dimanche 22 novembre 2009

L'Armée des anges plonge en rase-mottes

Chapitre XI


Céleste Vigier eut un sourire de satisfaction en mettant le point final à son nouveau “billet” de blog, consacré, comme une fois sur deux, aux violences de plus en plus grandes, de plus en plus inhumaines que notre société post-capitaliste et mondialisée inflige à ses pauvres en général et à ses immigrés en particulier.

Cela allait bientôt faire quatre ans qu’elle avait découvert l’univers des blogs : elle avait ouvert le sien en novembre 2005, et l’avait appelé Légion céleste – un nom dont elle n’était pas peu satisfaite car, à ses yeux, il symbolisait l’avant-garde citoyenne et miraculeuse dont elle faisait partie, celle qui travaillait à détruire le vieux monde et ses frontières iniques, à instaurer entre les hommes, quels que soient leur origine, leur sexe, leur religion, etc., une grande paix horizontale dans laquelle, tout conflit ayant été éradiqué, au besoin par la contrainte, chacun se reconnaîtrait rigoureusement identique à son voisin. Cette Légion céleste, à laquelle elle donnait tout son temps, toute son énergie, c’était elle qui allait – mais ce serait long et douloureux, elle en avait bien conscience, elle n’était pas un “bisounours” – diluer enfin ces survivances des âges barbares qu’on appelle les peuples, les races, les civilisations, pour faire enfin advenir le règne de l’Humanité, affranchie de l’espace et du temps, enfin réconciliée avec elle-même dans une véritable éternité fraternelle.

La souris bien en main, Céleste Vigier cliqua sur le cartouche “publier”, avec la même énergie tranquille qu’elle aurait employée à plonger sous l’eau jusqu’à l’asphyxie la tête de l’un de ces immondes réactionnaires qui, régulièrement, venaient épandre leurs prose nauséabonde dans la partie “commentaires” de son blog, afin de salir sa bienheureuse Légion. L’un d’eux, notamment...

Céleste s’ébroua et se leva de sa chaise d’un mouvement brusque, manquant renverser le globe terrestre qui trônait à portée de sa main gauche. Un petit sourire dédaigneux arrondit encore son visage naturellement rouge, à la peau toujours un peu luisante.Non, elle ne devait pas penser à ces semi-cadavres ricanants pour qui toute idée généreuse était une insulte personnelle à la puanteur fangeuse qu’ils dégageaient sans même s’en apercevoir. Ce qu’il fallait, c’était les ignorer, et les ignorer tranquillement, sans haine ni agressivité ; les repousser doucement mais sans faiblesse vers les cloaques de l’Histoire dont ils n’auraient jamais dû sortir. Il fallait positiver, toujours. Tourner le dos à ce qui était derrière soi afin de mieux embraser l’avenir du regard, cet avenir qui, Céleste en était un peu plus certaine chaque matin, appartiendrait tout entier à ceux qui n’avaient rien eu.

Aussitôt elle se rassit et, saisissant une demi-feuille de papier sur la pile à sa droite, elle entreprit d’y inscrire des indications aussi précises que possible, afin que Laurent, son Lolo, puisse la rejoindre tout-à-l’heure à la grande manifestation organisée par un nouveau collectif très prometteur. Il s’agissait de jeunes des quartiers qui refusaient catégoriquement l’assimilation républicaine au nom du droit inaliénable des hommes à la différence.

Et Céleste Vigier n’était pas peu fière de leur avoir elle-même suggéré le nom qu’ils avaient en effet adopté dans l’enthousiasme : Les Indigestes de la République.

31 commentaires:

  1. Et voilà, c'est reparti...
    Bon, je vous dis à la semaine prochaine et je vous souhaite un excellent dimanche.

    RépondreSupprimer
  2. Oh, mon dimanche, il se passe à écrire mes 25 pages quotidiennes (dont les trois publiées ici, pour la détente), alors...

    RépondreSupprimer
  3. C'est bien beau tout ça, mais quand est-ce qu'elle baise ?

    RépondreSupprimer
  4. Et a sauve le monde de demain : on peut pas tout faire non plus...

    RépondreSupprimer
  5. La même que la nôtre, il paraît. Mais il y en a un de nous qui devrait arrêter de fumer de l'herbe-qui-fait-rire...

    RépondreSupprimer
  6. Elle s'ébroue avant de se lever de sa chaise ?

    Et on le verra dans le roman, l'immonde réactionnaire ? (oh, oui, un petit rôle de méchant !)

    RépondreSupprimer
  7. Suzanne : je ne peux pas être partout non plus ! Faire le méchant réac du chapitre XI alors que je fais déjà les visites de Plieux dans le II et sert l'apéro (toujours à Plieux) dans le IX !

    RépondreSupprimer
  8. Bah, on peut vous l'écrire collectivement, votre chapitre, non ?
    Ou alors au moins une page...
    Le moment ou votre belle (z'auriez pu lui donner un autre pseudo, quand même, par délicatesse, même si, même si...)rencontre pour de vrai le GMR (Grand Méchand Réactionnaire)à une fête d'internautes, par exemple. Style un repas à la Mèteco (café citoyen). Tout le monde est plus ou moins bourré à la bière équitable, et là, tout dégénère.

    RépondreSupprimer
  9. Suzanne : je garde l'idée pour le prochain, rappelez-le-moi d'ici une paire de mois !

    Quant au prénom, c'est bien sûr, vous l'aurez compris, un modeste hommage à Mme Albaret...

    RépondreSupprimer
  10. Didier : Oh, laissez tranquille la pauvre Céleste Albaret (qui jusqu'à son dernier souffle prétendit que non, son seigneur Monsieur Proust n'avait pas les relations d'inverti dont on l'accusait...)

    RépondreSupprimer
  11. En plus, je sais bien qu'au dernier moment vous changerez le pseudo (pas le personnage, mais le pseudo identifiant) Ce genre de pastiche est amusant tant qu'il est médité, prémédité, un peu comme une vengeance, mais perd son intérêt quand il devient possible, non ?

    RépondreSupprimer
  12. Brave Céleste ! Qui croyait dur comme fer que Monsieur Proust se rendait dans les bordels pour hommes afin de se documenter pour son roman : c'est beau la foi, non ?

    D'un autre côté, ne lui jetons pas la pierre : qui peut être certain qu'il ne se serait pas fait manipuler par Proust ?

    « Marcel Proust, c'est le diable ! » disait déjà Alphonse Daudet, qui ne l'a pourtant connu que dans sa jeunesse...

    RépondreSupprimer
  13. Ah, mais c'est que je n'avais pas du tout envisagé de le changer, moi ! Les prénoms sont à tout le monde, non ? Notamment lorsqu'ils sont eux-mêmes déjà des pseudonymes.

    En plus, si je le change (ce qui est très facile à faire), que devient le nom de blog : Légion céleste ? Ah, ah, on fait moins la fière, là !

    RépondreSupprimer
  14. Légion des séraphins. Bon, ce que j'en dis, ce n'est pas pour vous liberticider le ton.

    RépondreSupprimer
  15. C'est tordant et comme toujours (très) bien écrit. Mais qui donc va servir de modèle à l'horrible réac, suspense savamment distillé...
    Tiens cher Didier, une historiette de mon copain à la mitraillette :

    Une lady : vous êtes ivre Monsieur Churchill !
    Lui : et vous, vous êtes moche mais la différence entre vous et moi, c'est que demain, moi, je serai dégrisé...

    Cet homme là ne peut être mauvais non ?

    RépondreSupprimer
  16. "notre société post-capitaliste", mais non, on dit "post-coloniale".
    Et puis Suzanne a raison pour le pseudo, je sais pas moi, Célimène Vigie, et le blog: "La vigie séraphique", ça le faisait, non?

    RépondreSupprimer
  17. Suzanne : ah, Légion des séraphins c'était pas mal...

    Pluton : je la connaissais : vous repassez par la case départ sans recevoir 20 000...

    Floréal : le problème est que mon héroïne se nomme réellement Céleste. Or, Célimène, pour le coup, ça fait vraiment trop pseudo. Sinon, l'idée était bonne en effet.

    RépondreSupprimer
  18. Didier, Célimène, c'était une blague chez Floréal, tant il est vrai qu'on ne voyait pas à qui elle et vous faisiez allusion ;)

    RépondreSupprimer
  19. Marine : ah, oui, je viens de voir ça ! je n'étais pas retourné chez Floréal depuis hier après-midi...

    RépondreSupprimer
  20. "Célestine Vigile", c'était pas mal non plus. Enfin moi c'est ce que j'aurais choisi.

    RépondreSupprimer
  21. Floréal : oui, c'est très bien, mais ça sonne "pseudo de blog". Or, dans mon roman, le personnage s'appelle réellement Céleste Vigier, c'est son véritable nom. Donc, dans ce cas, Célestine Vigile, ou Vigie, aurait fait un peu "too much", non ?

    RépondreSupprimer
  22. Vous avez raison: c'est votre oeuvre, pas la mienne!

    RépondreSupprimer
  23. Œuvre, œuvre : comme vous y allez ! C'est un travail, rien de plus. Dont il me reste 50 pages à écrire d'ici demain soir, c'est vous dire à quel point les phrases vont être amoureusement ciselées !

    RépondreSupprimer
  24. Vos commentateurs vous donnent des conseils d'écriture, quelle indélicatesse !

    RépondreSupprimer
  25. Mtislav : oui, je préférerais nettement qu'ils me proposent de noircir quelques-uns des 40 feuillets qui me restent à pondre d'ici demain soir : ça m'arrangerait mieux...

    RépondreSupprimer
  26. faire carrière comme personnage dans un BM, le début de la gloire ?
    Mère Castor, la vraie, nulle en calembours.

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.