mercredi 9 décembre 2009

Les vivants, tu sais, ça vaut la peine, parfois...

Dialogue d'ombres, tu te souviens ? Ça s'appelait comme ça, au départ. Ça signifiait quelque chose, il me semble. Aujourd'hui (enfin, plus tellement “aujourd'hui”, déjà), j'ai trouvé Dialogue reprisé. C'est moins bien. Très moins bien, forcément (si je puis dire). C'est normal : j'ai démarré un truc, et je l'ai perdu en route. Ça ne devrait pas te surprendre : immobile au point d'en être pénible, tu restes le seul à me connaître un peu – à part l'Irremplaçable, évidemment, mais tu comprends bien que vous ne connaissez que deux moitiés de moi pas faciles à assembler, ne serait-ce que parce que... enfin, parce que... la rencontre ne s'est pas faite, quoi.

Mais ce n'est pas ce que je voulais te dire. Écrivant la phrase précédente, je sais déjà que j'ai oublié ce que je voulais te dire, précisément. Ça se délite, ma poule, presque pire que toi, ce n'est pas peu dire. Cela avait avoir avec les filles d'André. Pas avec André lui-même : avec ses filles. Et, bizarrement, pas avec ta filleule, mais avec la mienne que tu ne connais pas, et sa cadette qui est la filleule de Jef. Bref, ça parlait de cette famille hautement la tienne. Mais pourquoi ? Il y avait un lien, je t'assure. Quelque chose de solide, qui méritait – à mes yeux – de ranimer cette manière que j'avais trouvé de te parler, de ne parler qu'à toi. Et puis j'ai oublié. Entre la maison et la Case, j'ai oublié.

Il me demeure, bien sûr, les visages de Sarah et Adèle, que tu ne connais ni l'une ni l'autre (et encore, qu'en sais-je ?) – mais ce sont elles, et non... et non... (Dieu du ciel, pourquoi le prénom de l'aînée des Fernique, la fille absolue, ta filleule, pourquoi justement m'échappe-t-il, maintenant ? – Et c'est vrai qu'il m'échappe, c'est presque atroce, même si je sais qu'il va revenir dans quelques secondes, c'est ta filleule, et elle se dérobe, ses deux syllabes se dérobent (donc je sais que son prénom a deux syllabes).)

ELSA ! Ta filleule, donc, cette photo d'elle à peine née, dans le canapé, à Schiltigheim, et de toi presque mort – irrejoignables, ou alors par d'autres voies qui m'échappent. Elsa : il y a moins d'une minute, moi sorti de ce bureau, pissant sous une pluie battante, plaisir que tu as peut-être oublié mais je ne crois pas, je ne peux pas le croire, j'ai retrouvé : Elsa. Comment a-t-elle pu se dérober à moi aussi longtemps – ces quelques minutes ? Vraiment, ma poule, si je croyais aux films dhorreur, ou en Dieu, je penserais à un tour, un tour de ta part.

Malheureusement, je ne crois en rien, tu le sais. Ou seulement en ton existence terminée, ce qui est peu, et peu consolant. J'ai reparlé de toi, il y a quelques jours. Avec un autre fantôme de ma vie – mais vivant, celui-là. Un fantôme femelle : pas les moins dangereux, crois-moi. Je lui ai rappelé, à ce fantôme bienveillant, qu'il avait été le seul être à deux doigts de nous brouiller, toi et moi. Il ne se souvenait de rien, mon fantôme. – Et toi non plus, je suppose.

Et, du coup, je m'en avise, la pluie a cessé. Quant à moi, si tu permets, je vais continuer un peu, s'il est possible : j'ai charge de famille et de fantômes.

8 commentaires:

  1. J'aurais bien aimé avoir un ami tel que vous.
    Ami, hein, au vrai sens du terme, pas un "mec", pas un "copain" marital, mais un ami-âme-soeur, alter ego. Un qu'on garde jusqu'à ce que mort s'ensuive. Et même bien après.
    La vie me donne tout ce qui m'est nécessaire, sauf ça. Certes, on ne peut pas tout avoir, comme dit l'autre, sans majuscule.

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  2. Oh, vous savez, je ne sais pas si je suis un ami très enviable...

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  3. il va être bien le "vrai" journal de Didier, hein? ...
    Geargies

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  4. @ Didier

    Non, reprisé, c'est très bien.
    Cela fait penser aux patchworks des vivants.
    " et ces teintes fanées... comment les rassortir ?"
    Oui, reprisé. Parce que quand nous on perd le fil, eux continuent à le tisser, par derrière. Eux ils continuent à agir dans l'ombre, et c'est vrai qu'on croirait parfois à des tours de leur part, parce qu'on ne voit que le côté apparent, et on préfère ne pas regarder derrière, on n'y voit presque rien, ne pas essayer d'y croire, de peur d'être déçu, et de peur d'avoir encore un peu plus mal...
    Et pourtant ce lien, l'évidence de ce lien ? Et sa capacité à ranimer, à redonner vie à l'unique instant, à l'unique rencontre ? C'est bien qu'il est encore là, non ? Vivant, d'une autre manière que l'autre vivante, que les autres vivants, mais vivant aussi, et présent. Son existence n'est pas terminée, elle ne se terminera pas avec moi non plus. Après moi, peut-être qu'elle n'apparaîtra plus sur l'endroit (et encore, qu'en sais-je ?) où déjà si peu la reconnaissent, mais elle est là dans la trame et, quand j'en ai trop besoin, elle lâche un fil, elle laisse apparaître le lien, rapidement, trop brièvement, avant de se dérober à nouveau. Et moi je crois l'avoir perdu en route, je sens que ça se délite, et j'ai même un peu peur. Peur ou chagrin, je ne sais pas, regret ou solitude, c'est un peu pareil.
    Mais il est là pour toujours. Non pas en moi, mais en soi, et pour moi. Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change. Je ne suis pas toujours sûr de pouvoir le reconnaître. Je n'ai jamais vu que l'endroit, les reprises, nous ne nous sommes croisés qu'à la surface, et c'était déjà tellement beau. Dommage qu'on n'ait pas évité les malentendus, qu'on ait raté ensemble d'autres rencontres. On se dit parfois que ça aurait donné plus d'unité à toutes ces moitiés pas faciles à assembler. Mais on sait bien que ça nous a aussi évité des noeuds et des embrouilles. C'est pas simple hein ? Et puis cette boule, au creux de l'estomac...
    Mais bien sûr qu'il est là, qu'ils sont là, agissants. Et je le reconnaîtrai. On se retrouvera.

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  5. Il y a des billets plus difficiles à commenter que d'autres. La fin a de la gueule, Monsieur, parce que vraie, juste, dans le sens ou c'est un sentiement qui embrasse l'ensemble des vivants.

    Quant aux amis très enviables, je ne suis pas persuadé que la chose existe. Nos amis sont comme ils sont, avec leurs défauts et leurs qualités. Chaque homme est une (plus ou moins) habile combinaison de fidélités et de trahisons.

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  6. Christine : mais ce n'est plus un commentaire, ça : c'est un vrai billet ! Et un bon en plus.

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  7. Dorham : il y a malheureusement des amitiés qui ne durent pas assez pour que la trahison s'avise de leur existence...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.