Je suis entré dans ce roman à reculons, stupidement persuadé (mais par quoi ? par qui ?) que Maupassant ne valait que par ses nouvelles et n'était pas romancier. Reculons encore alenti par le fait que le hasard d'une soirée télé m'avait fait voir une adaptation – point trop calamiteuse – d'Une vie, il y a un mois ou deux. Donc, durant les cinquante premières pages, ennuyé par l'impossibilité même de se raccrocher à l'intrigue, à l'histoire, la trame (appelez donc ça comme vous voudrez) qui m'était connue.
De fait, dans le premier tiers, l'impression dominante a été celle d'une sorte de “délayage poétique”, par rapport aux notations sèches, étincelantes et coupantes des nouvelles. Ensuite, le roman a dérivé – dérivé au sens marin : il a atteint les hauts fonds. Le temps (impossible apparemment à rendre dans le cadre d'une fiction télévisée, et peut-être même au cinéma, mais je ne demande qu'à être détrompé) s'est mis à jouer son rôle, à devenir le personnage principal, et bientôt le seul agissant, les autres se soumettant à lui, devenant des marionnettes lourdes, lourdes du temps passé, et paradoxalement de plus en plus légères dans le vent qui s'accélère et les emporte. Cette maîtrise du temps, si elle n'est pas souveraine comme chez Tolstoï, est pourtant palpable chez Maupassant, on touche du doigt l'accélération des saisons, on hume parfaitement leurs odeurs qui finissent par se brouiller.
Et, soudain, vingt pages avant la résolution, je suis sorti du roman. Précisément à la scène où, devant se séparer du château familial, la pauvre héroïne, la si peu héroïne, monte au grenier pour y découvrir les souvenirs empoussiérés de ceux de sa race qu'elle n'a même pas connus : ses grands-parents. Et le visage de mes arrière-grands-parents m'est alors revenu.
Pas ceux que j'ai connus, étrangement. Ceux-là, mes “arrière” maternels-maternels, Julia et Charles, sont restés bien tranquilles. Non, ce sont les maternels-paternels (comprenez : les parents de mon grand-père maternel) qui ont ressurgi – et notamment lui, que ma mère appelle “grand-père Léon”, et dont je n'ai jamais connu que la moustache noir et blanc, sur le buffet de ma grand-mère Suzanne, au 13 du boulevard Fabert, à Sedan, Ardennes. Quant à sa femme, mon arrière maternelle-paternelle, j'ai non seulement oublié son prénom, mais même son visage, pourtant en vis-à-vis oblique du cadre de Léon sur le buffet, juste derrière la boule de verre enneigée coiffant Notre-Dame de Lourdes, se dérobe obstinément.
Il me reste 20 pages à lire d'Une vie. Ce sera pour ce soir ou demain midi : ce qui doit s'accomplir s'accomplira, et rien ne presse – le temps a déjà fait son œuvre.
De fait, dans le premier tiers, l'impression dominante a été celle d'une sorte de “délayage poétique”, par rapport aux notations sèches, étincelantes et coupantes des nouvelles. Ensuite, le roman a dérivé – dérivé au sens marin : il a atteint les hauts fonds. Le temps (impossible apparemment à rendre dans le cadre d'une fiction télévisée, et peut-être même au cinéma, mais je ne demande qu'à être détrompé) s'est mis à jouer son rôle, à devenir le personnage principal, et bientôt le seul agissant, les autres se soumettant à lui, devenant des marionnettes lourdes, lourdes du temps passé, et paradoxalement de plus en plus légères dans le vent qui s'accélère et les emporte. Cette maîtrise du temps, si elle n'est pas souveraine comme chez Tolstoï, est pourtant palpable chez Maupassant, on touche du doigt l'accélération des saisons, on hume parfaitement leurs odeurs qui finissent par se brouiller.
Et, soudain, vingt pages avant la résolution, je suis sorti du roman. Précisément à la scène où, devant se séparer du château familial, la pauvre héroïne, la si peu héroïne, monte au grenier pour y découvrir les souvenirs empoussiérés de ceux de sa race qu'elle n'a même pas connus : ses grands-parents. Et le visage de mes arrière-grands-parents m'est alors revenu.
Pas ceux que j'ai connus, étrangement. Ceux-là, mes “arrière” maternels-maternels, Julia et Charles, sont restés bien tranquilles. Non, ce sont les maternels-paternels (comprenez : les parents de mon grand-père maternel) qui ont ressurgi – et notamment lui, que ma mère appelle “grand-père Léon”, et dont je n'ai jamais connu que la moustache noir et blanc, sur le buffet de ma grand-mère Suzanne, au 13 du boulevard Fabert, à Sedan, Ardennes. Quant à sa femme, mon arrière maternelle-paternelle, j'ai non seulement oublié son prénom, mais même son visage, pourtant en vis-à-vis oblique du cadre de Léon sur le buffet, juste derrière la boule de verre enneigée coiffant Notre-Dame de Lourdes, se dérobe obstinément.
Il me reste 20 pages à lire d'Une vie. Ce sera pour ce soir ou demain midi : ce qui doit s'accomplir s'accomplira, et rien ne presse – le temps a déjà fait son œuvre.
Vous découvrez les romans de Maupassant ? Il n'était que temps. Et à mon avis, "Une vie" n'est pas le meilleur.Et tout cas, le moins bon vaut tous les Marie Ndiaye.
RépondreSupprimerDécidément Francis, cette Marie N'Diaye ennuie tellement qu'il semble que personne n'ait besoin de la lire pour la clouer avec des haleurs à un poteau de couleur, vous disiez dans le post précèdent, à elle consacrée,ne surtout pas vouloir la lire, l'auriez-vous fait entretemps pour vous permettre votre comparaison.
RépondreSupprimerOh, joli billet... qui ramène encore aux morts, nos pauvres morts...
RépondreSupprimer@henri
RépondreSupprimerZ'avez parfaitement raison,je cherchais un mètre étalon de "non lecture" et ce nom m'est tombé sous la plume bien que je n'aie lu que deux phrases de son roman. Dorénavant, je m'en tiendrai à Marc Levy.
Francis : ben oui... Je ne sais pour quelle stupide raison, j'ai longtemps résister à Maupassant.
RépondreSupprimerMais il est très agréable, passé 50 ans, de découvrir des écrivains qu'on aurait normalement dû lire à 18...
Suzanne : Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs.
Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres...
Vous lisez seulement "Une vie", à votre âge...
RépondreSupprimerRemarquez Didier, votre honnêteté vous honore, car il est bien évident que tous vos commentateurs (et lecteurs) ont déjà lu ce roman - moi le premier...
(Je rejoins Suzanne : joli billet qui ramène à nos pauvre morts...)
Christophe : j'ai passé l'âge de faire croire que j'ai lu ce que je n'ai pas lu. Et j'ai des tas d'autres exemples.
RépondreSupprimerSans parler des grands-z'écrivains que j'ai essayé de lire et qui m'ont rejeté comme une vieille merde.
Il me vient à l'idée (en souriant) que prendre de la distance avec les "grands-z'écrivains" est probablement un signe de sagesse, ou plus prosaïquement d'un sortir de l'adolescence.
RépondreSupprimerBonjour ! Vous, je vous linque (link) ou lie car je vous lis. Bref, lu, vu et approuvé.
RépondreSupprimer@Didier Goux
RépondreSupprimerMais je l'ai lu, "Une Vie", vers 18 ans !
J'avais trouvé cela ennuyeux au possible, surtout comparé à ses nouvelles.
Mais maintenant que les passages me reviennent en tête, je me dis que ce n'était pas du tout écrit dans le même esprit que les nouvelles...
Bonjour,
RépondreSupprimerIl n'y a aucune honte à ne découvrir Maupassant romancier que très tard, le tout étant de le lire. A mon avis, Bel-Ami est son meilleur roman. Une vie est encore trop flaubertien.
Bonne Lecture
Mathurine