Dans la première partie (L'Héritage de la guerre) de son livre, l'historien britannique consacre un chapitre à ce qu'il nomme la “destruction morale” de l'Europe, avec son corollaire : la crue de la délinquance sous ses différentes formes. On y apprend sans trop de surprise que, entre 1939 et 1945, les chiffres des délits connurent une hausse spectaculaire, à mesure que les combats se propageaient sur le continent. Par exemple, les affaires de vols triplèrent en France durant cette période. Ce qui est plus étonnant, c'est que, durant la même période, ils quadruplèrent en Suède, pays pourtant neutre ; et que, dans certains cantons suisses, celui de Bâle en particulier, la délinquance juvénile fut multipliée par deux, toujours en ces mêmes années. Lowe avance l'hypothèse que l'explication se trouverait dans le profond sentiment d'angoisse qui s'est répandu sur l'Europe en même temps que les hostilités, se propageant telle une infection microbienne sans épargner aucun territoire, y compris ceux qui étaient pourtant préservés de l'invasion et des destructions. La suite est au moins aussi intéressante ; je cite Lowe :
« Dans la plus grande partie de l'Europe occupée, le vol devint si commun qu'il cessa complètement d'être un crime. De fait, beaucoup de gendarmes, de policiers et d'autorités locales ayant été remplacés par des séides inféodés aux nazis, le vol et d'autres délits furent souvent élevés au rang d'actes de résistance. […] Rien n'empêchait de justifier toutes sortes de vols et de pratiques de profiteurs, surtout a posteriori, car ces affirmations sonnaient souvent vrai. En vérité, c'était tout l'univers moral qui marchait sur la tête : des actes naguère frappés d'immoralité étaient maintenant élevés au rang d'un devoir moral. »
Nous n'en sommes évidemment pas à ériger le vol et les déprédations en “devoir moral” (la barbarie de l'Europe n'en est encore qu'au stade “folklorique”…). Il n'en demeure pas moins que, de plus en plus, lorsque les policiers se mêlent d'arrêter des casseurs de boutiques, des détrousseurs de passants ou des pilleurs d'entrepôts, ceux-ci savent bien qu'ils ont toutes les chances d'être immédiatement remis en liberté – avec ou sans condamnation – par les enrobés de Mme Taubira ; et quand un ministre de l'Intérieur se permet d'appeler bousculade les violences et pillages qui embrasent tel quartier de Paris, il envoie à ces prédateurs ce que le jargon moderne appelle un “signal fort”. Du reste, si le pillage n'est pas encore un devoir moral, il n'entraîne déjà plus de flétrissure sérieuse pour ses auteurs. À chaque nouvelle flambée, les journalistes parleront mécaniquement d'exclusion, de précarité, de chômage et – bien entendu, c'est quasiment obligatoire – de “racisme”. Et l'on a pu voir, il y a quelque temps, un blogo-militant gauchiste expliquer doctement qu'il ne fallait pas s'étonner (et encore moins s'indigner, a-t-on compris) de ce que de telles déprédations aient lieu, dans la mesure où ces magasins pillés avaient l'outrecuidance d'exposer dans leurs vitrines des objets que les jeunes-à-guillemets qui les ont détruits ne pouvaient pas se payer.
On peut se demander si, au contraire des ruines de ses villes qui ont été relevées, l'Europe s'est jamais remise de cette destruction morale dont parle Lowe.
Ah ! Mon p'tit m'sieur ! La décadence vous dis-je ; la décadence !
RépondreSupprimerLa sensation de décadence existe depuis que le premier réac, c'est à dire le premier vieux ronchon ait vu le jour.
Ma grand mêre se moquait des vieux barbons de son époque, nés en 1850 qui rugissaient contre la jeunesse dépravée et la perte des valeurs ! :-D
Les seuls maux ridicules de ce bas monde réactionnaire sont la sensation que tout fout le camp avec les nouvelles générations et la bêtise des vieux croulants persuadés d'assister à la fin du monde.
Grotesquement grotesque !
CQFD.
Allongez-vous et parler moi de votre grand-mère…
SupprimerArgument stupide habituel.
SupprimerLes gauchistes qui sortent ce copié-collé de leur tiroir (nul besoin d'avoir recours au cerveau) croient triompher, parce qu'ils sous-entendent qu'à partir du moment où quelqu'un a déjà dit ça il y a, mettons, deux mille ans, ça prouve bien que c'est faux.
Ils escamotent commodément l'hypothèse la plus vraisemblable : que la décadence soit bien réelle aujourd'hui, et qu'elle ait été bien réelle il y a deux mille ans (ou à n'importe quelle époque à laquelle ils font référence).
La civilisation grecque antique, par exemple, a bel et bien disparu. Je cite cet exemple, parce que les gros malins gauchistes nous citent souvent les déplorations de Socrate, rappelant celles d'aujourd'hui, pour prouver que les réactionnaires contemporains ont tort.
Ils partent du principe que l'humanité est sur une ligne de progrès continu, qu'hier est moins bien qu'aujourd'hui et aujourd'hui moins bien que demain.
Mais c'est faux. L'histoire est cyclique. Les civilisations naissent et meurent. Des périodes d'obscurantisme succèdent à des périodes de progrès.
Cette évidence a disparu dans le nuage étouffant du marxisme culturel vaporisé à haute dose par-dessus tout le pays, avec son dogme idiot du "sens de l'histoire".
Cui-Cui : ce billet ne parlait en aucune façon de “décadence”, mais de destruction, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. À vrai dire, les deux sont même parfaitement antinomiques. Mais je n'ai vraiment pas le temps de vous apprendre à lire cette semaine, vous m'en voyez navré.
SupprimerPour le reste, pleinement d'accord avec ce que dit Marchenoir.
Mon pauvre Marchenoir...
SupprimerVous avez une vue tellement simpliste de l'histoire que j'ai un peu pitié pour vous.
L'incohérence de votre pensée est aussi hallucinante que votre défense de l'ultralibéralisme actuel tout en déplorant la perte des valeurs nationalistes !
C'est un peu comme si une poule en liberté pleurait sur les dangers courus par la présence de renards en goguette.
L'ultralibéralisme nie les frontières et hait les nationalismes. Il aime l'universalité des goûts et des pensées pour mieux commercer.
En histoire, je ne crois pas aux périodes que vous appelez à tort "obscurantistes" : il s'agit simplement d'un jugement de valeur dont les réactionnaires illustrent sans cesse leurs démonstrations. L'art est souvent florissant mors de ces époques abhorrées.
Quant à vos prétendus cycles historiques, ils ne signifient pas grand chose tant nos civilisations sont trop récentes au regard du temps... On verra dans 100.000 ans si vos doctes et péremptoires conclusions sur l'histoire sont les bonnes.
En tout cas, un chose est certaine : votre collègue Goux et vous-même, manquez singulèrement de recul et de modestie !
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L'ultra-libéralisme a l'immense avantage de réduire le poids des cui-cuis à sa grandeur réelle, celle d'une crotte de fourmi.
SupprimerEt oui, le progressisme permet aux idiots d'avoir l'impression d'être intelligents, et aux délinquants l'impression d'être de bons citoyens.
RépondreSupprimerBref, une belle société de merde recouverte de rose. La sorcellerie dans toute son oeuvre, et bien sûr, pour mieux servir les Français.
Longue vie aux menteurs!
Euh, Cui-cui, avancer l'hypothèse que quelque chose s'est cassé avec la guerre et l'occupation nazie, et qu'on en paie encore la perte, c'est réac ?
RépondreSupprimerÉmettre une opinion non conforme à celle de Maître Cui-cui, formuler une hypothèse qu'il se garderait bien d'envisager pour sa part, tenter de relier entre eux des événements distants dans le temps pour voir s'ils ne découleraient pas un peu l'un de l'autre : oui, évidemment que tout cela est ignoblement réac ! Faut vraiment tout vous dire, à vous…
SupprimerQuelque chose s'est cassé, on ne sait pas quoi et les effets durent depuis 70 ans ?
SupprimerCela pourrait être les défenses contre ce dont on n'a pas le droit de parler ?
Mais ne vous inquiétez donc pas !
RépondreSupprimerHollande, qui sait ce que "du passé faisons table rase" veut dire, va nous arranger tout ça !
De fait, le nazisme en légalisant le crime, la violence, le vol à condition qu'il s'applique à une certaine catégorie d'individus, a perverti le sens même de la justice.
RépondreSupprimerMais le nazisme a été écrasé, vaincu, et ses lois injustes ont été abrogées, ses criminels ont été jugés.
Si on considère que l'ordre moral reste perverti par ce qui s'est passé, il faut considérer qu'il s'agit d'une influence subtile, sub-consciente, symbolique, qui gagnerait donc à être mise en lumière et explicitée.
dsl: oui, et ce n'était pas une perversion passagère due à un état de guerre. Les nazis voulaient bâtir un Reich de mille ans.
SupprimerHéritage.
RépondreSupprimerLe 14 juillet 1947, 4000 motards arrivent à Hollister, petite bourgade de Californie et la mettent à sac. Le 12 février 1953 débute le tournage de « L'équipée sauvage », Marlon Brando y interprète le rôle culte de Johnny. On connaît de l'impact du film, inutile d'insister.
Héritage. Stockholm. 31 décembre 1956.
RépondreSupprimer« Le soir du 31 décembre, comme le Le Monde l'a signalé, cinq mille jeunes ont envahi Kungsgatan - l'artère principale de Stockholm - et pendant près de trois heures ont "tenu la rue", molestant les passants, renversant les voitures, brisant les vitrines et tentant finalement d'ériger des barricades avec des grilles et des montants arrachés de la place du marché la plus proche. D'autres groupes de jeunes vandales renversaient les vieilles pierres tombales qui entourent l'église voisine et jetaient du haut du pont qui enjambe Kungsgatan des sacs de papier pleins d'essence enflammée. Toutes les forces de police disponibles furent amenées en toute hâte sur les lieux. Mais leur nombre dérisoire - une centaine d'hommes à peine - rendait la tâche difficile. Ce n'est qu'après plusieurs charges, sabre au clair, et des luttes au corps à corps à dix contre un, que les policiers purent rester maîtres du terrain. (...) Leur âge variait entre quinze et dix-neuf ans. « C'est la manifestation la plus grave qui se soit jamais déroulée dans la capitale », a déclaré le préfet de police de Stockholm.
(...)
Ils (ces événements) présentent un caractère presque « kafkaïen » d'angoisse. Car ces mouvements ne sont ni concertés ni prémédités ; la manifestation n'a lieu ni pour quelque chose ni contre quelqu'un. Inexplicablement, des dizaines, des centaines, le lundi des milliers de jeunes gens se trouvent là. Ils ne se connaissent pas entre eux, ils n'ont rien de commun que leur âge, ils n'obéissent ni à un mot d'ordre ni à un chef. Ils sont, dans toute l'acception tragique du terme, des « rebelles sans cause ».
Eva Freden. (Le Monde, 5 janvier 1957. Extrait.) in Roger Caillois, Les Jeux et les hommes.
Voici comment Caillois introduit cet extrait :
« L'épisode en lui-même est minime, sans lendemain. Mais il montre à quel point l'ordre institué demeure fragile justement à proportion qu'il est strict, et comment les puissances de vertige sont prêtes à reprendre le dessus. »
Il y a des puissances de vertige qui sont entrées dans Paris, qui ne viennent ni de Germanie ni de Croatie, avec la complicité de ceux dont l'absence de règle est devenue la règle.