mercredi 30 octobre 2013

Tu reviendras à Pont-Aven

Jean-Pierre-Marielle et Jeanne Goupil dans Les Galettes de Pont-Aven

Mes plus jeunes amis, de pauvres trentenaires que je plains beaucoup de devoir hanter encore ce monde durant un demi-siècle, et surtout de constater ce qu'il va devenir, ces amis me demandent parfois à quoi ressemblaient réellement les années soixante-dix. (Entrée en matière purement rhétorique : ils ne me demandent évidemment rien, et ils ont raison ; mais je sens souvent, chez eux, une tendance sournoise à idéaliser (ou au contraire à vouer aux gémonies, ce qui revient au même) cette époque qu'ils n'ont pu connaître et à propos de quoi ils fantasmagorisent comme le font les vieux cons de mon âge quand il s'agit de l'immédiat après-guerre, des robes vichy, des choucroutes décolorées et des 4 CV se traînant sur la Nationale 7. Je n'ai rien à leur dire, à leur répondre, sinon ceci : qu'est-ce que vous en avez à faire de ces années-là ? Elles ne vous concernent pas, laissez-les moi, laissez-les nous.

Néanmoins, si vraiment vous souhaitez savoir à quoi ressemblait la France avant qu'elle ne vous vît naître, si vous avez envie de humer son parfum, ses odeurs, ses remugles, alors mettez votre téléviseur sous tension et regardez attentivement les films de Claude Sautet et de Joël Séria. Je ne dis pas que ces deux cinéastes se ressemblent, mais ils parlent de la même époque et, chacun par le bout de sa lorgnette propre, montrent le même monde, entièrement englouti. Laissons, si vous le voulez bien, Sautet de côté pour ce soir.

Joël Séria, nous apprend Wikipédia, est né en 1936. Son premier film, Mais ne nous délivrez pas du mal, est très “prise de tête”, pour parler comme aujourd'hui, et à peu près irregardable – j'en ai fait l'expérience il y a peu. Néanmoins, il est incendié par les 20 ans de Jeanne Goupil, qui représente assez bien les années dont nous parlons, mais qui le fera bien mieux dans un autre film de Séria (lequel, salaud, s'est arrogé la sublime Jeanne pour soi seul, au moins au début : les cinéastes sont vraiment des égoïstes, mais ils ont bon goût – en tout cas le même que le mien), le seul qui lui ait valu succès public : Les Galettes de Pont-Aven. Le film semble porté par Marielle, beauf superbe et tendre, flamboyant, candide aussi, musculeux et fragile, intensément français, terriblement d'époque ; et il l'est en effet : toute la France d'alors passe dans ses sourires de bravache moustachu, ses effets de muscles, son poids de chair ; et cette espèce de peur qui flotte dans ses regards, celle d'un homme qui paraît comprendre qu'il n'en a plus pour très longtemps. Les rodomontades de Marielle, c'est l'adieu que nous adresse la France de de Gaulle, laquelle se refuse encore à mourir, pourtant : il y a, dans ce film, une sorte de volonté de vivre à la fois roborative et déprimante – pour nous qui connaissons la suite –, une exubérance de fin du monde, symbolisée par ces touffes efflorescentes qui prolifèrent aux aisselles et entre les cuisses de Jeanne Goupil.

Séria refera un film avec Marielle, deux ou trois ans plus tard. Il s'appelle Comme la lune. Il ressemble aux Galettes, il est moins bon, il ne jubile plus tout à fait. C'est sans doute que les années soixante-dix ont commencé à pâlir. Et, en plus, il n'y a pas Jeanne.

Qui sait ce qu'est devenue Jeanne Goupil ? Et les années soixante-dix ? Où sont-elles donc ?  Et combien sommes-nous, dans ce sommeil de vieillard qui est désormais le nôtre, à regretter une époque qui n'a peut-être jamais existé ?

30 commentaires:

  1. Jeanne Goupil tournait toujours jusqu'en 2008, nous dit Wikipédia.
    Et elle est restée séduisante...

    Ne parlez pas de vous comme d'un "vieillard", M. Goux.
    Les vieillards n'existent plus!

    L'automne vous rend-il pessimiste?
    :-)

    Thierry Fellman.

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    1. Comme j'ai commencé le billet en évoquant mes amis trentenaires, il était logique que je me peigne en vieillard, par comparaison.

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    2. J'ai vu dernièrement Jeanne Goupil dans un joli film assez récent (2007) "Le Fils de l'épicier" : elle est toujours très bien !

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  2. en effet, l'une des différences majeures entre 2013 et 1973, c'est que désormais , les femmes à l'instar des actrices X américaines sont adeptes de l'épilation intégrale (beuuuuârk, je ne m'y fais pas)

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    1. Mon grand âge et mes 23 ans de mariage font que je n'ai pas eu à connaître cette abomination.

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    2. Robert Marchenoir30 octobre 2013 à 21:57

      J'ai appris, au hasard d'une nouvelle judiciaire de quelques lignes (une famille était poursuivie pour avoir tenté d'imposer cette pratique à sa fille), que ce serait une prescription culturelle dans le monde islamique.

      Autrement dit, nos femmes se seraient d'ores et déjà préparées pour l'envahisseur. En plus de tout le reste.

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  3. en effet, l'une des différences majeures entre 1973 et 2013, c'est que les femmes pratiquent toutes désormais, à l'instar des actrices X d'outre Atlantique, l'épilation intégrale, qui les fait ressembler à des poulets plumés (avec sexe de petite fille, super pour les pédophiles refoulés) et qu'on ne voit plus guère (hélas) de monokinis à la plage, retour du puritanisme oblige.

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  4. Faisant partie de la cohorte de vos "amis" (mais peut-etre que je m'avance en utilisant ce terme) trentenaires je peux vous dire que je suis bien moins fasciné par les années 70 que par les années 60, ce qui ne va pas m’empêcher de regarder les galettes dont j'entends le plus grand bien depuis longtemps. Et puis Marielle... Rien que ça voix pourrait faire douter les plus hétèros d'entre nous de leur véritables penchants...

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    1. Ah, mais je peux aussi vous parler des années soixante ! Mais, comme j'y étais enfant, ma vision en serait sûrement très particulière…

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  5. Ces galettes sont un de mes films préférés. Je le revois chaque fois avec le même plaisir. Tant de scènes provoquent mon hilarité qu'il serait injuste de n'en citer qu'une et injuste de ne pas les citer toutes... La joilie Jeanne semble vous avoir frappé mais j'avoue que Dominique Lavanant en pute bigoudène, Bernard Fresson en peintre paillard, Claude Piéplu en barde itinérant ou la plantureuse et sensuelle Andréa Ferréol (pour ne citer qu'eux) font également beaucoup pour ce film...

    Ces années soixante-dix, furent pour moi si riches de tant d'expérience vécues avec tant d'intensité que porter sur elles le moindre jugement m'apparaît impossible...

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    1. Il passe la semaine prochaine sur l'une des chaînes dont je dispose… et nous allons bien entendu le revoir !

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  6. Merci d'avoir rappelé le souvenir de cet excellent film... qui est aussi un livre, qu'il faudra que je découvre afin de savoir si l'enchantement du cinéma se retrouve dans l'écrit.

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    1. Ah, j'ignorais ! je vais le commander, tiens.

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    2. Il a été novélisé par Joël Séria lui-même, et a paru en "poche" dernièrement, chez De Borée.

      Vous me raconterez vos impressions de lecture!...

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    3. Je devrais le recevoir d'ici quelques jours…

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  7. Revu dernièrement "Comme la lune", qui est très bon (mais si) , et aussi trés "document" sur la France des artisans/commerçants des années '70.
    Et les 'galettes" sont au programme...

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    1. Oui, mais il n'y a pas la Goupil…

      Je l'ai vu aussi, la semaine dernière, et je l'ai bien aimé ; mais moins que les Galettes.

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  8. Heureuse époque où la France dite profonde n'était pas encore privée de dessert.

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  9. Moi, je m'en fous. J'ai entre deux âges...

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  10. Vous me faites penser à ces deux amies qui auraient pu être nées en 1936, elles aussi. L'une dit à l'autre : "Tu te souviens quand on voulait tant ressembler à Brigitte Bardot ? Eh bien, maintenant ça y est !"

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  11. Je comprend pas cet engouement. Les années soixante dix étaient à chier. J'avais pas la queue d'un, les gonzesses tapaient l'ignore, la radio ne passait que de la soupe. Peut être si, pour mes deux paquets de malbarrées a quatre francs, ou le cent soixante dix de moyenne Paris rennes. Sinon je vois pas. Si ils sont si nostalgique z'ont qu'a reluquer TFone ça a pas changé d'un pouce :.)

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  12. "Les années soixante-dix étaient à chier."

    D'accord avec Petit Louis : pour ne prendre que l'exemple du cinéma, dans les années soixante-dix, il fallait quand même se farcir, et parfois dans la même semaine, des nullards du genre de Fellini, Bergman, Kubrick, Bunuel, Sautet, Huston, Visconti, Losey... Aujourd'hui, on a l'embarras du choix entre Besson, Jeunet, Kechiche, Guillaume Canet et Marc Esposito : c'est tout de même une autre classe !

    Et en effet, la radio ne passait que de la soupe, alors qu'aujourd'hui, il suffit d'allumer son poste pour être aussitôt emballé et ravi par tout ce que l'on peut y entendre. Y'en a vraiment ras l'bol de toute cette nostalgie mal placée !

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    1. De plus, les lycéens et les étudiants (pour ne rien dire de leurs professeurs) s'exprimaient à peu près en français.

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    2. J'ajouterai que, si mes souvenirs sont bons, les jeunes filles se montraient bien plus caressantes qu'elle ne le font aujourd'hui. Du moins pour ce qui me concerne...

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    3. En ce qui me concerne, pas beaucoup plus…

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    4. Je suis ravi de voir qu'Emmanuel abonde dans mon sens. Quoique Bergman c'est un des rares ou j'ai pu emballé pendant la séance. La jeune fille a choisie le moindre des maux.
      Bon je vous le concède que les jeunes femmes d'aujourd'hui sont encore plus rébarbative à mon égard , mais c'est du uniquement a cette mode des stéroïdes et autres tablettes de chocolat auquel je refuse de sombrer.
      J'aime mes rondeurs so seventies :.)

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  13. Robert Marchenoir31 octobre 2013 à 12:00

    Ignorant qui est cette agréable personne, j'ai fait une petite recherche, et il s'avère que son premier film fut "Ne nous délivrez pas du mal". D'après le peu que j'ai pu glaner sur Internet, ce film serait, bien que "transgressif", intournable aujourd'hui.

    La seule transgression autorisée est celle que prévoient les normes du moment.

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    1. Il est surtout assez emmerdant, d'après mon souvenir.

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  14. "Mes plus jeunes amis..."

    http://gloryowlcomix.blogspot.fr/2013/03/26.html

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.