mercredi 13 janvier 2010

Un jour le diable fit une java (en studio)

À Marie-Georges Profonde

Évidemment, tout le monde connaît la Java du Diable de Trenet, au moins la mélodie : tatitata – tatitata... Les paroles dans leur intégralité, c'est déjà moins répandu : à part Marie-Georges et moi, n'est-ce pas ? Mais ce n'est pas le sujet, comme dirait Nicolas.

Le sujet, c'est que je viens de découvrir par hasard (évidemment, par hasard...) où Trenet avait pris l'inspiration de cette chanson : chez Marcel Aymé ; dans une nouvelle de juillet 1933, intitulée Le Diable au studio, et finalement reprise dans le recueil posthume, La Fille du shérif. Qu'on ne me dise pas qu'il pourrait s'agir d'une coïncidence (enfin, oui, la coïncidence est toujours possible, mais je n'y crois guère) : contrairement à la plupart des chanteurs, gens d'inculture notoire et éclatante, Trenet n'était pas ami avec Max Jacob, Jean Cocteau et d'autres QUE pour des raisons de sexualité minoritaire.


La nouvelle de Marcel Aymé s'ouvre sur cette phrase : « Une année que le le Bon Dieu était en vacances, le diable fit des siennes sur la terre un peu plus qu'à son habitude. » En clair, il plante sa zone, exactement comme, une petite vingtaine d'années plus tard, le fera celui de Trenet. En l'occurrence, il s'introduit dans un studio de cinéma, le Royal Écran, où se tourne l'édifiante histoire d'une humble fleuriste, pauvre et ingénue, en butte aux manœuvres égrillardes de vieux richards, mais finalement sauvée par l'amour d'un jeune peintre aussi pauvre que talentueux et beau comme un ténor d'opéra italien.

Un soir, à l'issue d'une journée de tournage, le diable frappe les trois stars (comme on ne disait pas encore) d'amnésie, mais aussi les seconds rôles, les figurants, faisant croire à chacun qu'il est réellement son personnage du film et l'obligeant à se comporter comme tel, une fois retourné à la vie “hors caméra” : au bout de huit pages, tout le monde ou presque se retrouve en prison, et il faut le retour en catastrophe de Dieu pour empêcher un effondrement général. Dieu qui, du reste, n'est pas capable de faire plus et mieux que de rétablir le statu quo ante, dont aucun des protagonistes ne s'estime satisfait.

Et comme j'ai cité l'incipit de la nouvelle, je ne peux faire autrement que de conclure sur sa dernière phrase, qui concerne les malheureux figurants censés représenter les richards libidineux que le diable, après les avoir rendus fous, a envoyés méditer un temps dans les culs-de-basse-fosse de la République : « Cependant, les vieux melons, qui se tenaient modestement à l'écart, s'entretenaient des mérites de leurs épouses et d'une certaine façon d'accommoder les choux-fleurs qui en facilitait la digestion. »

Magie du cinéma.

5 commentaires:

  1. Qu'est-ce que je viens foutre dans ce billet, moi ?

    RépondreSupprimer
  2. J'avais envie de compromettre quelqu'un...

    RépondreSupprimer
  3. Il faut se méfier avec les livres de Marcel Aymé, on peut se faire enfermer dedans.

    La fille du Shérif... il me semble, si mes souvenirs sont bons, que Pérec a recopié un long passage d'une de ces nouvelles dans "La vie mode d'emploi." Marcel Aymé ne pourrait pas ne pas être français.S'il y avait un adjectif inverse de "franchouillard", pour exalter ce qui peut être typiquement, ruralement, très anciennement français, on pourrait en décorer cet homme là, qui a refusé la légion d'honneur.

    Il a écrit une chanson "Ne tirez pas le Diable" (chantée par Guy Béart, je n'arrive pas à retrouver les paroles)

    RépondreSupprimer
  4. Le contraire de "Franchouillard" pourrait être "Vieille France"...

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.