C'est de plus en plus rare, mais parfois, cela se passe encore comme ça : L'Irremplaçable va se coucher, et moi, parce que la nuit est peut-être un peu plus noire que d'ordinaire, je dépucèle une autre canette de mousse, je vais me carrer dans mon fauteuil agonisant – et je ressors les disques de Léo.
On pourra toujours me dire ce qu'on voudra, je vous emmerde à un point difficilement imaginable : quand Ferré chante, j'ai 17 ans.
Les yeux des tout petits riboulant de tendresse
J'habite à Orléans-La Source, petite chambre, dans un petit appartement d'un petit immeuble de merde. Ma mère est malheureuse, parce que mon père est à Djibouti : il gagne de quoi faire construire la maison que nous occuperons plus tard. Moi, évidemment, je m'en fous :
Pour tout bagage on a vingt ans
On a l'expérience des parents
On se fout du tiers comme du quart
On prend l'bonheur toujours en r'tard
Je suis anarchiste, vous imaginez l'affaire ? Je ne sais même pas tellement ce que cela veut dire (du reste, personne ne sait exactement ce que cela veut dire : c'est très commode).
Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d'amitié
Mais, comme mon père est militaire et que j'ai 17 ans, je suis donc anarchiste. Mon père eût-il été ardent révolutionnaire que je me serais peut-être engagé dans l'armée : on ne tient qu'à un fil, et on ne le voit pas.
La plupart fils de rien ou bien fils de si peu
Je ne sors jamais, je ne suis pas un garçon très festif. Ou bien, je suis très en retard pour mon âge, je ne sais pas. C'est comme ça : les filles ne m'intéressent pas ; ou plutôt, je crois bien, je ne me sens pas très armé pour la lutte. Donc, week-ends entiers dans cette petite chambre, ou dans le salon où ma mère tourne en rond, un chiffon à poussière en main, en attendant le retour de son homme – mon père. Néanmoins, je crois avoir des rêves de chair féminine, alors. Il me semble même pouvoir encore y mettre certain prénom.
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir Jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu'on n'attend plus
Et il n'y a pas que cela, bien sûr. C'est l'âge où l'on se demande pourquoi le monde fonctionne si mal (l'âge des renoncements viendra plus tard, dans longtemps mais très vite).
Madame la Misère
Écoutez le tumulte qui monte des bas-fonds
Comme un dernier convoi
Le papier peint est si laid, personne ne l'a choisi, il était là avant qu'on arrive, la chambre est minuscule, et hideuse, et terriblement à angles droits. Mais :
Les âmes de nos chiens en bouquet réunies
Et leurs paroles dans la nuit
Comme une traine
La voix de Léo, n'est-ce pas. Tout juste un peu d'hiver pour rompre les façons. Et à la fin de ce disque (double album, à l'époque vinyle), Les Anarchistes, et puis Ni dieu ni maître. Le disque absolu, qui renvoie tous vos Bénabar au néant.
Imaginez cela : février 1969, vous venez de prendre un billet au guichet de Bobino. Vous vous asseyez à l'orchestre. Derrière vous, au-dessus, il y a des chevelus excités qui agitent des drapeaux noirs. Devant vous, sur la scène
Sur la scène y a l'silence
Tout habillé de noir
Sur la scène y a une pute
Avec des yeux abstraits
sur la scène, il y a Paul Castanier, le pianiste aveugle, qui vaut un orchestre à lui seul. Et puis, un homme habillé de noir entre et dit :
Je suis arrivé à huit heures et quart
J'ai grillé une sèche en lisant l'courrier
Dans cette loge d'artiste où s'arrête la gloire
Le temps de s'refaire une petite beauté
Regarde-moi bien : j'suis une idole
Et ce soir, pour la trois cent millième fois, jai écouté ça : Léo à Bobino – février 1969.
Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent
La plupart espagnols allez savoir pourquoi
Faut croire qu'en Espagne on ne les comprend pas
Les anarchistes
On pourra toujours me dire ce qu'on voudra, je vous emmerde à un point difficilement imaginable : quand Ferré chante, j'ai 17 ans.
Les yeux des tout petits riboulant de tendresse
J'habite à Orléans-La Source, petite chambre, dans un petit appartement d'un petit immeuble de merde. Ma mère est malheureuse, parce que mon père est à Djibouti : il gagne de quoi faire construire la maison que nous occuperons plus tard. Moi, évidemment, je m'en fous :
Pour tout bagage on a vingt ans
On a l'expérience des parents
On se fout du tiers comme du quart
On prend l'bonheur toujours en r'tard
Je suis anarchiste, vous imaginez l'affaire ? Je ne sais même pas tellement ce que cela veut dire (du reste, personne ne sait exactement ce que cela veut dire : c'est très commode).
Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d'amitié
Mais, comme mon père est militaire et que j'ai 17 ans, je suis donc anarchiste. Mon père eût-il été ardent révolutionnaire que je me serais peut-être engagé dans l'armée : on ne tient qu'à un fil, et on ne le voit pas.
La plupart fils de rien ou bien fils de si peu
Je ne sors jamais, je ne suis pas un garçon très festif. Ou bien, je suis très en retard pour mon âge, je ne sais pas. C'est comme ça : les filles ne m'intéressent pas ; ou plutôt, je crois bien, je ne me sens pas très armé pour la lutte. Donc, week-ends entiers dans cette petite chambre, ou dans le salon où ma mère tourne en rond, un chiffon à poussière en main, en attendant le retour de son homme – mon père. Néanmoins, je crois avoir des rêves de chair féminine, alors. Il me semble même pouvoir encore y mettre certain prénom.
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir Jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu'on n'attend plus
Et il n'y a pas que cela, bien sûr. C'est l'âge où l'on se demande pourquoi le monde fonctionne si mal (l'âge des renoncements viendra plus tard, dans longtemps mais très vite).
Madame la Misère
Écoutez le tumulte qui monte des bas-fonds
Comme un dernier convoi
Le papier peint est si laid, personne ne l'a choisi, il était là avant qu'on arrive, la chambre est minuscule, et hideuse, et terriblement à angles droits. Mais :
Les âmes de nos chiens en bouquet réunies
Et leurs paroles dans la nuit
Comme une traine
La voix de Léo, n'est-ce pas. Tout juste un peu d'hiver pour rompre les façons. Et à la fin de ce disque (double album, à l'époque vinyle), Les Anarchistes, et puis Ni dieu ni maître. Le disque absolu, qui renvoie tous vos Bénabar au néant.
Imaginez cela : février 1969, vous venez de prendre un billet au guichet de Bobino. Vous vous asseyez à l'orchestre. Derrière vous, au-dessus, il y a des chevelus excités qui agitent des drapeaux noirs. Devant vous, sur la scène
Sur la scène y a l'silence
Tout habillé de noir
Sur la scène y a une pute
Avec des yeux abstraits
sur la scène, il y a Paul Castanier, le pianiste aveugle, qui vaut un orchestre à lui seul. Et puis, un homme habillé de noir entre et dit :
Je suis arrivé à huit heures et quart
J'ai grillé une sèche en lisant l'courrier
Dans cette loge d'artiste où s'arrête la gloire
Le temps de s'refaire une petite beauté
Regarde-moi bien : j'suis une idole
Et ce soir, pour la trois cent millième fois, jai écouté ça : Léo à Bobino – février 1969.
Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent
La plupart espagnols allez savoir pourquoi
Faut croire qu'en Espagne on ne les comprend pas
Les anarchistes
Bordel ! Mais qu'est-ce que vous voulez qu'on commente, nous ?
RépondreSupprimerVous devriez faire un billet sur Ségolène Royal, ça attire les abrutis.
Didier, c'est tout simplement beau ! Bon d'accord, il se trouvera toujours un connard pour dire que je vous flatte mais on s'en contre-pignole hein ?
RépondreSupprimerCela dit, l'idée de @Nicolas est séduisante !
Je plussoie Pluton et Nicolas.
RépondreSupprimer"Ségolène Royal nue sous mes baisers brûlants"
Nicolas : je ne tiens pas particulièrement à attirer les abrutis : je me suffis à moi-même dans ce domaine...
RépondreSupprimerPluton : on s'en contre-pignole en effet ! Et à deux mains encore...
Suzanne : vous avez des fantasmes bizarres, par moment.
oh oui les billets internes aux partis attirent le con
RépondreSupprimerDidier : que nenni ! je vous suggérais juste un titre de billet !
RépondreSupprimerRomain: baisers aux parties valent mieux que billets au parti... (bon, j'arrête)
RépondreSupprimerAh ! oui oui oui. oui !
RépondreSupprimer.. la période Zoo était bien aussi, un peu après donc.. Geargies
RépondreSupprimertrés chouette billet
RépondreSupprimerJe suis d'un autre pays que le vôtre
RépondreSupprimerD'un autre quartier d'une autre solitude...
Marie Maman GOUX, voila ton fils
RépondreSupprimerqu'on crucifie sur des affiches
Un doigt de scotch et un gin fizz
et tout le reste, on s'en fiche
Tiens ça fait longtemps que je n'ai pas ressorti mon Ferré, il va falloir.
RépondreSupprimerIl y a aussi Metamec l'album posthume et sorti à l'état de maquette par son fils. Je l'écoute peu tellment c'est sombre et beau !
:-))
Olivier : ouais : ils ont voté... et puis après ?
RépondreSupprimerPoireau : ressortir son Ferré à intervalles réguliers : mesure d'hygiène.
RépondreSupprimerPersonnellement, je ressors plus volontiers ses mises en musique de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud...
Didier Goux : et Aragon !
RépondreSupprimerIl existe près des écluses un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s'use a démêler le tien du mien
En bandes on s'y rend en voiture ordinairement au mois d'août
Ils disent la bonne aventure pour des piments et du vin doux
On passe la nuit claire à boire on danse en frappant dans ses mains
On n'a pas le temps de le croire il fait grand jour et c'est demain
On revient d'une seule traite gai sans un sou vaguement gris
Avec des fleurs plein les charrettes son destin dans la paume écrit
J'ai pris la main d'une éphémère qui m'a suivi dans ma maison
Elle avait les yeux d'outremer elle en montrait la déraison
Elle avait la marche légère et de longues jambes de faon
J'aimais déjà les étrangères quand j'étais un petit enfant
Celle-ci parla vite vitre de l'odeur des magnolias
Sa robe tomba tout de suite quand ma hâte la délia
En ce temps-là j'étais crédule un mot m'était promission
Et je prenais les campanules pour les fleurs de la passion
A chaque fois tout recommence toute musique me séduit
Et la plus banale romance m'est l'éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme un long jour une courte nuit
Puis au matin bonsoir madame l'amour s'achève avec la pluie
:-))
rien qui m'étonne... je le sais depuis longtemps, que tu n'es qu'un anarchiste... sinon, moi, ce que je préfère (parce que les dithyrambes misogynes du cher Léo... je m'en passe) c'est Baudelaire chanté par lui (je peux te dire que ça m'a marquée à vif). Qu'est-il de plus beau que cela :
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=8jnF7Zt1G-A&feature=related
???
Et aussi :
RépondreSupprimer"Quand on est seul et armé on est plus seul
Quand on est seul et désarmé on fait une demande pour être CRS"
Tout le monde a récupéré Brassens ; peu sinon personne - excepté lavilliers (assumé) ou Murat (par son fils), Ferré.
Je vous pardonne...
Poireau : et L'Affiche rouge !
RépondreSupprimerLucia Mel : entièrement d'accord avec vous ! Et merci pour cette Invitation au voyage...
Altec : ouf ! j'avais peur de ne jamais être pardonné !
"Divine Anarchie, adorable Anarchie, tu n'es pas un système, un parti, une référence, mais un état d'âme."
RépondreSupprimerFaudrait pas que ça vous empêche de passer rue Amelot, histoire de régler vos arriérés de cotisation à la FA.
Ah ? Ils sont toujours rue Amelot ?
RépondreSupprimerLa librairie du Monde libertaire (Publico) y est toujours, oui.
RépondreSupprimerSi ça se trouve j'ai gaffé, vous êtes peut-être de la tendance rue des Vignoles ?
Clap clap clap !
RépondreSupprimerMalavita : il y a 35 ans de cela ! Je ne savais même pas qu'il y avait des "tendances", alors...
RépondreSupprimerSuis-je bête !
RépondreSupprimerJ'oubliais que vous préfériez les chiens aux chats !
"ô triste, triste était mon âme,
RépondreSupprimerà cause, à cause d'une femme"
Tiens, je vais m'en remettre un chouia.
Et aussi, sur le même disque :
RépondreSupprimerSeigneur quand froide est la prairie
Quand dans les hameaux abattus
Les longs angélus se sont tus
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux
(Pardon pour la ponctuation absente : je cite de mémoire et ne sais trop où la placer...)
Pour moi c'était un concert de Mouloudji. Je n'avais déjà plus 17 ans. Seul avec son pianiste dans cette MJC communiste de la banlieue grenobloise, il m'avait vraiment subjugué. J'en avais totalement ignoré la jeune et jolie camarade qui m'accompagnait. Tant pis pour elle.
RépondreSupprimerJ'ai aussi un souvenir de concert de Mouloudji : c'était en 1971, le 14 juillet, concert en plein air, au pieds des murailles du château-fort de Sedan. J'avais 15 ans, donc;
RépondreSupprimerQue le temps passe vite...
Hier, j'avais encore vingt ans, Un coeur tout neuf..;
RépondreSupprimerSi peu de gens se souviennent de Mouloudji ! Je ne l'ai jamais vu en concert, ni aucun d'eux, d'ailleurs, je n'étais pas en France. Mais on écoutait la radio, ou ma mère qui jouait du piano.
RépondreSupprimerCe matin, je pensais aussi à Reggiani : Ma liberté, Les loups sont entrés dans Paris.
Voilà un bien qui fait du mal, rappel pour moi de temps difficiles.
(ya que des vieux ici, je me tire)
RépondreSupprimerTiens, j'aurais dû y rester, là-bas, au moins y zont le respect des vieux. Une fois, un autostoppeur a remercié mon mari (plus jeune que lui) en l'appelant "vieux", et voilà mon homme rentré tout fier à la maison.
RépondreSupprimerP.S. Désolée, Didier, de faire chuter la moyenne d'âge de votre lectorat.
Tu es visiblement plus romantique qu'anarchiste...
RépondreSupprimerJe me demande si c'est vraiment rassurant !
RépondreSupprimerQuoique si, tout de même : je suis allé musarder sur quelques blogs anars, c'est hallucinant de voir à quel point ces malheureux décervelés peuvent être sectaires et déconnectés du réel. ça relève d'une forme de démence, à mon avis : passé 17 ou 18 ans (et je suis large), ça n'est plus du tout excusable !
Le Grand Léo. Je l'écoutais aussi en frémissant, quand j'avais 17 piges. Et puis à présent que j'en ai 44, je souris et y trouve encore bien des choses... et pas seulement des souvenirs nostalgiques... ^^
RépondreSupprimerEn tout cas, le gars avait déjà tout pigé... avec son "château" en Italie, ses vignes et ses oliviers... il disait, au milieu des années 80 : "Je travaille encore pour que mes enfants n'aient jamais de Patron." Il est né en 1916, tout de même. Son fils, à ce qu'on m'a dit, vote à droite. ^^
Si, si, il y a des tendances, y'a même des anars "capitalistes" (ou que les autres tendances accusent comme telle, ou fascistes, c'est ça qui est bien , c'est une grande famille.
RépondreSupprimerSi je puis me permettre, ce petit site, engagé à gauche, mais nobody's perfect, hein (vous fâchez pas, les LB, je n'ai pas trahi, je plaisante!), explique assez bien les différentes tendances :