samedi 26 mai 2012

Nom de personne : le prénom

« Est-ce que le nom a disparu, dans les classes ? J'en ai bien peur. J'appartiens à la dernière génération du nom. Or, pas de responsabilité, donc pas d'autorité, possibles sans le nom. »

(Entrée du lundi 13 février, p. 78.)

Eh bien non, je proteste vigoureusement : la dernière génération du nom, s'il en est une, ce ne peut être que la mienne ! Car je me souviens fort bien que, jusqu'à la fin de mes études secondaires, au milieu des années soixante-dix, aucun professeur n'aurait appelé un élève par son prénom, ni même songé à accoler celui-ci au nom : le prénom, dans les lycées de cette époque, n'avait absolument aucune existence, ne pouvait sans doute même pas s'imaginer à quel point il allait devenir hégémonique, et en si peu de temps. Pour nos professeurs, nous étions Goux – pour les garçons – ou Mlle Goux, rien de moins, rien de plus.

Du reste, et cela va peut-être sembler peu croyable aux plus jeunes, il en allait exactement de même entre élèves : le nom était la norme, et le prénom ne se substituait à lui qu'à partir du moment où d'éventuels liens d'amitié, en tout cas extra-scolaires, venaient à se tisser. Toutefois, cela ne valait que pour les garçons ; les filles entre elles se donnaient du Béatrice ou du Marie-Hélène longs comme le bras ; et nous-mêmes les appelions par leurs seuls prénoms.  La frontière était donc bien réelle entre les sexes : aux garçons le nom, aux filles le prénom. Et si, finalement, celui-ci a totalement évincé celui-là, aussi bien hors l'école qu'en elle, ce ne doit pas être tout à fait sans lien avec le “devenir-femelle” de la société tout entière.


Ajout de Quatre heures – Camus reprend un peu plus loin (page 116) le même thème ; et c'est, en quelque sorte, pour confirmer ce que je disais :

« Jusqu'à ce que j'aie vingt-cinq ou trente ans [ce qui correspond à la période que j'évoque plus haut, ndmm], le prénom n'avait d'existence qu'au sein de la famille (où tout le monde portant le même nom, il fallait bien distinguer). En dehors de ce cadre -là, et surtout entre les hommes, le prénom était à peu près inconnu. On appelait et on désignait les camarades de classe par leur nom, les camarades de régiment aussi je suppose, les collègues, les confrères, les compagnons de voyage, de sport, de faculté, de travail. Je me suis parfois essayé à proroger ces rites, mais c'est impossible : les intéressés sont furieux, on passe pour un fou. »

43 commentaires:

  1. Je plussoie. J'ai même souvent été appelé Étienne par des gens qui, me connaissant mal croyaient être familiers...

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  2. C'est parler pour ne rien dire pour ce pauvre Renaud, a-t-il peur qu'on le confonde jamais avec Albert?
    Ce sempiternel thuriféraire du "c'était mieux avant" s'ingénie à trouver le mauvais dans l'école d'aujourd'hui, jusque dans l'usage du prénom.Y va-t-il encore à l'école? Qu'est-ce qu'il en sait? Il l'a vu sur TF1. Nous avons des intellectuels de plateau télé aujourd'hui. Lui et Finkelkraut, assis sur leur canapé, considèrent le monde, et pontifient leurs âneries, en regardant "Secret story".
    Eh, Renaud, vous savez quoi? Les philosophes, "c'était mieux avant"

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    1. Oui, c'était mieux avant. Mais ce sera pire demain, alors, en un sens, aujourd'hui n'est pas si mal.

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  3. Parfaitement ! Il en était de même à la Fac (où j’étais lors que vous étiez sans doute en CE2…) Là, on appelait bien les filles par leur prénom. Mais chez les mecs, même liés par les pires complicités de beuveries, coucheries, et/ou compagnonnages nocturnes jugés aujourd’hui politiquement nauséabonds…, c’était le patronyme de rigueur. Fondamentale distinction entre les sexes ! Quand cela a-t-il basculé ? Après Giscard, après Mitterrand ? La déprime d’entendre des curés en pull mohair bavasser sur des défunts qu’ils ne connaissaient même pas à coup de Gérard par ci, Gérard par là… Et le tutoiement indispensable dans l’open-space de l’Imprécateur (seulement entre égaux hiérarchiques, faut pas déconner…) Préface indispensable à l’hermaphrodisme d’Etat…

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  4. Je viens de donner un petit ajout à ce billet.

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  5. Renaud Camus exagère un peu. Dans les années 80, on s'appelait encore par le nom, quoique l'usage s'en perdait petit à petit. J'y vois l'influence des médias, des artistes, des séries télé. Comme la télévision a peu à peu remplacé les parents et l'école dans leur rôle éducatif, il n'est guère étonnant que le prénom ait fini par supplanter le nom. Une chose qui m'avait choqué quand la télé réalité est arrivée (Loft Story en 2001), c'est l'usage exclusif du prénom pour désigner les participants. Qui connaît le nom de Loana ? Pas grand-monde. J'ai l'impression que nous sommes tous des prisonniers du Loft.

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    1. Même moi, je ne parviens pas à retrouver son nom (en ce moment, en tout cas). et pourtant, dieu sait le nombre de feuillets que j'ai pu noircir à propos de cette pauvre fille…

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  6. Moi, on m'a toujours appelé "le gros" (je ne sais pas pourquoi), alors...

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    1. Moi, on avait très envie de m'appeler “le gros”, mais la plupart se retenait, allez savoir pourquoi.

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  7. Je ne pense pas que la féminisation de la société y soit pour quelque chose. Il faut aussi noter l'influence américaine où le prénom se substitue rapidement au nom pour établir une "meilleure" relation entre individus. C'est la même démarche pour l'abandon rapide du tutoiement alors qu'auparavant le passage du tu au vous était en quelque sorte une conquête de l'amitié.
    Dr WO

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    1. « auparavant le passage du tu au vous était en quelque sorte une conquête de l'amitié. »

      Me d'mande si ça n's'rait pas plutôt l'inverse…

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  8. Correction : le passage du VOUS au TU.
    Dr WO

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  9. J'ai même eu droit au "Monsieur" précédant le patronyme. Et se faire appeler Monsieur à onze ans, ça fait bizarre. Faut dire que c'était dans les années 60.
    N'en déplaise à Monsieur Léon qui, à son tour, sera aussi un vieux, il n'y a pas que ça qui était mieux avant.
    Et quand Finkelkraut aura pris sa retraite, je me demande, à part peut-être Onfray, qui on pourra mettre à sa place.
    Bernard Henry Levy ??? Mort de Rire

    Au fait, j'ai aperçu le "Professeur des écoles" (Re-mort de rire) de mon petit fils. Pantalon rouge, chaussures vertes, le dernier coiffeur qu'il a vu doit être centenaire.

    Duga
    Vieux depuis longtemps. Faut quand même avouer que j'étais mieux avant

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    1. Si mes souvenirs ne me trompent pas, le “monsieur” avant le nom, c'était plutôt quand on allait se faire engueuler…

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    2. C'est vrai aussi et je pense que ça l'est encore Cela se prolonge même dans la vie professionnelle.

      Duga

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  10. Robert Marchenoir26 mai 2012 à 22:10

    De Gaulle :

    "Mais enfin, Allard, vous n'imaginez tout de même pas qu'un jour, un Arabe, un musulman, puisse être l'égal d'un Français! Voyons! C'est impensable !"

    "Et puis, Delbecque, vous nous voyez mélangés avec des Musulmans ? Ce sont des gens différents de nous. Vous nous voyez mariant nos filles avec des Arabes ?"

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  11. Né en 1962, j'ai connu ça. J'en parle d'ailleurs ici : http://koltchak91120.wordpress.com/2010/12/30/itineraire-1/

    Quand je considère comment fonctionne l'école actuelle, oui Léon, je sais de quoi je parle j'ai trois mouflets (encore qu'ils soient en âge de me coller une touille), je regrette cette douce époque. Elle peut paraître sèche et compassée à tous les crétins adeptes du progrès pour le progrès, mais elle était autrement plus vivable.

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  12. Marchenoir: il vous fallait mettre des Arabes dans cette histoire! Vous vous sentez mieux Marchenoir? Qu'est-ce que vous ferez après? Des noirs? Des Juifs? Des homos? Des communistes? Des fonctionnaires?

    M. Koltchack, je ne voudrais pas vous appeler 91120, si c'est votre prénom, mais Camus a l'air d'oublier qu'avant les instituteurs d'aujourd'hui on a appelé les hommes et les femmes par leur prénom depuis que le monde existe: les rois, les papes,les apôtres (avez-vous leur nom?), les déesses, Marie,Jésus (c'est vrai que donner un nom de famille à celui-là, c'était peut-être un peu difficile), les uns, les autres, et je vais vous dire, je m'en fous, qu'on les appelle par leur nom ou leur prénom mais en revanche ce qui me gène chez Renaud, pardon chez M.Camus, (pas Albert, Renaud, navré de citer des prénoms) c'est que n'importe quoi est prétexte à baver sur la société dans laquelle il vit qui a sans doute beaucoup de défauts mais ceux qu'il lui trouve sont si ridicules et si prévisibles quant à l'idéologie raciste qui les soutient (puisque c'est ce qu'en retient au fond Marchenoir!)que ça en devient franchement ridicule.
    Bon Dieu, qu'il critique c'est bien, qu'il râle c'est parfait, qu'il écrive, il n'est pas si mauvais, qu'il en fasse une politique et une morale c'est grotesque!.

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  13. 91120, c'est le code postal de la commune où je vis.

    Votre argument sur les rois, etc. est crétin. Lorsqu'on s'adressait à Sa Majesté on ne lui donnait certainement pas du "Louis". Pour le reste, je partage pas mal des idées de Renaud Camus sur notre société.

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    1. Tiens c'est vrai on a aussi perdu cette si belle façon de se saluer: majesté, monseigneur, mon père, ma soeur, etc. etc.tout se perd, mon Dieu quel monde stupide!

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    2. C'est vrai que les usages aujourd'hui, ça tient, au mieux, sur une feuille d'OCB.
      Gain de temps, simplification, étoussa.

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  14. Sans parler des reportages sportifs, surtout dans les sports où les protagonistes sont peu nombreux, genre tennis, patinage, même vélo... Autrefois, Lendl affrontait McEnroe, aujourd'hui, c'est Rodjeur contre Rafael, Gaël contre Djo-Ouilfrid, Marion contre Serena... Et il y a encore deux ans, sur le tour de France, on avait les commentaires de Laurent (Fignon) et Laurent (Jalabert), alors qu'il y a 50 ans jamais on n'aurait parlé de la rivalité entre Jacques et Raymond. Et quelle merveille de voir patiner Braillane...
    Sans parler non plus de ce truc inimaginable quand j'étais jeune, le tutoiement et les prénoms entre politicards, Martine et François, par exemple...

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    1. Le patineur a cependant déclaré à la télé (il y a quelques jours) que ça se prononçait 'Brillant" comme l'avait voulu sa maman. Ce sont les journalistes qui l'ont rebaptisé Braillane et qu'il ne les corrige plus, par lassitude...

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  15. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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    1. Quand on termine un commentaire par : « Bref, c'est signé… », eh bien on signe, précisément !

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  16. Comme disait Cocteau << A l'impossible, je suis tenu. >>

    Renaud Camus c'est à Jean Marais que cet homme m'a toujours fait penser.

    Cette première de couverture est tout à fait prodigieuse, autant dans sa topographie que dans sa structure, son fondement et son architecture, elle émane de son ombre comme un linceul pourrait le présager en son titre.

    Un art peut commun que l'art de la lettre, aussi symétrique qu'une langue morte joue l'équilibriste au trapèze de la vie, assise au bord de sa liberté, le buste relevé, le torse fier et généreux du haut de son sol où la dalle a inscrit ce qui n'est plus, elle enracine l'oubli... jusqu'à ce nouveau cycle de la négociation !

    Cordialement,

    Sandra Personne

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  17. Tout ceci est très mignon mais tout ceci pour dire quoi? Que le prénom a remplacé les noms et qu'en tirant sur la ficelle on en concluera ceci ou cela? Et alors? C'est le problème de Camus ou de Goux qui, tels Bouvard et Pécuchet,sont assis face à la contemplation d'un monde qu'ils voudraient immobiles. On les aime seulement pour la part de nostalgie que chacun porte en soi. Ils finiront par coucher par écrit leur petit émerveillement sur leur première gorgée de bierre. Ce qui est par ailleurs fort respectable.Dans un siècle ils nous diraient combien le nôtre était merveilleux.

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  18. "Immobiles" avec un s... Zut, faudrait que j'apprenne à me relire!

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  19. Vous étiez surement dans des classes dépourvues de quadruplés, ce qui aurait donné un usage au prénom

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  20. Quand j'étais en classe préparatoire il y a dix ans, notre vieux professeur d'histoire médiévale appelait (non, aboyait) tout le monde par son nom de famille, garçons et filles.

    J'ai un collègue en collège qui donne du "monsieur" et du "mademoiselle" cérémonieux à ses sixièmes, c'est tout à fait réjouissant de les décontenancer de la sorte les premiers jours de leur vie au collège.

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  21. De toute façon, à cause de la généralisation de l’emploi du pseudonyme sur Internet (ou grâce à cela, c’est selon), ces questions de noms et de prénoms pourraient devenir complètement obsolètes. Il est tout à fait possible, déjà, et apparemment sans ridicule, de se faire appeler sur la Toile d’un faux nom de son choix, dont on peut d’ailleurs changer autant qu’on le souhaite, comme j’ai fait moi-même, qui me suis longtemps nommé Straton avant de m’appeler Antire… Je propose qu’on reconnaisse comme un droit de l’homme la liberté de se donner à soi-même le nom de son choix. La vie pourrait en devenir tellement plus divertissante ! On pourrait déployer pour soi la même inventivité qu’on met à trouver des noms aux animaux de compagnie. Je me souviens ainsi d’une amie qui avait donné à sa petite chatte le nom de Clito. N’était-ce donc pas charmant ?

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    1. Appeler sa chatte clito, c'est abuser de la synecdoque.

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    2. Etant assez peu familier de l'anatomie féminine, je n'ai d'autre choix que de vous croire sur parole.

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    3. Robert Marchenoir27 mai 2012 à 22:24

      En tous cas, c'est un bon truc mnémotechnique pour se rappeler le sens de synecdoque. Maintenant, je sais ce que ça veut dire.

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  22. Bon tous ça c'est vrai ,je suis né en 52,et comme vous je trouve ça navrant, mais le pire je crois ce sont ces soirées ou vous faites de nouvelles connaissances,et vous repartez avec un catalogue de prénoms;
    -Bonsoir,je suis François ... mon épouse Caroline
    -très heureux moi c'est Christian mon épouse Sylvie
    Et le lendemain... ben vous avez des prénoms...

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    1. Ce qui a de navrant, ce sont les glandus qui vont "en soirées" pour se faire des connaissances.

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    2. Non, si c'est vraiment dans l'intention de se les faire, on peut comprendre. À dire vrai, ça me semble même être le seul motif valable d'aller “en soirées”.

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    3. Et picoler à l'oeil, hein ! Vous oubliez ?

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    4. Un rêve de parasite.

      Pour ma part, je préfère picoler seul ou en compagnie de quelques vrais amis. D'une part, parce que cela me permet de ne pas avoir à supporter la compagnie de fâcheux et autres bavards impénitents, sans compter qu'il pourrait se trouver des socialistes dans le lot. D'autre part, parce que cela me permet de ne consommer que de vieux single malt et des fine champagne hors d'âge.

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    5. Pour ma part, je préfère boîte au comptoir, ça permet ne noyer les cons dans la masse.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.