L'esprit de l'escalier… |
Il a quelque temps de cela, Renaud Camus a inauguré un nouveau livre “en ligne”, intitulé Lettres reçues. Il s'agit d'une anti-correspondance, ou d'une contre-correspondance : on ne sait pas trop comment nommer l'objet. L'idée est de publier des lettres, mais non celles écrites par l'auteur : celles qu'il a reçues à diverses époques de sa vie, et conservées. (À ce stade, on entend déjà s'élever le chœur des “ronchons” : « Eh bien, voilà un livre qui ne va pas lui coûter trop de peine, à l'écrivain ! » Encore faut-il avoir eu la sagesse, ou la prescience, de conserver les lettres en question, puis d'opérer un tri à l'intérieur de ce corpus sous enveloppes.)
Comme la plupart des livres en lignes de Camus, celui-là est “in progress”, c'est-à-dire qu'il s'enrichit de plusieurs lettres chaque semaine, au gré des fantaisies de l'auteur, suppose-t-on, et de son temps disponible. Pour le lecteur, la formule est simple : il paie une fois pour toutes et, ensuite, il regarde le livre se faire sous ses yeux. Ça se passe là-bas. Quels en sont le but et l'intérêt ? À n'en pas douter, il s'agit de dessiner un portrait de l'écrivain, mais en creux, une silhouette réfractée en quelque sorte par tous les regards que ses différents correspondants posent sur lui et qui transparaissent dans leurs missives. En ce sens, l'entreprise rejoint celle du Journal d'un autre (livre également disponible en ligne et tout autant “in progress”), un peu plus ancienne, puisque, là, il s'agit du journal d'un certain Duane McArus (anagramme de Renaud Camus), dans lequel Camus lui-même apparaît comme protagoniste et est vu, décrit, sous des couleurs parfois assez peu flatteuses.
Hier, Lettres reçues s'était enrichi de deux nouvelles contributions, dont la première n'était pas une lettre au sens classique mais un mail. Le voici :
Mon cher Camus,
comme Dame Paypal vous en a sans doute averti, je viens d’acheter vos Lettres reçues.
Lisant celles qui sont d’ores et déjà en ligne, je fus soudain poigné
par une insurmontable angoisse : êtes-vous bien conscient du terrible
danger qui vous menace ? Avez-vous pensé à ces centaines de milliers de
personnes qui, prenant connaissance de cette nouvelle aventure
littéraire, vont se mettre à vous adresser lettre sur lettre, comme des
furieux, dans l’espoir de décrocher leur quart d’heure de gloriole
warholienne ? Vous allez être submergé, les vastes salles de Plieux n’y
suffiront bientôt plus !
Cela
étant dit, et plus sérieusement, je trouve ce projet très attirant et
ai bien hâte que votre collection épistolaire s’épaississe. De mon côté
(mais quel rapport ?), j’ai définitivement cessé d’écrire des Brigade mondaine et
me sens désormais léger et insouciant comme l’oiseau à son premier
envol, malgré ma surcharge pondérale notoire. Pour fêter notre admission
chez les nouveaux pauvres, Catherine et moi sommes allés aussitôt
commander au garage idoine une Volvo V 70, appliquant ainsi la maxime
d’une personne que vous avez bien connue : « Ce n’est déjà pas drôle
d’être pauvre, si en plus il fallait se priver… »
Mais je dois vous quitter : j’ai encore à lire quelques entrées du Journal d’un autre…
Vous serez bien aimable de transmettre mes meilleurs sentiments à M. Pierre et de me croire votre toujours fidèle lecteur.
Didier Goux, retraité en bâtiment
Évidemment, l'intérêt de publier immédiatement ce mail somme toute assez anodin saute aux yeux : il s'agissait de retourner vers moi, humour pour humour, ce soupçon de “gloriole warholienne” dont j'accusais d'imaginaires lecteurs – l'épistolier arrosé. Et aussi, bien entendu, d'introduire dans Lettres reçues un texte qui parlait de Lettres reçues.
Et c'est ainsi que, par effraction, je suis devenu immortel.
Méfiez-vous de l'immortalité, vous risquez de vous y ennuyer gravement, c'est la seule chose qu'on puisse lui reprocher…
RépondreSupprimerAh, merci. Je vais aller voir ça.
RépondreSupprimerS'il n'y a pas trop de lettres écrites de plus en plus n'importe comment pour illustrer la décadence de l'art épistolaire et des bonnes manières...
Belle mise en abîme.
RépondreSupprimerVous me l'ôtez du clavier, Al !
SupprimerSauf que, dans le cas de cette expression figée, venue de l'héraldique, on écrit plutôt abyme…
Supprimer"Immortel par effraction" : me voilà devant un abîme de perplexité.
RépondreSupprimer(J'aime bien écrire "abîme", ça me rappelle l'école primaire où on nous faisait chanter : "Le chapeau de cime est tombé dans l'abîme")
Si on se réfère à L'indice Armorial de Pierre Palliot paru en 1660, "l'abîme est le cœur de l'écu, comme l'on dit mis en Abîme, c'est-à-dire au milieu de l'écu. sans que ce qui se met en cet endroit touche ni charge aucune pièce quelle qu'elle soit."
RépondreSupprimerIl s'agit donc bien d'abîme.
Pour le reste :
http://ruinescirculaires.free.fr/index.php?2011/05/08/565-point-de-detail
Eh bien, on aura toujours appris quelque chose !
SupprimerCa s'arrose !
RépondreSupprimerLire la moitié d'une correspondance, quelle torture moyenâgeuse ! Ce serait comme regarder la moitié des dialogues d'un film !
RépondreSupprimerJe ne reçois surtout que des factures mais je veux bien les partager avec Jacques Etienne, tiens, par exemple, lui qui ne sait comment dépenser son argent.
Mais c'est bien souvent le cas, il me semble. Dans la correspondance de Flaubert telle que l'a publiée la Pléiade, par exemple, il n'y a que fort peu de lettre de ses interlocuteurs. Pareil pour celle de Proust éditée par Kolb.
SupprimerCelles de Sand à Musset sont plus charmantes.
SupprimerIl est vrai qu'elle ne pouvait pas ségarer avec des considérations sur la Volvo 70.
On s'en amusera ici.
SupprimerLire les correspondances des auteurs de la Pléiade, voilà une autre forme de torture.
RépondreSupprimer« Il est vrai qu'elle ne pouvait pas ségarer avec des considérations sur la Volvo 70. »
RépondreSupprimerC'est ma principale supériorité sur Mme Sand.
Ah nan, c'est la modération, j'avais pas vu.
RépondreSupprimerCe commentaire-ci ne sert à rien si les autres sont passés dans le cul de basse fosse ^^
SupprimerEn fait, ce comm vient comme un cheveu sur la soupe. C'était sous le précédent billet. Mais bon, pas grave.
SupprimerTiens, oui, c'est bizarre, je les ai pourtant validés…
SupprimerJe ne les trouve même pas dans les spams !
Carine, je viens de comprendre : vous avez fait vos deux premiers commentaires sous le billet précédent !
SupprimerImmortel; D'ailleurs quand entrera-t-il à l'Académie ? Je crois d'ailleurs qu'il a été refusé une ou deux fois. Les raisons? de la basse politique, on ne veut pas de "nauséabond", on a déjà donné. Avez-vous des bruits de couloir à dévoiler? Et la Pléiade, c'est pour quand??
RépondreSupprimerEt comme le disait RC précédemment, votre blog est effectivement de très haute tenue. C'est d'ailleurs par vous que j'ai "découvert" RC dont j'ai acheté il y a un moment La grande déculturation.
Par curiosité, je suis allé voir sur le site de Renaud Camus. Les aperçus des lettres ne sont que des séries de mots au milieu de rayures ; il n'y a pas deux ou trois phrases qui se suivent... Bien étrange. Comme une preuve que ces lettres existent bel et bien. Pas certain que cela donne envie de lire aux personnes qui ne sont pas déjà fort intéressées par le Sieur de Plieux.
RépondreSupprimerMais, mon cher, c'est que pour lire le livre il faut d'abord le payer ! (Cliquez sur le lien que je donne dans le billet…)
SupprimerJ'entends bien mais on pourrait avoir (pour nous mettre l'eau à la bouche) des extraits de lettres et non des mots parsemés ici et là.
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