jeudi 11 mai 2023

Treme : une série doublement encensée…


 C'est plus ou moins sur mes conseils, en tout cas je me flatte de le croire, que le Père B. a récemment regardé la série Treme, dont j'ai dit ici tout le plaisir que j'y avais pris. Hier, bref message de notre père – qui, Dieu merci, n'est pas encore aux Cieux –, pour me dire qu'il n'en pensait lui-même que du bien. Et il ajoutait qu'il avait trouvé à la série, dans l'ensemble de ses quatre saisons, quelque chose de “catholique” – les guillemets étaient de lui. Comme je lui avouais que cet aspect de l'affaire m'avait assez grandement échappé, il s'est fendu, aujourd'hui, d'une explication nettement plus circonstanciée, dont je me suis dit qu'elle pourrait intéresser ceux de mes douze apôtres lecteurs qui ont également vu et apprécié Treme. Je n'avais plus qu'à attendre le nihil obstat de mon autorité religieuse ; l'ayant obtenu de fort bonne grâce, voici donc ce que m'a répondu le Père B. :


« Treme, une série catholique ?

« Un avertissement au lecteur superficiel ou bigot : cette série d’origine américaine n’est pas destinée à convertir les âmes ou à servir de support à l’évangélisation. Elle sera réservée aux adultes, avec un avertissement supplémentaire : si vous n’aimez pas la musique, du blues profond au rap, en passant par tous les styles que l’Amérique a produit depuis 200 ans, fuyez, fuyez !

« Pour une raison que j'ignore, depuis longtemps, je note toujours le rapport qu’entretiennent les personnages des séries, ces nouveaux phénomènes culturels modernes, avec la nourriture et la boisson. Dans la plupart des cas, pour ne pas dire la majorité écrasante de ces produits d’exportation yankee, ils sont addictifs ou inexistants. Les personnages se “défoncent” en permanence avec n’importe quelle substance disponible ou avalent à la va-vite, et en grandes quantités, des cochonneries locales, quand ils ne semblent pas vivre seulement comme des êtres désincarnés.

« Or, dans la série de David Simon, il en va tout autrement. L’un des personnages principaux est une “Chef” (en français dans le texte), et son activité considérée comme un art. La plupart des personnages parlent de nourriture en permanence, et on les voit à table à toute heure du jour et de la nuit. À partir de là, vous pouvez repérer toute la trame “catholique” du récit : amour de la vie, enracinement dans une tradition considérée comme essentielle (musicale, culturelle…), insouciance matérielle, etc. Et je n’ose parler de certaines activités pratiquées à l’horizontale, largement hors des liens sacrés du mariage, mais sans cette frénésie transgressive qui les transforment en propagande idéologique dans les séries habituelles. Ici, tout est assez naturel, sans chichi ou obsession, concession à la faiblesse humaine, sans prêchi-prêcha moralisateur.

« Les femmes y sont de vraies femmes, fortes, séductrices, comme il se doit, mais jamais hystériques à la mode puritaine ; les hommes sont eux-mêmes, hâbleurs, infidèles et noceurs, tout ce que vous voudrez, mais jamais vraiment méchants. Même les carpetbaggers sont peu à peu dissous dans la joie de vivre de la Nouvelle-Orléans, Big Easy qui renait de ses cendres après l’ouragan Katrina, par la musique, la fête et la cuisine. Leur idolâtrie de l’argent finit par prendre une coloration latine moins détestable. L’amitié, l’admiration des anciens, la tradition, même les réseaux de solidarité, face positive de comportements plus ou moins mafieux, passent avant le “pognon-roi”, maitre de l’Amérique. La mort y est (presque) joyeuse, on pleure et on rit tout à la fois.

« Même les péchés capitaux, pratiqués largement, ne sont pas des malédictions écrasantes dissimulées hypocritement, et ne sont pas étalés avec complaisance par une sorte de retour du refoulé, comme dans la culture puritaine. La rédemption est toujours possible, non dans la bigoterie ou l’automutilation, mais dans un dépassement souriant et indulgent, qui rend sympathiques les vertus.

« Autre détail, tous les personnages les plus sympathiques ont des noms français, emploient des mots français, évoquent, une culture “enracinée” dans ce qui fut l’Amérique française, métisse au bon sens du terme, indienne, cajun, noire et blanche, sur fond de syncrétisme religieux dont seule l’Église catholique eut le secret (cf. baroque sud-américain), continent hélas englouti par la barbarie fondamentaliste puritaine.

« Bref, il y aurait certainement des tas d’autres choses à dire, mais Treme tranche sur le commun des séries. C’est un plat fortement épicé et réjouissant, comme un cumbo ou un po-boy servi dans Bourbon Street, un hymne à la gloire de l’héritage créole français du Vieux Sud, donc catholique. »

 

Je n'ai, je le confesse, rien à ajouter à cela.

6 commentaires:

  1. Putain ! Si vous faites appel à des curés pour faire la critique de séries, mon blog plus ou moins dédié est mort.

    NJ

    PS : je vous lis plus tard. J’ai coiffeur.

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    1. J'attends l'imam, le pasteur et le rabbin pour demain matin…
      (Le moine bouddhiste m'a prévenu qu'il serait en retard : son rideau de douche n'est pas sec…)

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    2. Lu ! Ca semble bien sympathique mais ça n'est pas chez Netflix.

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    3. Eh non ! c'est une série HBO…
      Mais on trouve l'intégrale en DVD pour une trentaine d'euros.

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  2. Puisque même le Père B. nous donne l'absolution (et comment!), à quoi bon résister à la tentation, je vais voir si ma médiathèque peut me fournir le produit Treme...
    Je vous tiendrai au courant .
    Bibi

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.