jeudi 31 octobre 2013

Dernier voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon




Les Eaux territoriales, le livre d'Eugène Nicole que j'ai reçu avant-hier et dont j'ai lu environ les deux tiers, est tout à fait prenant, poignant par instants, même, mais à condition d'avoir préalablement lu L'Œuvre des mers, dont il est le prolongement, ou plutôt une sorte d'addendum, de codicille. J'ai un peu l'impression, moi aussi, comme l'auteur, de revenir à Saint-Pierre-et-Miquelon après une assez longue absence, et je ne suis pas loin d'éprouver un commencement de nostalgie face à tout ce qui a disparu, changé, etc., depuis mon précédent passage. J'ai par exemple été bien étonné de retrouver en prêtre l'ancien instituteur, celui qui fit un assez long séjour dans un hôpital psychiatrique, en métropole, parce qu'il en était arrivé – le théâtre entrant dans la vie et l'annexant – à se prendre réellement pour Jacques Cartier, ce qui n'était pas d'un très bon exemple pour les enfants dont il avait la charge. On notera aussi, avec une certaine tristesse teintée de fatalisme, que, durant ce temps où nous étions occupés ailleurs, Nicole et moi, le théâtre qui donne son nom à cette épopée minuscule, L'Œuvre-des-mers (avec traits d'union, oui, pour le différencier du cycle romanesque qui a pris naissance dans les plis de son grand rideau rouge) a été démoli et qu'il n'en reste plus rien. Du reste, beaucoup de choses, de maisons, de gens se sont évanouis ; et ce qui demeure semble devenu plus petit, resserré, étriqué, à l'image de ces eaux territoriales qui, sous la pression du Canada, se réduisent comme peau de chagrin devant les pêcheurs navrés, pressentant leur disparition prochaine, leur évanouissement dans les brumes de juillet. Les observant avec discrétion, le lecteur comprend que, cette fois, le rideau de l'Œuvre-des-mers, devenu invisble et impalpable, est en train de retomber pour de bon. Comme nous sommes revenus ici afin de porter en terre le père de l'écrivain, nous sentons bien que, pour lui ni pour nous, il n'y aura plus de nouvelle escale.

11 commentaires:

  1. Et pour une première escale, il faut lire "Les litanies de l'Ile-aux-Chiens" de Françoise Enguehard. Quand il ne restera plus que le souvenir...

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  2. En quoi Jacques Cartier nest-il pas un "bon exemple" ?
    Par qui préféreriez-vous que cet ecclésiastique se fût pris ?
    La Taubira ?

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    1. Disons que le fait que l'instituteur se prenne réellement pour Cartier n'a pas dû semblé tout à fait sain aux parents des enfants à lui confiés…

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  3. Quand tout se délite et que l'Apocalypse approche, reste la possibilité d'une île. C'est ce qu'avait envisagé Céline lorsqu'en 1938 il débarque à Saint-Pierre et s'installe à l'hôtel Robert. De cette courte escale en territoire sauvage, battu par les vents, il gardera le souvenir intact jusqu'à sa mort.

    Lettre à Mourlet, 26 octobre 1949.
    « Je reste médecin et écrivain attiré irrésistiblement par l'hôpital de Saint-Pierre et la poésie des Bans et l'anachronisme patriotique qui m'attache à ces cailloux... parcelle glacée de notre Empire Canadien... (de notre grandeur !) (...) En plus je ne sais quoi me dit que ces cailloux sont tombés du Ciel pour quelque raison... »

    Lettre à Marie Canavaggia, mai 1957.
    « Au prochain ouvrage j'irai me reposer à St Pierre Miquelon que je connais bien, j'ai l'âge, et tous les droits ! J'enverrai les épreuves par "bouteilles à la mer" les recevra qui pourra ! Ne sera-ce pas poétique ? »

    Céline ne sera jamais gouverneur de Saint-Pierre-et-Miquelon, cette plaisanterie.

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    1. Nicole fait une allusion à Céline, dans le livre dont je parle.

      (C'est curieux, d'ailleurs, la réunion de ces deux écrivains ayant pour noms des prénoms féminins…)

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  4. Belle incitation à lire Nicole. L'Œuvre des mers n'est pas un livre nostalgique. Peut-être le suivant l'est-il, mais c'est presque dommage, Boutros, de citer un autre livre avec Terre-Neuve pour cadre, si vous avez aimé qu'on vous raconte Terre-Neuve, il y a d'autres livres qui le font aussi... Non non non. C'est un livre habité. Nicole est un grand écrivain, son Terre-Neuve aurait pu être partout ailleurs.

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    1. Celui-ci ne l'est pas non plus, nostalgique. Il est vraiment dans le droit fil des précédents.

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  5. Je ne reconnais pas bien les lieux de la photo :

    http://www.cheznoo.net/saint-pierre-et-miquelon/webcams/webcam_redir.php

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  6. C'est assez nostalgique. Même si je préfère les romans qui font rire, je pense que je vais bien aimer celui-ci. Est-ce qu'il y en a dans les bibliothèques ou je dois en acheter?

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    1. Je ne sais pas : allez voir dans les bibliothèques, peut-être…

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.