans une des îles Andaman. Durant l'ère glacière qui suivie l'éruption du Toba, ces îles avaient été accessibles pendant quelques temps. Coincée sur cette île pendant 80.000 ans, l'obsession absolue de cette population fut le maintien de la population: ni trop, parce que les ressources étaient limitées, ni trop peu, parce qu'il fallait transmettre sa Culture. Dans les 60, des 'Occidentaux' découvrirent l'île. La population fut incapable de faire face. Elle arrêta purement et simplement de se reproduire.
    Ils se sont évaporés.

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    1. Méfiez vous. La vapeur forme un nuage, le nuage forme la pluie, et la pluie nous tombe sur la tête un jour ou l'autre !

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  4. Alors là, c'est fort de café!
    Je tentais de répondre à Elie Arié sur le post Gombrowicz et j'ai eu ça:

    "Bloqué par une stratégie de sécurité de contenu
    Une erreur est survenue pendant une connexion à www.blogger.com.
    Firefox a empêché le chargement de cette page de cette manière car sa stratégie de sécurité de contenu ne le permet pas. "


    Blogger (ou Firefox?) n'aime pas les discussions philosophiques?



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    1. Puisqu'on vous a dit que c'était une ERREUR !

      Vous voudriez quoi, en plus ? Que Blogger vous envoie des excuses écrites sur parchemin et que Firefox vous paie une pute ?

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    2. " une pute" : comment connaissez-vous le sexe
      ...pardon, le genre de realist, et ses préférences sexuelles...ou ses préférences de genre? Là je ne sais pas comment il faut dire ... Il est vrai qu'on ne sait rien,non plus du sexe, pardon, du genre, de la pute en question.
      Comme tout cela était plus simple, de mon temps !

      EA

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  5. Quand même, il y avait des images de Gombrowicz qui vous auraient attiré davantage de lecteurs...Voyez son film "Pornographie" (ne pensez pas à mal, il ne s'agit que de paraboles...)

    EA

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  6. Au fond, vos billets sur Gombrowicz, que j'ai tant critiquésen les prenant au 1er degré,me donnent envie de le lire; parce qu'en vieillissant ( ou, plutôt,après avoir vieilli ), je m'aperçois qu'en littérature ce ne son pas les idées qui m'intéressent, mais la façon de les exposer ( les idées, c'est juste bon pour les politiques... et encore!)
    L'ennui, c'est que je suis embarqué dans Valéry, qui est exactement l'inverse : très intelligent,mais pas lyrique pour un sou; et que j"÷n suis à l'âge où il devient ridicule de programmer ses lectures ("Pzsse encore de bâtir", etc.)

    EA

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    1. Gombrowicz est largement aussi intelligent que Valéry ! De plus, qui vous empêche de "panacher" ?

      Si vous vous décidez, je vous conseille 1) de vous offrir le volume "Quarto" de chez Gallimard ; 2) de commencer par Ferdydurke.

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    2. Cela dit, allez-y doucement : c'est tout de même du brutal (même si on a connu des Polonaises qui le lisaient au petit-déjeuner…).

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.