vendredi 26 mai 2023

Le maître c'est Marguerite !

Marguerite Audoux, 1863 – 1937.

 On doit s'attendre à des choses peu ordinaires quand on vient au monde avec “Donquichotte” pour nom de famille. Or, c'est ce qui est arrivé au nourrisson Marguerite : son père, enfant trouvé, avait en son temps été victime d'un gratte-papier de l'Assistance publique qui devait se croire spirituel. Plus tard, elle adoptera sagement le nom de sa mère : Audoux.

Cette mère succombe à la tuberculose lorsque Marguerite a trois ans ; son père, solidement alcoolique, en profite pour faire son baluchon et disparaître à jamais de notre histoire. Pour la petite Berrichone, c'est alors un aller simple pour l'orphelinat de Bourges où elle restera jusqu'à 14 ans, protégée du soleil par les coiffes des bonnes sœurs. Ensuite, on l'enverra garder les moutons dans une ferme de Sologne, d'où elle reviendra à l'orphelinat en tant qu'aide-cuisinière avant, à 18 ans, de partir pour Paris.

Voilà ce que raconte Marie-Claire, le livre publié par Marguerite devenue Audoux en 1910. Rien de plus ? Rien de plus. Mais, dans ces 180 pages, entre les murs de l'orphelinat berruyer puis les clôtures de la ferme solognote, c'est l'univers entier qui s'éveille, au même rythme que l'enfant puis l'adolescente qui le regarde, s'y love ou s'y débat selon les circonstances. 

J'ai lu ce livre d'une traite, ce matin, oscillant sans cesse de la stupeur à l'émerveillement. Si seuls les très grands écrivains sont capables de faire revivre l'enfant qu'ils ont été sans l'étouffer sous le poids de leur intelligence – mais aussi de leur inévitable dessèchement – d'adulte, alors Marguerite Audoux en est un. Pas une once de pathos dans ces phrases courtes et d'une trompeuse simplicité (trompeuse parce que, en réalité, très difficile à acquérir), jamais le lecteur n'est “tiré par la manche” ni incité à sortir son mouchoir. 

Mais surtout, le sommet de l'art, ici, est de parvenir à nous raconter une enfance avec les yeux mêmes de cette enfance. C'est-à-dire que les choses qui sont restées mystérieuses, obscures à la gamine qui s'y est trouvée confrontée, ces choses le restent aussi pour le lecteur, qui doit s'efforcer de deviner, d'interpréter les “signes” que l'auteur lui livre comme elle-même les a perçus à l'époque. Car lorsque, le soir après sa journée de travail, Marguerite Audoux noircissait une ou deux pages des cahiers qu'elle tenait au secret d'un tiroir, elle ne faisait que tenir la plume. Et c'est l'enfant qui se réveillait en elle, intacte, absolument vivante ; et c'est sa voix que le lecteur perçoit directement, encore aujourd'hui.

Il fallut deux ou trois coïncidences pour que Marie-Claire voit finalement le jour, grâce aux interventions conjuguées de Charles-Louis Philippe – mort avant de l'avoir vu paraître – et d'Octave Mirbeau : on les trouvera relatées chez Dame Ternette. Cet écrivain semblant surgir de nulle part fut aussitôt traduit en une dizaine de langues et salué par des gens aussi divers que Léon-Paul Fargue, André Gide, Léon Werth, ou encore Valery Larbaud et Alain-Fournier.

Aujourd'hui, c'est mon tour de saluer modestement Marguerite Audoux.


Marie-Claire suivi de L'Atelier de Marie-Claire, Grasset, Les Cahier Rouges, 414 p.


5 commentaires:

  1. Quelle envolée !
    Votre enthousiasme est communicatif parce qu'il est accompagné d'une belle écriture.
    Je vais chercher ce petit Bijou.
    Hélène

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  2. Et vous nous remboursez si on n'aime pas ?

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  3. Une payse, donc.
    Je ne le savais pas.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.