mardi 16 juin 2020

Fumeur ou non-fumeur ?

Joseph Roth (au centre) et Soma Morgenstern (à dr.), dans un café parisien, 1938 ou 39.

Joseph Roth et Soma Morgenstern (1890 – 1976) se sont connus à Lemberg (Lvov pour les Russes, Lwow pour les Polonais, Lviv – son nom actuel – pour les Ukrainiens…) en 1909 ou 1910, Morgenstern, dans ses souvenirs, avoue ne pas pouvoir être plus précis. Ils se sont fréquentés jusqu'à l'extrême fin de la vie de Roth, puisque, à partir de 1938 et de l'Anschluss, Morgenstern s'est lui aussi exilé à Paris pour venir occuper une chambre dans le même hôtel de la rue de Tournon que son compatriote et ami. Entre ces deux dates, les deux Galiciens n'ont cessé de se rencontrer, ici ou là, à Berlin ou à Vienne, à Paris ou à Frankfort (ils publiaient l'un comme l'autre des articles dans la Frankfurter Zeitung, plus ou moins remplacée, après la guerre, par la Frankfurter Allgemeine Zeitung).

En dehors d'une trilogie romanesque dont j'ignore encore tout à l'heure où nous sommes, Étincelles dans l'abîme, Soma Morgenstern a aussi écrit un livre dont son ami est la figure centrale : Fuite et fin de Joseph Roth. Livre passionnant et riche ; passionnant en ceci que c'est un portrait nullement hagiographique qu'il donne de Roth, mais au contraire fait de nuances et parfois de contrastes ; riche dans la mesure où, parlant de Roth, il élargit constamment son sujet et brosse un tableau de toute cette vie culturelle berlino-viennoise de l'entre-deux-guerres, qui moussait comme une bière fraîchement tirée. Bref, un livre hautement recommandable pour qui s'intéresse non seulement à Joseph Roth mais à son époque et son milieu.

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En 1928, un soir, Roth et Morgenstern se retrouvent à déambuler le long du canal du Danube, en compagnie d'un certain Fuchs, conseiller ministériel de son état, chacun y allant, tour à tour, de son anecdote, historiette, etc. Comme les trois hommes se trouvent passer juste en face du grand quartier juif de Vienne, le dit conseiller s'écrie : « Ici s'impose une histoire juive ! » Roth se lance aussitôt :

« Deux juifs étaient assis ici, sur ce banc, l'un fumeur, l'autre non-fumeur. Le non-fumeur dit à l'autre : “Cessez de fumer tout le temps. Pouah ! Avec ce vent, et comme vous êtes assis, je prends toute votre fumée.” L'autre change de place et dit : “Je suis fumeur, et les fumeurs, ça fume ! – Ça, vous ne ferez pas de vieux os, à continuer de fumer comme vous le faites… – J'ai pourtant déjà soixante-quinze ans…” Le non-fumeur se met en colère : “Peut-être, mais si vous ne fumiez pas, vous en auriez déjà au moins quatre-vingt-cinq !” »

L'histoire m'a fait sourire et, juste après, m'interroger : en quoi était-il nécessaire que les deux protagonistes en fussent des Juifs ? Ne marche-t-elle pas aussi bien avec des Bretons, des Castillans ou des Californiens ?

9 commentaires:

  1. Peut-être un côté Groucho Marx, ce qu'on appemle "le complexe de Massada" ; quand on est dans l'absurde, au lieu de faire amende honorable, aller encore plus loin dans l'absurde... Mais il y a bien mieux, il manque ici la relance.

    EA

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  2. ça paraîtrait logique s'il avait commencé à fumer dix ans auparavant.

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  3. Non, il y a toujours une touche spéciale:
    - Allo Jacob, ça va?
    - Ca va bien!
    - Et la famille ça va?
    - Ca va très bien!
    - Et les affaires ça va?
    - Ca va très très bien!
    - Bon, je vois que tu n'est pas seul, je te rappellerai.



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  4. ON dirait du Desproges sur la fin, dans son célèbre sketch sur les Juifs dans laquelle à la fin il parle de sa douleur de Limousin...de fait, beaucoup d'histoires juives ont cette particularité de toucher à l'universel et donc s'adaptent à tout homme, peu importe son origine, on pourrait dire que les Juifs ont une certaine exclusivité de l'universel...mais c'est pareil pour tout peuple, groupe humain, de s'approprier certaines choses...alors qu'elles devraient être libres (au sens de logiciel libre). Rien à voir, quoique, j'essayais de synthétiser les croyances judéo-chrétiennes et j'en suis arrivé à cette conclusion:
    Les Juifs: Ancien Testament
    Les Protestants: Ancien Testament + Jésus-Christ
    Les Catholiques: Nouveau Testament + Jésus-Christ

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    1. Beaucoup de généralisations du type toutes les Anglaises sont rousses... L'immense majorité des Juifs n'a pas lu l'Ancien Testament, ce qu'on appelle "l'humour juif" est l'humour ashkénaze, mais beaucoup d'ashkénazés n'ont aucun sens de l'humour,juif ou pas; et, surtout, l'humour juif n'est justement pas universel, mais très spécifique : si vous mettez des Écossais,également réputés pour leur avarice,à la place des juifs, et que c'est quand même drôle, ce n'est pas une histoire juive. Je Connais plein de vraies histoires juives, mais trop longues pour un forum.

      EA

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    2. Évidemment qu'avec cette synthèse, cette tentative de formule, je fais des généralisations et n'entre pas dans la nuance, ça tombe tellement sous le sens que le relever est inutile. Résumer 3 mouvements religieux en 5 mots, c'est sûr qu'on va écraser. Évidemment que l'humour n'est pas partagé par tout le monde, certaines histoires juives touchent à l'universel, et c'était justement pour rebondir sur la chute du poste de blog, que cette histoire en particulier aurait pu se produire avec des Bretons et des Limousins. Ensuite sur la spécificité des histoires juives, oui et non...tout ce qui touche aux Juifs comme peuple peut largement se décliner à l'ensemble des peuples (mêmes préoccupations, femmes, argent, enfants...)c'est l'exemple du fumeur de l'histoire...si on touche aux questions religieuses, évidemment que les histoires juives ont une particularité que les histoires touchant les Musulmans ou les Catholiques n'auront pas.

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  5. Et encore, c'était pire avant 'correction':
    « Deux juives étaient assises ici, sur ce blanc, l'une fumeuse, l'autre non-fumeuse. Le non-fumeuse dit à l'autre : “Cessez de fumer noire tout le temps. Pouah ! Avec ce vent, et comme vous êtes assises, je prends toute votre fumée noire.” L'autre change de place et dit : “Je suis fumeuse, et les fumeuses, ça fume noir ! – Ça, vous ne ferez pas de vieux os, à continuer de qualmen(*) comme vous le faites… – J'ai pourtant déjà soixante-quinze ans…” La non-fumeuse se met en colère : “Peut-être, mais si vous ne fumiez pas, vous en auriez déjà au moins quatre-vingt-cinq !” »
    (*) qualmen: dégager une épaisse fumée noire.

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  6. Un grand congrès mondial de rabbins,à New York. 3 rabbins prennent un taxi, un Yellow Cab, conduit par un Noir.Et ils discutent entre eux.

    Un vieux rabbin, dont tout le monde, des ultra-orthodoxes aux ultra-libéraux, reconnaît sa grande supériorité dans ses connaissances théologiques -" Finalement, je pense que j'ai raté ma vie; je l'ai perdue à tenter de comprendre des choses qui dépassent l'entendement humain ".

    Un rabbin de 40 ans, l'homme dont tout le monde parle du fait de l'originalité de ses interprétations théologiques:"- Comment osez-vous dire ça? Si vous,que tout le monde admire, n'êtes rien, vous me traitez de sous-rien, de pauvre raté !"

    Le 3ème rabbin,un jeune qui vient de passer son diplôme de rabbinat, aux 2 autres "- Mais comment osez-vous dire ça? Vous me dites que j'engage ma vie dans une impasse ! Autant que je me suicide tout de suite ! "

    Alors,le chauffeur de taxi Noir intervient "- Mais, messieurs, comment osez-vous dire ça? Moi, je suis catholique, je connais juste par coeur quelques prières que je ne commrends pas, je ne me suis jamais posé de questions! Alors, si vous dites que vous, qui consacrez votre vie à comprendre ce que cela veut dire, n' êtes rien, ça veut dire que je suis une sous-merde !"

    Alors, le vieux rabbin, aux deux autres "- Mais pour qui il se prend, celui-là ??? "

    EA

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  7. "Joseph Roth (au centre) et Soma Morgenstern (à dr.), dans un café parisien, 1938 ou 39." Oui, mais QUI est à gauche, hein ??

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.