vendredi 25 avril 2014

Pendant le Grand Siècle, la beuverie continue…

C'est une scène étonnante, que Marc Fumaroli nous donne à découvrir à la page 276 de son livre consacré à La Fontaine. On y parle de cette société d'écrivains à laquelle le fabuliste s'était adjoint, et qui, après la disgrâce de leur mécène commun, Fouquet, se replie plus ou moins sur elle-même, se tenant à bonne distance de ce Louvre où ils ne sont pas, ou pas encore, en odeur de sainteté. Fumaroli écrit ceci :

« Ils se retrouvent dans des cabarets littéraires, ou bien chez Molière à Auteuil. Ils s'amusent ensemble, après le Chapelain décoiffé, à composer avec Racine Les Plaideurs. Ils sacrifient ensemble à Bacchus, à Vénus. Ils peuvent aussi connaître de singuliers accès de mélancolie, inconnus dans le Paris de Tallemant des Réaux, comme dans cet épisode que racontent Grimarest et Louis Racine, et qui aurait conduit Chapelle, Boileau et Racine à se jeter après boire dans la Seine, à Auteuil, si Molière ne les avait pas reconduits doucement chez lui, où ils s'enivrèrent de plus belle. »

Outre le fait que je n'avais jamais entendu parler que l'unique comédie de Racine pût être le résultat d'une collaboration, et Fumaroli ne dit pas d'où il sort cela, je trouve que c'est un puissant ressort pour la rêverie, que d'imaginer Racine et Boileau, déjà aux trois-quarts saouls, titubant sur les berges du fleuve dans le dessein d'aller s'y noyer, d'en finir une bonne fois, avec cet emportement brusque et tout d'une pièce que l'on voit souvent aux ivrognes. Des questions se pressent aussitôt. Molière était-il, ce soir-là, d'humeur moins noire ? Ou moins ivre ? Le fait d'habiter à deux pas l'a-t-il incité à préférer son lit à celui de la Seine ? Mais on lui sait gré d'y avoir conduit les trois autres – car n'oublions pas Chapelle. Et l'on reste sur cette image, de ces quatre illustres achevant de se technicolorer la devanture, en lichant tous les fonds de flacons passant à leur portée, et peut-être en refaisant le monde que le Grand Roi avait déjà commencé de leur concocter.

13 commentaires:

  1. Extraordinaire anecdote, en effet. Mais obscure. Comment Fumaroli peut-il raconter des choses pareilles sans assortir son texte de notes de bas de page renvoyant aux documents dont il s'inspire ?

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    1. C'est d'autant plus étrange qu'il y a effectivement des notes en fin de volume.

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  2. Robert Marchenoir25 avril 2014 à 13:15

    La Seine n'est pas précisément à côté d'Auteuil.

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    1. À cette époque-là, elle l'était.

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    2. Robert Marchenoir25 avril 2014 à 13:31

      C'est à dire ? C'est la Seine qui s'est déplacée, ou c'est Auteuil qui était plus étendu, ou pas au même endroit ?

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    3. Auteuil était en effet plus étendu. Il a été coupé en deux, je ne sais plus trop quand, et j'ai la flemme d'aller chercher chez Goux gueule. Mais vous retrouverez tout ça facilement.

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    4. Peut-être une petite confusion entre Auteuil-le-Roy, près de Thoiry et l'ancienne commune d'Auteuil, qui n'existe plus et qui effectivement était traversée par la Seine, située à l'emplacement actuel de la porte d'Auteuil et s'étendant sur une partie de l'actuelle commune de Boulogne-Billancourt ?

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    5. Pauvre Daniel. Il a dû souffrir !

      Désolé
      Duga

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  3. "sans assortir son texte de notes de bas de page renvoyant aux documents dont il s'inspire ?"

    A un moment on devra remonter jusqu'où ?

    Fumaroli il interprète, c'est déjà bien. Faut oser dans la vie. Pis depuis ce temps là, il a dû en passer du vomi sous les ponts de Paris...

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    1. "A un moment on devra remonter jusqu'où ?"

      Jusqu'à la vérité, peut-être, si toutefois cette notion archaïque évoque quelque chose à Monsieur Daniel Duret.

      Sinon ou peut aussi raconter que Molière et Racine passaient leur temps à s'enfiler, par exemple. En interprétant un peu.

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    2. Ah, mais c'est très possible, cette histoire d'enfilage ! Mais comme ils étaient trop saouls pour s'en souvenir le lendemain matin, c'était pas tromper.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.