lundi 10 mai 2010

Underworld U.S.A. : Fuller chez Racine, avec un zeste de Monte-Cristo

Le titre français a un côté gorkien assez trompeur : Les Bas-fonds new-yorkais. L'original cingle davantage, comme le film lui-même. Samuel Fuller réussit une pure tragédie, dans la mesure où, dès les trois premières minutes, chacun a compris qu'aucun des protagonistes ne dispose de la moindre marge de manœuvre par rapport au destin qui est le sien, fixé dès avant le générique, pour ainsi dire. De fait, tout le monde meurt, sagement, en ses temps et heure, sans le moindre mouvement de révolte. Chacun s'accomplit dans la mort, dans la sienne propre. Et, à la toute fin, comme il se doit, c'est la femme qui reste chargée de donner le coup de grâce, lequel aura lieu hors écran, après le générique.

Une histoire de mort que l'on accepte, mais aussi que l'on donne, puisqu'il s'agit d'une vengeance – ou mieux : d'une vendetta, la vengeance étant familiale, fidélité, obédience, devoir dû au père. Il y a de l'Edmond Dantès sicilien, chez le personnage principal (acteur assez fade et médiocre, justement bien choisi en ce sens qu'il ne risque pas de se montrer supérieur à son destin), mais la tragédie classique, ici, reste dominante, et le dernier mot lui reviendra face au héros romantique de Dumas.

Le noir-et-blanc est superbe et violent, et les contrastes s'exaspèrent à mesure que le film bascule dans la noirceur. (Dans le temps que nous le regardions, et exactement selon le même rythme, la nuit tombait au-delà de la fenêtre de notre minuscule salle de projection ; ce qui, une ou deux minutes durant, m'a rendu inexprimablement heureux.)

Détail savoureux : la musique, très présente, est un démarquage insouciant, rigolard, des Feuilles mortes de Kosma. Et ce pied de nez, toujours plus ou moins présent dans la tragédie, renforce encore le destin ; ce qui, après Racine et Dumas, nous emmène faire un tour du côté de chez Verdi – et il va vraiment être temps d'aller se coucher (billet écrit hier soir, juste après le film, mais programmé pour ce matin).

10 commentaires:

  1. Merci pour ce billet apéritif.

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  2. Donc vous avez composé la présente note hier soir, Didier. Et ça se "sent". M'est d'avis que quiconque écrit le soir - enfin, presque... -, sans parler de la nuit, n'est pas confronté aux "cassures", aux "césures" et aux "censures" du jour. Alors le texte coule, paradoxalement il flotte, au-dessus de la mêlée comme au-dessus du volcan.

    J'aime beaucoup cet article.

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  3. Suzanne : vous commencez l'apéro bien tôt !

    Christophe : merci ! En fait, je savais que si j'attendais ce matin, je ne le ferais pas : ça m'est arrivé des dizaines de fois.

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  4. Tiens c'est marrant, le titre original du film de Fuller est aussi le titre français du dernier Ellroy dont le titre original est Blood's A Rover.

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  5. On va avoir du mal à s'y retrouver...

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  6. Bonjour,

    moins marrant, S. Fuller a réalisé un film de 21 minutes consacré à la cérémonie funèbre organisée par un officier américain à l'ouverture du camp de concentration de Falkenau (où les habitants du village d'à côté du camp viennent habiller et inhumer les cadavres)

    film sans paroles, sans musique, brut... glaçant.

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  7. Je crois bien l'avoir déjà vu, en effet. Mais peut-être que je confonds avec un autre...

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  8. "Blood's A Rover" : soit dit en passant, un ratage.

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  9. Didier: apéritif, qui stimule, qui donne envie de le voir. Essayez un peu de me traiter d'ivrogne, pour voir, non mais !
    Chr.Borhen parle d'or.

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  10. Bonjour Didier,

    et moi qui pensais que vous alliez parler de James Ellroy...cependant Dorham a raison, c'est un vrai ratage et une immense déception pour ceux qui attendaient la fin de la trilogie...néanmoins je conseille à tous les deux premiers volumes...American Tabloid et American Death Trip...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.